Bilan n° 92 du 28 juillet 2024 (guerre d’Ukraine)

Les revers ukrainiens s’accumulent tandis que les Russes gardent l’initiative. Les évolutions de Zelensky s’agissant de négociations montrent que la situation a changé.

Source : Julian Röpke ici

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Quasiment aucune activité.

Front de Donetsk : Vers Vouhledar, qui bloque le coin entre le front sud et le front est, la pression russe continue. De premiers combats ont lieu aux lisières de Kostantynivka, verrou logistique en arrière de Vouhledar, tout comme la route 05-24. Un peu plus au nord, les Russes ont pris le village de Heorhivka (le long de la rivière Osikova) et abordent Makymilianivka, ouvrant un possible mouvement tournant par le nord de Kostantynivka.

A Krasnohorivka, les Ukrainiens continuent de céder du terrain et la ville est quasiment sous contrôle russe.

Dans le secteur d’Avdivka, les Russes ont beaucoup avancé, passant la ligne de défense ukrainienne sur la rivière Vovcha. Ils ont pris Progress et Vovche, abordent Vesele et Ivanivka, menacent directement Zhelanne et Serhivka. Ils ont pris sans coup férir Novoselivka Persha. Les Ukrainiens tiennent toujours le pont à la jonction des deux réservoirs de Vodiana.

Un peu plus au nord, les Russes ont consolidé leur position sans vraiment avancer que ce soit à NiuYork (prise de la cote 220 à l’ouest, des quartiers sud) ou Toretsk (progressions dans Zalizne et Privichne).

Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, les Russes ont pris au nord la bourgade de Kalynivka, menaçant de déborder la ville par là. Peu de mouvement depuis.

Dans le secteur de Siversk, poursuite de l’effort russe : la cote 190 à l’est de Rozdoiivka a été prise, menaçant directement Spirne.

Front de Svatove/Koupiansk. Au sud, dans le secteur de Kreminna, poursuite de la lente poussée vers Makivka. Au centre, les Russes élargissent leur point avancé de Pischane (au nord de la source de la Zherebets) et sont à 6 km de l’Oskil. Au nord, quelques micro-grignotages russes vers Vanivka.

Front de Kharkiv : Front stabilisé.

Analyse militaire

Les Russes ont pris 35 km² la semaine dernière, 54 km² cette semaine. La moyenne hebdomadaire de gains a progressé passant de 5 km² quotidien à plus de 7,5 km² (à comparer aux 3,5 km² de la période précédente). Les gains russes deviennent conséquents.

Les semaines se suivent et se ressemblent, les Russes continuant à effectuer des percées localisées et à consolider leurs gains. Ainsi, la situation se dégrade dans le secteur de Koupiansk ou celui de Siversk. Le statuquo à Chasiv Yar ressemble à une pause opérationnelle. C’est au large de Donetsk que les Russes fournissent leur effort, avec succès, que ce soit au large d’Horlivka (Niu York et Toretsk) et surtout d‘Avdivka. Ils ont percé la dernière ligne de défense ukrainienne à hauteur de Progress et sont désormais à 6 km de la radiale de Kostantynivka et à 19 km de Pokirvsk. Ils nettoient les positions ukrainiennes à l’ouest de la Vovcha. Plus au sud, ils entament la prise de Kostantinyvka et donc de Vouhledar.

Pourquoi cette efficacité ? parce que la stratégie d’usure choisie (ou subie) par les Ukrainiens se fait finalement aux dépens de ceux-ci. Je continue de rester dubitatif envers les chiffres avancés par certains sur le niveau de pertes russes, furieusement exagéré par quelques-uns outre-Manche, simplement grossi par d’autres. Comme je l’ai déjà dit, les Russes encaissent des pertes, probablement supérieures à celles des Ukrainiens mais probablement dans les ratios pas aussi élevés qu’imaginent certains.

Or, la ressource humaine est désormais plus un problème ukrainien que russe (voir ici). Les unités ukrainiennes sont constituées de jeunes soldats, non entraînés et non aguerris, qui se débandent facilement. Même une unité très aguerrie comme la 47ème brigade n’en peut plus (cf. Reportage ici). De plus, il semble qu’il n’y a quasiment plus de réserves pour colmater les brèches. Les cessions de terrain s’accélèrent. L’effritement se généralise. Plus inquiétant, les dispositifs défensifs à l’arrière des positions actuelles semblent légers. Si l’on prend l’exemple d’Avdivka, après avoir franchi les lignes les plus fortifiées qui dataient de 2014, les Russes ont successivement franchi les lignes intermédiaires. Ils viennent de franchir la rivière Vovcha qui était la ligne d’arrêt la plus solide aménagée par les Ukrainiens. Derrière, il semble ne rester qu’une ligne de tranchée jusqu’à Pokrovsk. La situation est très inquiétante pour Kiev.

Les Russes ont désormais plein de possibilités de manœuvre à l’orée des six semaines d’été qui restent. Ils vont d’abord, à partir de Progress, pousser au nord vers la H32. Les Ukrainiens vont logiquement installer le peu de réserves qui leur restent en avant de cette route avec peu d’appui terrain. Simultanément, les Russes vont élargir leur tête de pont en suivant la voie ferrée, pour prendre Serhivka et Zhelanne dans un premier temps avec ensuite deux options : poursuivre plein sud pour prendre le reste du dispositif ukrainien à revers et forcer un plus grand retrait, ou descendre vers le sud-ouest et couper la route M04 à hauteur de Selydove. Les Ukrainiens essaieront pendant ce temps-là de durcir une ligne de défense sur les hauteurs de Novogrodivka et Hrodivka (voir ici, Clément Molin). Nous devrions alors être en début d’automne. Si ces deux dernières localités tombent, la bataille de Pokrovsk pourrait débuter.

Plus au nord, entre Bakhmout et Kramatorsk, les Russes ont plusieurs options. Soit prendre Chasiv Yar pour pousser ensuite vers Kostiantinyvka, soit au contraire fixer les Ukrainiens à Chasiv Yar tout en poussant largement par le nord en direction de Kramatorsk, en gardant le canal à main gauche (quelques indices laissent déjà indiquer cette option, à confirmer). Ils pourraient dans un premier temps prendre les mouvements de terrain entre le canal et la M03, avant ensuite d’engager leurs forces plein Ouest pour assiéger directement Kramatorsk. Simultanément, le canal franchi à hauteur de Hrihorivka, ils pourraient redescendre vers le sud et prendre Chasiv Yar à revers.

Dans le secteur nord Donbass, ils vont essayer de poursuivre leur percée de Pischane vers l’Oskil, pour couper le dispositif ukrainien en deux et forcer au nord le retrait en avant de Koupiansk. Ensuite, ils devraient tenter de repousser vers le sud les Ukrainiens qui resteraient à l’est de l’Oskil jusqu’à la liaison Oskil-Zherebets.

Les Ukrainiens n’ont plus l’initiative et pour l’instant ne peuvent que réagir aux actions russes, en attendant des jours meilleurs.

Analyse politique

Le président Zelensky est dans une position difficile. Outre la situation militaire qui se dégrade, la situation internationale s’affaisse également. Les dernières semaines ont plutôt donné l’avantage à Trump (attentat manqué, situation judiciaire favorable, débat réussi contre Biden) et chacun sait qu’en cas de victoire, le soutien à l’Ukraine devrait diminuer drastiquement. Il en convient d’ailleurs dans un entretien à la BBC (ici). Enfin, la situation intérieure n’est pas meilleure avec une situation électrique mauvaise (les coupures sont maintenant quotidiennes et fréquentes, alors que nous sommes en plein été et que la demande est plus faible) ce qui affecte logiquement le moral de la population (voir les tableaux de production électrique ici). Ainsi, selon un sondage rendu public mi-juillet (ici) 43,9 % des sondés sont favorables à des négociations (mais pas aux concessions). D’autant qu’en Europe, les opinions publiques sont désormais très sceptiques quant à la capacité de l’Ukraine de gagner sur le champ de bataille (ici).

Aussi n’est-il pas surprenant de voir une évolution et des approches diplomatiques plus marquées. Ainsi, après le premier sommet pour la paix tenu en juin en Suisse et sans grand résultat (voir point de situation 90 ici), Zelensky accepte désormais l’idée qu’un prochain sommet puisse accueillir la Russie : comment qualifier cela sinon comme l’acceptation que les négociations doivent s’engager. D’ailleurs, dans son entretien à la BBC, il ne dit pas autre chose : « It doesn’t mean that all territories are won back by force. I think the power of diplomacy can help ». Il faut donc mettre la pression sur la Russie pour qu’elle vienne à la table : « By putting pressure on Russia, I think it is possible to agree to a diplomatic settlement ». Bien sûr, il y a une ambiguïté dans ces déclarations : elles peuvent être lues comme l’appel à renforcer la lutte (mettre la pression sur la Russie). Mais lors d’une conférence de presse, il précise : « Je pense que des représentants russes devraient participer à ce deuxième sommet » (ici). C’est la première fois que l’idée de négociations, sans retrait préalable de territoire, est émise par Zelensky. C’est d’ailleurs pour préparer ce genre de rencontres qu’il a envoyé son ministre des affaires étrangères en Chine (ici). Pékin n’a peut-être pas apprécié la récente visite de V. Poutine en Corée du nord et au Vietnam et serait prêt à faire un peu plus pression sur Moscou. Nous verrons. Observons que V. Orban a fait une tournée générale (la Hongrie préside l’Union européenne) passant à Kiev, Moscou, Pékin et Washington. La diplomatie s’active discrètement, profitant des JO et de la torpeur de l’été.

La seule question qui vaille, désormais : la Russie est-elle prête à des négociations ? Rien n’est moins sûr, d’autant qu’elle progresse sur le terrain, au prix d’un potentiel qui s’émousse. Pour l’instant, nous n’avons aucune indication que Moscou veuille discuter. Constatons cependant que personne n’a déclaré que l’idée même de négociation était ridicule. Cette absence de commentaire constitue, paradoxalement, une petite lumière.

Bon été.

OK

One thought on “Bilan n° 92 du 28 juillet 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. Au sujet des négociations, on doit rappeler la proposition de Poutine faite en juin (les 4 régions et la renonciation à l’OTAN). C’est plus qu’en mars 2022, mais ne mentionne pas Odessa. Quelle sera la prochaine proposition, celle-ci ayant été repoussée avec hauteur ?

    Sinon, les allusions faites ici à la guerre de communication en cours, avec l’exagération des morts russes, l’évolution des opinions publiques, une possible négociation de la part de Zelensky, et l’évidente (quoique toujours assez lente) progression russe montrent que l’on est en train de « gérer des perceptions » en Occident. La pilule sera néanmoins dure à avaler.

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