Bilan n° 95 du 1er septembre 2024 (guerre d’Ukraine)

Les Ukrainiens n’avancent plus dans la poche de Soudja, au contraire des Russes qui poussent partout ailleurs, notamment dans le Donbass où les gains sont conséquents.

SOurce Poulet volant (ici)

Déroulé des opérations militaires

Il ne faut pas omettre la poursuite des frappes dans la profondeur de la part des deux belligérants : les Russes continuent d’envoyer des salves de missiles qui atteignent notamment un réseau électrique ukrainien très détérioré. Avec leurs drones, les Ukrainiens visent principalement le système logistique russe, dont l’infrastructure pétrolière en arrière du front. Dans les deux cas, il s‘agit d’affaiblir la base industrielle et logistique de l’adversaire.

Front sud : Il y aurait eu quelques rectifications vers Robotyne et une poussée russe au nord d’Urozhaine. A l’ouest, on signalerait quelques pré-positionnements ukrainiens vers Kamianske au sud de Zaporija.

Front de Donetsk : Au sud, Vouhledar est directement menacée. Les Russes ont franchi la route 05-24 et poussent vers Vodyane au nord, tout comme ils auraient repris leur poussée à l’ouest de Pavlivka. Vouhledar devrait tomber rapidement. C’était un objectif des Russes depuis plus d’un an. Kostantynivka est passé complètement sous contrôle russe. Il faut s’attendre à une poussée à l’ouest de Pobieda, le long de la H15 et de la rivière Osykova, en direction de Kourakhove.

Dans le secteur ouest de Pokrovsk, l’avancée russe s’est accélérée. Au nord ils sont entrés dans Hrodivka et ont atteint l’étang de Novotoretske. Ils ont pris Novohrodivka et poussé jusque Krany Yar. Ils ont élargi leur saillant au sud en prenant Marynivka, Mylhailivka, Memrik, Kalynove, Karlovka, Halytsinivka. Ils sont aux abords de Selidove et d’Ukrainsk. Les brigades ukrainiennes à l’est de la Vovcha ont dû reculer précipitamment pour éviter d’être encerclées.

Dans le secteur de Toretsk : Peu d’avancées aux alentours de Niu York. Poussées russes vers Toretsk (secteurs de Droujba au nord, de Zalizne au centre, Pivichne contrôlé), mais les Ukrainiens résistent.

Front de Bakhmout : Stabilité à Chasiv Yar. Dans le secteur de Siversk, petite avancée au large de Soledar.

Front de Svatove/Koupiansk. Stabilité dans le secteur de Kremina. Plus au nord, les Russes ont poursuivi leur avancée autour de Pischane et entamé un mouvement tournant vers le sud, alors qu’ils franchissaient la Zherebets à hauteur de Stelmakhivka pour prendre les derniers km² de l’oblast de Lougansk dans le secteur. Face à Koupiansk, Synkivka aurait été prise par les Russes (après des mois d’effort).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Soudja est complétement sous contrôle ukrainien. Berdin au nord serait ukrainien. Au sud, Borki serait ukrainien.

Dans le secteur centre : Les Ukrainiens ont un peu avancé à l’est de Malaya Loknya.

Dans le secteur Ouest : Korenovo demeure russe. Les Ukrainiens tentent de déborder par le nord (Kremanove) et le sud (ils ont pris le village de Snagost).

Secteur de la rivière Siem : Si les ponts sont détruits ou endommagés, les Ukrainiens n’ont pas lancé d’offensive pour prendre la rive sud. Il est possible qu’ils aient voulu empêcher les renforts russes de passer par cette zone pour menacer leur flanc gauche dans la poche.

Analyse militaire

Il y a deux semaines, les Ukrainiens ont pris 167 km² dans la poche de Soudja, 29,5 la semaine dernière : ils contrôlent au total 969 km² de territoire russe. Les Russes ont stabilisé le secteur, en déployant des unités venant à 80 % du secteur de Kharkiv ou de l’oblast de Koursk. L’effet de diversion n’a pas fonctionné, les Russes poursuivant leur effort dans le Donbass. Au contraire, maintenant, la concentration locale des efforts consentie par les Ukrainiens leur coûte des pertes croissantes pour un gain faible. Ceci explique peut-être qu’ils ne lancent pas d’offensive pour prendre le sud de la rivière Siem. Ainsi, militairement, la poche de Soudja tourne au piège pour les Ukrainiens. Logiquement, elle constitue un avantage paradoxal pour les Russes.

Dans le Donbass, les Russes ont conquis au cours des deux dernières semaines 88 km² puis 126 km², soit un rythme de 18 km² quotidien pour cette ultime semaine. Cela signifie qu’ils ont tiré avantage du pari ukrainien à Souda en augmentant leurs efforts dans le saillant de Pokrovsk qu’ils ont élargi soit vers l’avant en suivant la voie ferrée, soit vers le sud.

A court terme, toute la zone entre la Vovcha et Krasnohorivka (poche de Neveslske) devrait rapidement être prise par les Russes (environ 150 km²). Cela offrira un axe logistique nouveau aux Russes (la M 50) pour approvisionner leurs unités à l’ouest.

Il reste un mois de météo clémente avant l’arrivée des pluies et le ralentissement des combats. Logiquement, les Russes vont tenter de prendre Selidove, qui est le verrou local. Cela leur permettrait en effet d’avoir deux options (qui peuvent d’ailleurs être mises en œuvre simultanément) : poursuivre vers l’ouest afin de débroder Pokrovsk par le sud et entamer le siège par le flanc ; pousser au sud vers Kourakove de façon à prendre au piège les unités du Donbass sud (je suppose que Vouhledar va rapidement tomber)

Les Ukrainiens vont devoir rétablir une première ligne de défense entre Ukrainsk (si le bourg tient) et le lac de Khourakhove au sud, même si celui-ci risque d’être agressé par l’est. Au fond, c’est tout le dispositif ukrainien au sud du Donbass qui est touché. Il est probable que les Ukrainiens vont vouloir se rétablir sur une ligne Pokrovsk – Andrivka – Grand Novoselika, le long de la route 518 puis de la 518.

Plus au nord, il est probable que les Russes vont vouloir atteindre la rivière Oskil à hauteur de Pischane pour couper le dispositif ukrainien dans le secteur.

Voici pour les perspectives tactiques. En passant à l’analyse opérative, les Russes semblent vouloir donner priorité à atteindre les limites administratives des oblasts qu’ils contrôlent. Ainsi au nord, entre Koupiansk et Svatove, ils chercheraient à reprendre les derniers km² de l’oblast de Lougansk. Au sud, outre le dégagement complet des environs de Donetsk, ils peuvent chercher à atteindre les limites de l’oblast au sud (légèrement à l’ouest de la ligne Pokrovsk – Andrivka). Ceci expliquerait le moindre effort constaté du côté de Chasiv Yar et Siversk. Je doute qu’ils réussissent à prendre Pokrovsk avant plusieurs semaines. Toretsk devrait en revanche céder plus vite.

Les Ukrainiens ont plusieurs options : la situation est grave mais pas désespérée. En effet, il semble qu’ils aient commencer à faire revenir des troupes dans le sud. Selidove serait ainsi défendue plus sérieusement. Chasiv Yar et Toretsk tiennent, tout comme Siversk ou le secteur de Kreminna. Il est certains qu’en revanche, tout un tas d’unités ont dû se replier précipitamment ces derniers jours ce qui explique les progressions russes. Mais celles-ci se font au prix d’un coût élevé et d’un allongement des lignes logistiques. S’il semble y avoir eu une meilleure coordination tactique des Russes dans le secteur de Pokrovsk (ce serait la première fois depuis le début de la guerre, ce facteur étant normalement à l’avantage des Ukrainiens), nous ne sommes pas en présence d’un effondrement, même localisé. Malgré les apparences, les FAU semblent se réorganiser autour de Pokrovsk et il est fort possible que le rythme d’avancée russe se réduise, du moins dans les secteurs sensibles. Il faut ainsi suivre pour les quatre semaines à venir les points-clefs de Selidove, Kourakhove et Pokrovsk ville.

Stratégiquement enfin, plusieurs questions se posent. Où sont les réserves ukrainiennes ? faut-il encore s’attendre à une surprise, par exemple une offensive limitée vers Zaporijjia ? les Ukrainiens ont déjà effectué de telles manœuvres d’un bout à l’autre du front (notamment à l’automne 2022) avec succès et nous devons garder l’hypothèse à l’esprit.

Pour le reste, le gambit de Koursk n’a pas fonctionné. Les Ukrainiens ont dû céder leur première ligne de défense du Donbass sud mais de toute façon, elle était compromise depuis la chute d’Avdivka en mars. Dès lors, après la percée russe à Ocheretyne, ce à quoi nous assistons était inéluctable : la seule question qui se posait était celle de la vitesse. Le pari ukrainien au nord a accéléré l’avancée russe au sud. De larges portions de territoire vont être cédées et le Donbass sud semble perdu. Les Ukrainiens vont devoir réarticuler leur dispositif, profiter du gel de l’hiver pour installer de nouvelles lignes défensives, rénover leur commandement tactique interarmes (de niveau divisionnaire, qui est absent de la copie ukrainienne), insérer de nouvelles unités mieux formées. Autrement dit, ils ont besoin de temps pour se reconstruire.

Si la situation paraît très favorable aux Russes, plusieurs points de fragilité demeurent. Il est possible que nous soyons proche du point de culmination russe (je crois que c’est une des premières fois que j’utilise ce mot, venu de Clausewitz, alors que je l’entends claironner beaucoup, rarement à bon escient). Car même si les prises territoriales vont se poursuivre au cours des semaines à suivre, elles ne prépareront pas forcément celles qui suivent. Autrement dit, il est très possible que les Russes réduisent leur effort pour revenir à des gains beaucoup plus limités, le temps qu’ils se reconstituent.

L’observateur devine en effet un début d’épuisement des stocks de matériel et d’obus. L’élongation et la destruction de bases logistiques à l’arrière par les Ukrainiens doivent compliquer la manœuvre : aussi est-il peu probable de voir des raids blindés fulgurants. De même, si l’avantage des ressources humaines demeure du côté russe, on voit là aussi poindre des difficultés de recrutement. L’augmentation des primes offertes peut s’expliquer en partie par les conditions économiques prévalant en Russie, mais elle indique aussi une raréfaction de la ressource disponible. Or, Poutine est particulièrement rétif à l’idée de mobilisation. Ainsi, Moscou va certainement vanter ses succès mais l’observateur avisé doit conserver à l’esprit les points de faiblesse. Alors qu’on avait beaucoup sous-estimé l’armée russe, prenons garde aujourd’hui à ne pas la surestimer.

Analyse politique

La stabilisation du front de Soudja sonne comme une sorte d’échec : non pas de l’opération, mais du pari qu’elle recouvrait. Les troupes russes n’ont pas été attirées et tenir les territoires pris demandera des efforts à un appareil militaire déjà extrêmement sollicité par ailleurs. L’effet dans l’opinion ukrainienne est désormais mitigé et beaucoup de soldats se plaignent du commandement mais aussi de l’utilité de l’opération de Soudja. Ce mécontentement remonte au niveau politique.

Ainsi de l’affaire du F16 : rappelons qu’un F16 ukrainien a été abattu par mégarde par la DSA ukrainienne. L’affaire a provoqué tellement d’émoi que le commandant en chef de l’armée de l’air a été limogé par Zelensky. Plus généralement, le débat s’installe sur la façon dont est conduite cette guerre à Kiev : débat en Ukraine mais aussi chez ses soutiens. Ainsi, la presse américaine (pas assez lue en France par les observateurs) est très critique envers la direction ukrainienne et notamment Zelensky.

Sinon, l’Allemagne a annoncé mi-août le gel de toute aide militaire nouvelle à l’Ukraine. Les crédits 2025 seront divisés par 2 à 4 milliards d’euros. Si les motifs tiennent à la politique intérieure, il est évident que la décision a des répercussions extérieures et confirme le soutien de plus en plus réticent d’O. Scholz à l’Ukraine.

Cet élément s’ajoute à tous les signes de l’émoussement du soutien occidental à l’Ukraine. Le mot de négociation a disparu du vocabulaire.

Bonne fin d’été.

OK

2 thoughts on “Bilan n° 95 du 1er septembre 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. Après l’invasion ukrainienne de l’oblast de Koursk la Russie a fait savoir qu’il n’était plus question de négociations. Et il n’y a pas de raisons tant qu’elle est en mesure d’imposer ses conditions de plus en plus draconiennes. Vae Victis !
    Cependant après Pokrovsk la voie est relativement libre terrain plat , et peu occupé en tous domaines, vers Pavlograd puis Dnipro pour commencer la conquête d’un nouvel oblast russophone et encercler la partie nord, non conquise, de l’oblast de Zaporijja. Une hypothèse à ne pas exclure d’autant plus que les Russes procèdent souvent ainsi.

  2. On s’étonnera de ne voir considérer, dans l’analyse militaire ici, que les « problèmes techniques » de la Russie, alors que la situation semble bien plus « grave » et pour tout le monde.

    Côté ukrainien, l’échec de l’offensive sur Koursk semble se transformer en démonstration par l’absurde de la nécessité d’un engagement supplémentaire de l’OTAN, Zelensky demandant à cor et à cri le droit d’attaquer en profondeur avec des missiles les aéroports et les usines que ses drones échouent à endommager.

    C’est l’un des dangers de la situation, l’échec total de sa stratégie « gagnante » devenant visible, le camp occidental n’a pas encore commencé vraiment à gérer sa défaite pour ses opinions et ses commanditaires américains, et pourrait vouloir remettre encore un peu au pot quitte à prendre les vrais risques comme ceux de bombardements de bases de départ de F16 hors Ukraine ou de bombes de 3 tonnes au centre de Kiev.
    La réactivation de la question de la culpabilité concernant Nordstream (une 3ème hypothèse fut présentée récemment, mettant en cause directement l’Ukraine) pourrait à contrario tenter de justifier un retrait européen guidé par l’Allemagne, les opinions commençant à réaliser que la catastrophe économique est bien liée à la folie que fut la politique de l’OTAN à l’égard de la Russie, les USA profitant du brouillard de la guerre pour ruiner son allié et concurrent Allemand.
    Le vote extrême droite en Allemagne ce week-end montre que nous sommes entrés dans une nouvelle phase et que les vrais problèmes vont devoir être mis sur la table.

    On rappellera que l’arrêt de l’aide occidentale mettra immédiatement toute la situation dans la main de la Russie, qui pourra faire son marché territorial, construire son glacis puis laisser une zone mafieuse ingérable aux bons soins de l’Union Européenne, qui pourrait alors être tentée alors de se protéger enfin efficacement contre les immigrations illégales.
    Tout le monde y gagnerait, sauf l’Ukraine dont la défense de sa « nation » lui a couté, grâce à notre soutien indéfectible, sa destruction au prix d’un million de morts. Qui ne souhaiterait pas que cette boucherie inutile cesse ou plutôt ait été, en son temps, empêchée à tout prix ?

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