Bilan n° 94 du 18 Août 2024 (guerre d’Ukraine)

L’incursion ukrainienne dans la poche de Soudja s’est poursuivie cette semaine avec une certaine stabilisation. Sur le reste du front, la Russie poursuit son effort et obtient aussi des succès.

Source : Poulet volant

Déroulé des opérations militaires

Le déroulé des opérations s’arrête à ce qui était connu dimanche 18 août à 14h00.

Front sud : RAS.

Front de Donetsk : Vers Vouhledar, les Russes ont saisi une portion de la route 05-24. Vouhledar n’a donc plus de ligne logistique assurée. Les combats se poursuivent à Kostantynivka.

Dans le secteur ouest de Pokrovsk, les Russes ont  poursuivi leur poussée avec des gains conséquents : Sviridonvska, Orlivka, Mykolaivka, Novozhelanie sont russes. Les combats se déroulent à Hrodivka. Les Russes forcent le long de la voie ferrée mais poussent également vers le sud. Les quelques zones ukrainiennes à l’est de la Vodiana semblent condamnées. La rive occidentale du fleuve devrait également être cédée.

Dans le secteur de Toretsk : Niu York est quasi complètement sous contrôle russe. Les premiers combats dans les premiers blocs de Toretsk ont commencé.

Front de Bakhmout : Stabilité à Chasiv Yar.

Dans le secteur de Siversk, RAS.

Front de Svatove/Koupiansk. Stabilité dans le secteur de Kremina. Au centre, les Russes ont pris la crête au nord de Pischane.

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Soudja est complétement sous contrôle ukrainien. Combats à l’est de la ville et au nord est : Mikhailovka et Pravda seraient aux Ukrainiens, Berdin contesté. Un peu plus au sud, les Ukrainiens ont fait effort le long de la frontière, prenant Plekhovo, Borki et Spalnoye. Krupets et Kamilnoye sont contestés. Giri et Belitsa resteraient russes.

Dans le secteur centre : Situation confuse, beaucoup de raids de  forces spéciales ukrainiennes au nord sans pour autant de prise de contrôle très nettes. Malaya Loknya semble ukrainienne,  Kremaniye contestée.

Dans le secteur Ouest : Korenovo reste russe pour l’instant. Les Ukrainiens tentent de déborder par le nord (Vetreno) et le sud (Snagost).

Secteur de la rivière Siem : Depuis quinze jours, les Ukrainiens ont fait pression sur la ville de Tetkino, 30 km à l’ouest. La zone reste encore contestée. On observe depuis quelques jours des frappes contre les trois ponts qui franchissent la rivière Siem. S’ils étaient coupés (l’un a été détruit, le deuxième endommagé), c’est tout le dispositif entre la rivière et la frontière ukrainienne qui serait isolé, permettant aux Ukrainiens d’en prendre facilement le contrôle. Une bande d’au moins 600 km² serait ainsi conquise.

Analyse militaire

Cette semaine, les Ukrainiens ont conquis 460 km² (ce qui fait un total de 800 km² depuis le début de l’offensive de Koursk, en suivant les décomptes de Poulet volant). Cependant, peu à peu, les Russes se ressaisissent et stabilisent la situation, l’effet de surprise étant passé. Le point central dans le secteur actuel reste Korenovo. Sa chute constituerait un très beau succès ukrainien. Son maintien dans le giron russe signifierait que l’action ukrainienne s’encalmine dans le secteur. C’est pourquoi il faut observer ce qui se passe vers la rivière Siem. Sa conquête donnerait un bel atout à Kiev et pourrait ajouter une menace supplémentaire dans la tentative d’encerclement de Korenovo.

Dans le Donbass, la situation empire en revanche pour les Ukrainiens, qui n’arrivent pas à tenir les villages à l’avant de Pokrovsk. Dans la semaine, la Russie a gagné 77 km², soit un rythme de 11 km² quotidien, plus forte moyenne depuis que nous suivons l’indicateur, grâce à Poulet Volant. Par ailleurs, Toretsk est également directement sous pression, avec le risque de se faire déborder par le sud. Enfin, Vouhledar semble en très mauvaise posture. Voici donc les trois efforts russes pour la semaine. Constatons une pause opérationnelle sur tous les autres fronts : au sud ou entre Chasiv Yar et Koupiansk, sans même parler de Kharkiv.

460 km² d’un côté, 77 de l’autre : l’avantage paraît évidemment aux Ukrainiens.

Ici, le stratégiste ne va pas être d’accord avec le géopolitologue. Il y a débat. Je sais que le mot est inconnu dans le vocabulaire des partisans, qu’ils soient russes ou ukrainiens. Encore moins quand on leur parle de débat intérieur. Quand on a des certitudes, ces expressions sont des gros mots, des injures à leur vision du monde, aussi minimale que leur intelligence. Heureusement, ces personnes ne me lisent pas. D’ailleurs, elles ne savent pas lire.

Mais revenons à notre débat. Pour un stratégiste, un km² ne vaut pas forcément un autre. Pour un géopolitologue, si. Y a-t-il équivalence des territoires ?

Ainsi, pour le stratégiste, le succès ukrainien s’explique aisément : les territoires conquis sont vides. Faible densité de population, faibles ressources : aucun intérêt. Soudja est un petit bourg rural, le marché du coin où l’on échange deux poules contre trois poireaux. Moins de 5000 habitants avant la guerre. Que valent de plus 1000 km² dans un territoire de 17 millions ? rien. Les Ukrainiens ont donc conquis du vide, sans intérêt et non défendu. C’est parce que c’était non défendu qu’ils ont d’ailleurs obtenu ce succès facile. Certes, il faut louer leurs capacités de concentration discrète, leur façon d’introduire une manœuvre dynamique et interarmes : cela, les Russes n’en sont pas capables. Bravo. Mais c’est quand même plus facile quand il n’y a personne en face. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Admirons donc sans être forcément en train d’applaudir un nouvel Alexandre.

Le succès russe du côté du Donbass n’est pas plus impressionnant mais aux yeux du stratégiste il paraît de loin beaucoup plus significatif. Car la zone est dense et peuplée. Niu York comptait près de 9000 h avant la guerre. Les progressions entre Advidka et Pokrovsk, à Toretsk ou le contournement de Vouhledar interviennent au terme d’un effort conséquent de plusieurs mois, dans des zones très valorisées et défendues avec acharnement par les adversaires. L’apparente résignation actuelle des FAU contraste d’autant plus avec la combativité initiale. Les km² en ont d’autant plus de valeur qu’ils ouvrent de véritables perspectives stratégiques. Si Toretsk tombe, c’est tout le Donbass central qui s’ouvre à la manœuvre russe ; Si Pokrovsk tombe, il n’y a plus de défense derrière, jusqu’au Dniepr ; Si Vouhledar tombe, c’est l’unification du front du Donbass et de celui de Zaporijjia qui est rendue possible. Les options stratégiques sont largement plus favorables aujourd’hui aux Russes qu’aux Ukrainiens. Un km² ne vaut pas un autre. Le stratégiste s’inquiète beaucoup plus pour les Ukrainiens à Pokrovk que pour les Russes à Soudja.

Ce à quoi le géopolitologue répond : bien sûr, cher ami, bien sûr, mais…. quoique vous disiez, un km² en vaut un autre. La capacité ukrainienne à poursuivre l’action et à engranger des gains constitue un formidable atout. Oh, cela ne va certes pas fragiliser Poutine ni mettre en colère la population russe, même si pour la première fois on sent une certaine inquiétude apparaître. Mais cela introduit un dilemme chez lui. Il va poursuivre son effort là où il domine mais simultanément, il doit traiter cette épine dans le pied. Quand il ne s’agissait que de quelques km², ce n’était pas trop grave mais imaginez que la rive sud de la Siem tombe ou encore qu’une incursion se reproduise à Belgorod ? Il ne peut pas laisser faire. Il va devoir « traiter le problème ». Envoyer des troupes, concentrer des efforts et pas seulement la Rosguardia. Nous sommes d’accord que dans l’affaire, les Ukrainiens perdent des forces et qu’objectivement, cela favorise la position russe à un niveau stratégique. Mais tout n’est pas qu’affaire militaire. Le problème va durer quelques mois, peut-être jusqu’à la présidentielle américaine.  Dans les esprits, il y aura équivalence. Les succès à Pokrovsk seront équilibrés, pour l’opinion, par ceux à Soudja. Un km² en vaut un autre.

Par ailleurs, que vouliez vous que fissent les Ukrainiens ? Précisément, ils savent qu’ils sont en train de perdre dans le Donbass. C’est le moment où jamais de faire diversion ou, plus exactement, d’utiliser une stratégie indirecte. De poser un problème nouveau à l’ennemi. D’y consacrer des forces, quand on en dispose encore, plutôt que de laisser croire à l’inéluctable, comme cela s’installait dans les esprits depuis quelques mois. Ça ne permettra pas de gagner mais peut-être, temporairement, cela évitera de perdre. D’ailleurs, observez : si les Russes poursuivent au large de Donetsk, ils ont cessé leur effort ailleurs  dans une sorte d’accalmie relative. Chasiv Yar tient toujours.

*

Voilà le débat : Je suis autant convaincu par le stratégiste que par le géopolitologue et n’arrive pas à trancher. Entre la « Koursk contre la montre » et le coup de « poker à Pokrovsk », l’analyste s’interroge.

La semaine dernière, je discutais la notion d’initiative. Rappelons que celle-ci donne à celui qui la prend le moyen d’obliger l’autre à faire ce que l’on veut. Aujourd’hui, les deux parties ont une sorte d’initiative. Elle est évidente pour les Russes à Pokrovsk. Elle est évidente également pour les Ukrainiens à Soudja. La seule question qui demeure est la suivante : combien de temps l’un ou l’autre vont-ils la conserver ? Quelle dynamique va l’emporter ?

Analyse politique

Le plus remarquable de la semaine a été, globalement, le silence des chancelleries occidentales sur ce qui se passe en Ukraine. Des rumeurs circulent.

Côté russe, la lenteur de la réaction est nette. Cependant, Poutine a chargé Alexeï Dioumine de coordonner la réaction à l’attaque de Soudja. C’est un homme du FSB et certains le présentent comme un possible successeur du président. Si et seulement si son action à Soudja sera jugée efficace : à suivre.

De même, il faut évoquer la question des RH russes. Jusqu’à présent, le Kremlin a réussi à trouver suffisamment de volontaires pour conduire son action mais l’on sent que l’on touche à des limites. Or, Poutine ne peut se permettre une mobilisation générale. Poutine ne dispose pas autant qu’on le dit du facteur temps. Lui aussi doit conclure bientôt.

Bonne fin d’été.

OK

3 thoughts on “Bilan n° 94 du 18 Août 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. Vous êtes bien trop durs avec les géopolitologues. Ceux-ci savent depuis le début que l’Ukraine n’a jamais été en position de gagner militairement ou politiquement, et que toute l’affaire s’est en fait terminée avec la destruction des gazoducs, objectifs stratégiques ET géopolitiques des USA… En attendant, une monstrueuse et désolante boucherie fait couler des flots de sang devant nos yeux pour rien et les miens sont pleins de larmes.

  2. Merci pour votre partage d’infos et également de vos doutes.
    Je penses que dans les incertitudes du moment, les opinions publiques dans les pays qui soutiennent l’Ukraine commencent aussi à vaciller et que cette tendance risque de se faire ressentir rapidement. Je prends l’exemple de l’Allemagne et sa tentative de sauver les élections régionales prévues en automne en annonçant une réduction de l’aide militaire. Et d’autres pays suivront. Tout simplement parce qu’il n’y a plus de visibilité dans les objectifs de cette guerre, ils changent en permanence. Et nos sociétés perdent patience, là-bas les milliards pour la guerre, ici des trous dans tous les budgets. Ça ne peut pas tenir…

  3. Bonjour,
    je ne sais pas si l’attaque russe vers Kharkiv a inspiré celle ukrainienne vers Koursk, mais il se peut aussi que la Russie ait partiellement deviné la manœuvre Ukrainienne et ait choisi de la devancer ? La symétrie des deux manœuvres me semble assez révélatrice. Cela expliquerait également pourquoi l’Ukraine attaque à Soudja, ce n’était peut-être pas l’objectif initial ?

    Aujourd’hui, on voit la Russie mener des évacuations dans les oblasts de Belgorod et de Koursk et maintenir son action sur Pokrovsk, sans vraiment paniquer. Cela expliquerait bien des choses non ?

Laisser un commentaire