Israël, le droit et l’Onu (JPh Immarigeon)

Si l’on a beaucoup évoqué récemment la notion d’état de droit, la récent polémique franco-israélienne pose une autre question : quel est le droit de l’État ? Jean Philippe Immarigeon, avocat, répond à cette question de fond : un État n’existe que dans sa relation aux autres États. Merci à lui. LV

Nous venons d’assister à un échange ni amène ni diplomatique entre la France et Israël, à la suite d’une déclaration d’Emmanuel Macron rappelant que l’État hébreu doit son existence au vote de novembre 1947 de l’ONU. Sans aucunement en minimiser la portée, si la sortie du président français est bien évidemment motivée par les menaces que Tsahal fait peser sur nos soldats sous casque bleu stationnés au Liban, sa formulation provocante a reçu une réponse tant de Tel Aviv que du CRIF qui porte le débat sur le fond, en ce qu’elle trahit le fossé toujours plus grandissant entre l’État hébreu et le reste du monde, et l’incompréhension manifeste sur la question de l’état de droit, voire le rejet de ce dernier par Israël et ses soutiens.

Source : Washington institute

Laissons de côté la rhétorique biblique sur la terre promise et l’absurdité, comme ironisait naguère Yitzhak Rabin, de voir dans la Torah un relevé de cadastre. C’est bien à un sionisme laïque et guerrier, qui déborde largement les cercles religieux, que font appel les détracteurs du président français, en invoquant non pas, comme on aurait pu s’y attendre, la proclamation de l’État d’Israël en mai 1948, mais bien la victoire militaire qui suivit. Ainsi non seulement la nouvelle nation n’aurait d’existence que parce qu’elle est, depuis cette date, la plus forte et s’impose à tous ses voisins, mais surtout elle ne devrait qu’à elle-même son droit à exister là où elle se trouve, sans autre légitimité si ce n’est, mais subsidiairement, que divine. Ce discours, on le retrouve également dominant au sein de la diaspora ; signalons qu’il correspond à celui que les Américains tiennent sur eux-mêmes (on relira à ce propos la postface de Gilles Deleuze au Bartleby d’Herman Melville).

Or un État est un sujet de droit, sinon il n’est pas un État. C’est ce qu’on enseigne dans toutes les écoles et les universités. Le plus vieil État existant au monde en 2024 n’est pas simplement le produit de l’installation des guerriers francs en Gaule romaine, mais celui de sa reconnaissance par les autres nations barbares certes vaincues mais signant avec lui des traités de paix, par la papauté en échange du ralliement de Clovis au christianisme nicéen et non à l’arianisme, et par l’empire romain d’Orient qui lui accorde le titre de consul. Car un État n’est pas un fait mais une relation de droit avec ses voisins proches et lointains. La fameuse phrase de Jean-Jacques Rousseau qu’on a tous apprise en étudiant le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, fondatrice du monde moderne et fixant un début à l’Histoire donc au Droit, ne se limite pas à l’image symbolique du bonhomme qui plante ses piquets et s’accapare un terrain, mais à l’acceptation par les autres de cette situation. Faute de cette acceptation, il n’y a pas de droit donc pas de propriété du terrain à l’intérieur des piquets, sauf une situation de fait aléatoire et réformable au gré du rapport de force.

En se fondant sur la seule situation générée par la victoire de ses armes, en s’affranchissant de toute autre légitimité que guerrière, Israël commet une faute philosophique majeure. Si l’issue de la guerre de 1948 lui a permis de stabiliser ses frontières lors des accords de Rhodes de 1949 et d’intégrer la communauté internationale, c’est parce que le droit l’avait déjà reconnu au préalable comme État. Dès lors qu’Israël était à l’époque rejeté par ses voisins arabes, quel aurait pu être le fondement de son existence si ce n’est le vote de 1947 d’une ONU dont il devenait membre ? Et s’il en avait été autrement, les puissances occidentales n’auraient pu embarquer, le soir même de la fin du mandat britannique, tout l’armement [1] qui permit, dès la fin de la première trêve le 10 juillet 1948, à Tsahal d’obtenir cette supériorité militaire écrasante sur l’ensemble de ses voisins, même pris collectivement, qui a perduré jusqu’à aujourd’hui grâce à la France jusqu’à l’embargo de 1967, aux États-Unis depuis.

La réponse à la déclaration du président Macron était anticipée par tous ceux qui, pour une fois, ont lu la prose de Bernard-Henri Lévy et son dernier pensum, Solitude d’Israël, paru peu de temps après le massacre du 7 octobre 2023. Il y théorise le rejet du droit international, de l’ONU, de la CPI, de la CIJ, de tout ce qui est qualifié de diktat américano-onuso-européen, au nom de l’exceptionnalité d’Israël posée comme un apriori. Il faut consulter les sites Internet pour comprendre que cette casuistique ante-historique et anti-juridique n’est que la forme policée d’un discours d’une violence extrême qui a désormais cours en Israël, BHL ne faisant que mettre des oripeaux freudiens – Israël est La Loi – sur la vision absolutiste du judaïsme qu’il a piquée à Benny Lévy, solipsisme qui fait d’Israël l’alpha et l’omega de l’Histoire de l’Humanité.

Mais en s’affranchissant ainsi des principes universaux, en déniant toute valeur au vote onusien de 1947 – même si on comprend qu’il s’agit avant tout de rejeter le versant palestinien du plan de partage, refus encore récemment voté par la Knesset –, Israël remet au centre du débat son statut de puissance occupante (From the sea to the river) et ouvre la voie aux discours miroirs antisionistes et antisémites qui vont prospérer de plus belle (From the river to the sea). C’est désolant, et d’une crasse bêtise.

Jean-Philippe Immarigeon

[1] Des dizaines de milliers de fusils, mitraillettes et mitrailleuses, des centaines de mortiers, de canons et des millions de munitions, des chars Hotchkiss anciennement de Vichy récupérés de la Campagne de Syrie, des M4 Sherman puisés dans les surplus américains, des Me-109 fabriqués sous licence en Tchécoslovaquie, quelques Spitfire et Mustang des stocks de l’après-guerre, des DC-3 et même deux B-17.

2 thoughts on “Israël, le droit et l’Onu (JPh Immarigeon)

  1. Je laisse ici une remarque de mon ami Philippe Forget, philosophe du droit, de l’histoire et de la politique : « La reconnaissance du droit chez autrui et par autrui est déjà établie par Cicéron. Pour le Romain de la république, l’homme s’humanise en se liant à d’autres hommes par le droit au sein de la cité ; et les cités peuvent se reconnaître des droits entre elles. Par les pactes, elles s’obligent les unes les autre. Et même l' »imperium » se sent obligé par le pacte avec le vaincu, c’est ainsi qu’il fédère. C’est la vertu de mansuétude qui nourrit la vie civilisée et écarte la justice purement vindicative. Cette reconnaissance du droit chez autrui progressera jusqu’à l’idée d’une universalité juridique que concrétisera l’édit de Caracalla. On remarquera que pour le Romain, la peuplade qui n’accorde aucun droit aux autres communautés ou qui trahit l’usage accepté du droit, régresse à l’état de barbarie, rejoignant la « feritas » originelle. Evidemment, Rousseau, comme les jurisconsultes classiques, est nourri de Cicéron. »

  2. Dans le flot d’inepties lues et entendues, qui toutes rejettent le droit international et nient le caractère fondateur du vote de l’ONU de 1947 – alors qu’on n’a jusqu’à hier cessé de nous répéter qu’Israël avait été créé par ce vote « de mauvaise conscience » -, on relèvera tout de même le commentaire de Georges Malbrunot dans Le Figaro : «  »Emmanuel Macron rappelait un point d’histoire, à savoir que la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948 avait été avalisée six mois plus tôt le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale de l’ONU qui avait adopté une résolution (181) prévoyant le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe. »

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