La mort de Hassan Nasrallah, le chef de la milice chiite Hezbollah, intervient au terme d’un processus de frappes israéliennes impressionnant par sa maitrise et son efficacité. Il est rare d’avoir une telle conjugaison de succès technique, tactique et stratégique. La manœuvre que vient de conduire l’Etat hébreu restera de ce point de vue dans les annales. Il convient de l’analyser et d’en dresser les conséquences possibles.
D’où vient-il ?
Le Hezbollah ou parti de Dieu fut fondé en 1982 à la suite de l’invasion du Liban Sud par Israël. Il remplace peu à peu la milice chiite Amal avec un angle confessionnel plus accentué, à la suite de la révolution islamique iranienne (elle aussi chiite) qui s’est déroulée en 1979. Il est armé et financé par Téhéran. Il a pour principal but la guerre contre Israël qu’il affronte à nouveau en 2006, emportant un succès d’image. Il réussit à s’insérer dans la vie politique libanaise avec des députés au Parlement (les Chiites représentent plus de 30 % de la population, principalement concentrés au sud et dans la plaine de la Bekaa). A partir de 2012, il participe à la guerre civile syrienne aux côtés de Bachar el Assad, contre les rebelles et notamment les djihadistes sunnites.
Il constitue de facto un Etat dans l’Etat au point que paradoxalement, il est un des éléments qui contribue à un certain maintien de la société libanaise dans la situation d’Etat failli qu’elle connaît. Comme la mafia, il contribue à la faillite de l’Etat et comme elle, il donne un filet de protection à une grande partie de la société, notamment chez ses affidés.
Le Hezbollah dispose d’une armée autonome : elle compte entre 20 et 25.000 combattants plus 30.000 réservistes. 5.000 sont engagés en Syrie. Le Hezbollah dispose également d’un arsenal très fourni avec notamment de multiples roquettes de tout type, y compris des roquettes à longue portée. Cet arsenal a été développé en coopération avec l’Iran.
Depuis les attaques du djihad islamique le 7 octobre contre Israël et la riposte de ce dernier contre la bande de Gaza, le Hezbollah a tenu une ligne ambiguë. Il a ainsi refusé de s’engager frontalement contre l’Etat hébreu, tirant cependant assez de roquettes pour inquiéter le voisin méridional et forcer au déplacement de 70.000 personnes de la zone frontalière. Si les frappes étaient symboliques au début, elles ont augmenté en volume au cours des mois et de la poursuite de la guerre à Gaza. C’est d’ailleurs pour protéger ces 70.000 israéliens que B. Netanyahou a lancé les opérations de cette semaine.
Les opérations de cette semaine
Tout a commença le 17 mars 2024 : Simultanément, plusieurs milliers de bippeurs explosent localement. Il s’agit de petits appareils de communication locale, assurant la transmission de petits messages par textes. Ils étaient utilisés par le Hezbollah qui se méfiait des téléphones portables considérant que ceux-ci pouvaient être aisément espionnés par Israël. L’attaque fait 12 morts et 2800 blessés. Si l’on a cru un moment que l’explosion était due à l’échauffement de la batterie, il semble désormais probable que les bippeurs ont été piégés par les services secrets israéliens au moment de leur fabrication. Le lendemain 18 septembre, ce sont des talkies-walkies qui explosent, faisant cette fois-ci 25 morts et 450 blessés. La chaîne de commandement du Hezbollah est dès lors profondément désorganisée.
Sur le moment, les analystes s’interrogent : ce coup prépare-t-il quelque chose de plus ample ou, comme l’hypothèse en est soulevée, Israël a-t-il déclenché cette opération parce qu’une taupe, au sein du Hezbollah, était sur le point d’être découverte ?
C’est finalement la première option qui se vérifie au cours des jours suivants et qui montre la planification soigneuse de l’opération. A partir du 23 septembre, l’armée israélienne multiplie les frappes aériennes contre le Liban, d’abord au Liban sud mais aussi dans la Bekaa. Le lundi, les autorités libanaises évoquent un bilan de 558 morts et de 1800 blessés. Les bombardements poussent des centaines de milliers de Libanais sur les routes pour fuir les combats. Les frappes visent notamment les cadres dirigeants du mouvement (déjà, le chef militaire du Hezbollah Fouad Chokr avait été tué en juillet et Ibrahim Aqil, le chef des forces spéciales, le 20 septembre). De même, un certain nombre de dépôts d’armes sont visés, de façon à amoindrir les capacités de résistance du Hezbollah. Celui-ci tire malgré tout le 25 septembre, un premier missile balistique (le Qader, démarqué du Ghadr iranien) contre le quartier-général du Mossad à Gillot, dans la banlieue de Tel-Aviv. Il a été intercepté par la défense sol-air israélienne.
Ainsi, l’escalade suivait son cours. La frappe très puissante de la nuit de vendredi contre un bunker de la banlieue de Beyrouth a visiblement détruit le QG du Hezbollah, entraînant la mort de son chef. Celui-ci avait rejoint le Hezbollah en 1982 avant d’en prendre la direction en 1992, à la suite de la mort d’Abbas Moussaoui, abattu par un missile israélien.
Quelles suites ?
Que va-t-il advenir dans l’immédiat ? Il y aura forcément une réplique du Hezbollah qui va lancer de nouvelles salves de roquettes et de missiles contre Israël. Malgré la désorganisation de la chaîne de commandement, le mouvement a probablement prévu des hiérarchies de remplacement. Elles vont certes devoir se mettre en place et se roder mais l’urgence va accélérer ce renouvellement. Ainsi, il rare que l’assassinat d’un chef terroriste ait durablement entravé l’action d’un mouvement irrégulier.
Tout dépend en fait de la façon dont Israël poursuivra son action. On murmure beaucoup la possibilité d’une offensive terrestre. Celle-ci peut prendre plusieurs formes : petites incursions ou établissement plus durable. Les combats mettront la pression sur le Hezbollah qui en sera diminué, tout comme le Hamas est diminué à Gaza mais pas éradiqué. Surtout, le Hezbollah dispose d’un plus grand réservoir de population, d’une plus grande armée et d’un territoire plus vaste, avec des alliés et des chemins d’approvisionnement que n’a pas le Hamas. Il dispose ainsi de plus grandes possibilités de résilience, même après un combat dur contre Israël.
La conclusion est limpide : le Hezbollah ne disparaîtra pas du fait de la mort de Nasrallah et de la désorganisation provoquée par les actions israéliennes. Même si les combats se prolongent, il devrait persister comme force militaire et politique au Liban, bien qu’amoindrie.
Pour Netanyahou, le succès est total, à plusieurs points de vue. Tout d’abord, il poursuit sa politique de « la guerre à tout prix » qu’il mène obstinément depuis un an. Cela lui permet de se maintenir au pouvoir et d’éviter toute mise en cause par la justice. Il faut ici se rappeler à quel point la société israélienne était divisée avant le 7 octobre 2023 avec des manifestations gigantesques et une pression politique forte contre le Premier ministre. Ainsi, Israël a connu cinq élections législatives en moins de quatre ans entre 2019 et 2022. La guerre de Gaza a paradoxalement apporté une certaine stabilité gouvernementale. Cependant, les oppositions sont toujours présentes, renouvelées (entre ceux qui sont partisans de la guerre sans fin et ceux qui souhaitent que l’on négocie la libération des otages).
Or, à Gaza, les opérations arrivent à leur terme. Le Hamas est très diminué mais conserve toujours des otages, les négociations de cessez-le-feu, entretenues par les Américains depuis plusieurs semaines, patinent et il n’y avait plus beaucoup d’opération au sud. Les observateurs sentaient un durcissement du discours de Tel Aviv contre le Hezbollah, d’autant que celui-ci, nous l’avons noté, intensifiait plutôt ses frappes contre Israël. En se tournant contre le Hezbollah, Netanyahou obtient ainsi un soutien politique israélien très fort ce qui lui permet de refaire l’unité derrière lui. C’est pourquoi il est probable qu’il va poursuivre le conflit, au moins jusqu’à l’élection américaine. Le Premier Ministre espère en effet la victoire de D. Trump, qui a toujours été plus proche de l’actuel gouvernement que le président Biden.
Le Moyen-Orient en recomposition
Enfin, Israël continue de défier l’Iran. Le lecteur se souvient que cet été, le dirigeant du Hamas I. Haniyeh a été tué à Téhéran par un attentat israélien, ce qui portait un grand coup à l’image iranienne. Constatons que contrairement à ce que beaucoup attendaient, l’Iran n’a pas réagi. Il en est de même depuis une semaine : on constate la discrétion iranienne qui n’appelle pas à une guerre totale contre Israël. Ainsi, Téhéran refuse d’entrer dans l’escalade engagée par Tel Aviv.
Certains pointent l’élection, le 5 juillet dernier, du modéré Massoud Pezeshkian à la présidence de la république iranienne. Il semble que le guide suprême Ali Khamenei ait favorisé cette élection et que des ouvertures soient faites en direction des occidentaux pour reprendre les négociations. Il ne faut pas oublier également que les relations entre l’Iran et l’Arabie Séoudite se sont apaisées. Ainsi, alors que beaucoup parlent d’un embrasement au Moyen-Orient, il n’est pas sûr que ce soit de l’intérêt de l’Iran. Peut-être Téhéran est-il désormais suffisamment près d’obtenir la bombe nucléaire qu’il se sent plus en mesure de transiger. Cette position modérée de Téhéran surprend. Elle valide pour l’instant l’audace israélienne dans cette escalade recherchée et pour l’instant réussie.
Notons enfin le silence des capitales régionales, que ce soit la Jordanie ou l’Arabie Séoudite. Le prince Ben Salman a ainsi déclaré que la question palestinienne n’était plus un problème pour lui. Dans la grande mécanique régionale, les mouvements islamistes armés sont laissés à leur destin.
Quant au Liban, il est probable que l’écroulement de l’Etat va se poursuivre. Le modèle tri-confessionnel ne réussit plus à maintenir un semblant d’Etat. L’occupation israélienne d’une frange territoriale au sud du pays pourrait conduire à un fractionnement du pays qui continue de plus d’accueillir deux millions de réfugiés syriens. La minorité chrétienne se réduit à vue d’œil et ne semble plus pouvoir peser. Est-il envisageable que la Syrie profite de l’occasion pour investir une partie du territoire ? Que d’autres zones déclarent leur indépendance ? Ce sont désormais des événements possibles bien que non probables.
Pour conclure, l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier a déclenché une série de réactions qui dépassent désormais la seule question palestinienne pour affecter désormais le Liban. Au-delà du Hezbollah, c’est en effet ce pays failli qui est touché par contrecoup. Une certaine recomposition du Moyen-Orient est en marche.
OK