Pascal Tran Huu, depuis longtemps proche de La Vigie, nous livre ici sa lecture d’un livre du Pr Zheng, « La Troisième Guerre mondiale et la poudrière de l’Asie », fort instructif sur les perceptions des menaces extérierues par la population chinoise. Merci à lui. LV.
Zheng Yongnian est professeur et doyen fondateur de l’École de politique publique et doyen de l’Institut des affaires internationales (IIA) de Qianhai à l’Université chinoise de Hong Kong (Shenzhen). Il a été directeur de l’ Institut d’Asie de l’Est à l’Université nationale de Singapour et, avant cela, directeur de recherche fondateur du China Policy Institute à l’Université de Nottingham. Autant dire un fin connaisseur des affaires chinoises mais, aussi, un fin connaisseur du monde occidental et des Etats-Unis en particulier.
En septembre 2024, en réponse au dernier sommet de l’OTAN et après la sortie d’un ouvrage de Robert D. Blackwill et Richard Fontaine « Décennie perdue Le pivot américain vers l’Asie et l’essor de la puissance chinoise » dans lequel les auteurs évaluent les limites du pivot vers l’Asie et offrent une vision convaincante de l’avenir de la politique étrangère américaine dans l’Indo-Pacifique, Zheng Yongnian a publié un article (« La Troisième Guerre mondiale et la poudrière de l’Asie ») dans lequel il se penche sur l’état précaire de la géopolitique mondiale, affirmant que la région Asie-Pacifique devient de plus en plus le point focal de conflits potentiels à grande échelle. (lien vers l’article en chinois : ici. Traduction anglaise : ici https://www.eastisread.com/p/zheng-yongnian-asia-pacific-destined )
L’argument de Zheng repose sur l’affirmation selon laquelle la croissance économique rapide de l’Asie et la modernisation militaire qui en a résulté ont créé un mélange instable d’interdépendance économique et de griefs historiques non résolus. Il soutient que les États-Unis, percevant des intérêts économiques et stratégiques importants dans la région, manœuvrent pour affirmer leur domination, exacerbant ainsi les tensions. La formation de diverses alliances « mini multilatérales » et le pivot stratégique de l’OTAN vers l’Asie sont présentés par le spécialiste des relations internationales formé à l’Université de Pékin et à Princeton comme des indicateurs d’un glissement imminent vers le conflit.
Cette perspective, bien que fondée sur des tendances observables, ne tient peut-être pas pleinement compte des complexités et des facteurs atténuants potentiels qui pourraient empêcher le scénario désastreux qu’il envisage. En outre, certaines des descriptions factuelles contenues dans l’article méritent un examen plus approfondi.
Son avertissement selon lequel le nationalisme est en plein essor en Asie et pousse les décideurs à faire des choix impulsifs et irrationnels semble néanmoins tout à fait vrai.
Quoi qu’il en soit, « La Troisième Guerre mondiale et la poudrière de l’Asie » est un avertissement qui ne doit pas être ignoré pour au moins deux raisons :
- – Son auteur est très suivi sur les réseaux sociaux chinois et influence, ainsi, l’opinion publique chinoise;
- – Zheng Yongnian est très lu et écouté par les politiciens chinois dont le Xi Jin Ping lui-même…
Extrait : « Bien que les États-Unis prétendent promouvoir la paix en Asie grâce à leur leadership, la réalité est que l’Asie, sous la Pax Americana, glisse rapidement vers la guerre. Plus important encore, les États-Unis ne sont pas vraiment une puissance « étrangère ». Bien que le terme fasse référence à leur situation géographique – les États-Unis étant sur la rive orientale du Pacifique – en termes d’intérêts, les États-Unis sont profondément ancrés en Asie. Depuis les temps modernes, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont été fortement impliqués dans les affaires asiatiques, du Japon à la péninsule coréenne et à travers l’Asie de l’Est jusqu’à l’ASEAN. Aucun autre pays n’est aussi étroitement lié à l’Asie que les États-Unis. Depuis les années 1980, l’Asie étant devenue un pilier de l’économie mondiale, les États-Unis se sont de plus en plus définis, économiquement parlant, comme une nation de l’Asie-Pacifique, plutôt que comme une nation traditionnelle de l’Atlantique. De cette façon, le désir des États-Unis de maintenir leur « empire » (hégémonie) s’aligne organiquement sur leurs intérêts économiques en Asie, créant une puissante incitation à maintenir leur domination tout en s’assurant des avantages économiques importants de la région.
Le « pivot vers l’Asie » d’Obama est largement considéré comme le moment où les États-Unis ont commencé à réorienter de manière significative leur attention, leur temps et leurs ressources vers la région, afin d’augmenter leurs chances de remporter la compétition cruciale de l’époque. Cette politique visait spécifiquement la Chine, même si ses origines remontent à plus loin encore. L’effondrement de l’Union soviétique a mis fin à un demi-siècle de guerre froide et, avec la disparition de son adversaire traditionnel, les États-Unis ont commencé à redéfinir leur « rival », en identifiant la Chine comme nouvelle cible. Lorsque George W. Bush est arrivé au pouvoir, les États-Unis ont adopté une politique étrangère conservatrice, qui était également dirigée vers la Chine. Cependant, les attentats terroristes du 11 septembre ont modifié les priorités stratégiques de l’Amérique, retardant temporairement sa stratégie asiatique. »
« […] À l’approche du sommet de l’OTAN, les politiciens et les médias aux États-Unis et en Occident ont intensifié leurs efforts pour diaboliser la Chine, comme d’habitude, en liant la Chine à la Russie. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré dans une interview aux médias américains : « La guerre en Ukraine démontre à quel point la Russie et la Chine, la Corée du Nord et l’Iran sont étroitement liées. La Chine est le principal soutien de l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine. »
Le déplacement de l’OTAN vers la région Asie-Pacifique
Comme prévu par les observateurs des affaires internationales, le sommet de l’OTAN a publié une déclaration qui, pour la première fois, condamne publiquement la Chine pour son soutien à la base industrielle de défense de la Russie.
Pour conduire l’OTAN vers l’Asie ou pour établir une version asiatique de l’OTAN, l’OTAN dirigée par les États-Unis a activement cherché à coopérer avec les pays d’Asie-Pacifique ces dernières années. Le sommet de l’OTAN de cette année à Washington a une fois de plus invité les dirigeants du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, des alliés clés des États-Unis dans la région Asie-Pacifique. Depuis 2022, ces « 4 indopacifiques » (IP4) sont toujours invités aux sommets de l’OTAN. Selon les mots du secrétaire d’État américain Antony Blinken, les invitations répétées au Japon, à la Corée du Sud, à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande reflètent une reconnaissance croissante parmi les pays partenaires d’Europe et d’Asie-Pacifique que leurs défis de sécurité sont de plus en plus interconnectés. « Cela fait également partie de notre politique très délibérée », a-t-il déclaré , « de briser les cloisonnements entre les alliances européennes, les alliances asiatiques et même plus largement, alors que nous travaillons dans des pays – et pas seulement des pays – d’autres partenaires d’autres parties du monde. »
Le Japon joue un rôle central en tant que mandataire des Etats-Unis dans ce processus. Malgré quelques succès nationaux, le Premier ministre japonais Fumio Kishida a poursuivi sa mission de création d’une OTAN asiatique. Lors du sommet de paix en Ukraine en juin, Kishida a fait appel aux principales préoccupations sécuritaires des pays de l’OTAN en Europe, avertissant que « l’Ukraine d’aujourd’hui pourrait être l’Asie de l’Est demain ». Ce n’est pas la première fois que Kishida fait une telle déclaration. Ces dernières années, le Japon a souvent défendu ce point de vue auprès de la communauté internationale, en particulier auprès d’autres pays asiatiques. »
Vous l’avez compris, Zheng Yongnian désigne clairement les ennemis potentiels de la Chine…
Précisons un dernier point : à qui ce discours est-il adressé ? Il ne s’agit pas seulement de dire que l’OTAN n’a aucune visée dans cette région ni même que la Chine justifie ses visées expansionnistes mais de comprendre que ce genre d’analyse n’est pas, prioritairement, à destination des Occidentaux mais, avant tout, de la population chinoise.
Tout comme depuis quelques années le cinéma chinois prépare la population à une guerre éventuelle, ce genre de publications agitent les réseaux sociaux chinois en exacerbant le sentiment des Chinois d’être dans leur bon droit. L’attaque contre le regain de nationalisme des autres peuples de la région est présenté comme un danger et doit être combattu. Les Vietnamiens, par exemple, en font les frais notamment autour des Spratley et des Paracelles. AUKUS est, pour les Chinois, une menace or deux des membres d’AUKUS sont, également, membres de l’OTAN.
Bref ! il s’agit ici de montrer les perceptions chinoises, non la réalité d’une politique, même si les perceptions participent évidemment de la politique gérnéale.
P. Tran Huu
Source image : asyialist
« … les limites du pivot vers l’Asie »: effectivement. Ce n’est qu’avec Trump, et on doit le lui attribuer, que les USA ont vraiment réalisé que la politique de délocalisation et de libre échange « imprudent » (sans contreparties) avec la Chine commençait à avoir de graves inconvénients en termes économiques et géopolitiques. Sans parler des ravages que cela a pu faire en Europe…
On n’a pas vraiment vu ce que cela a pu faire avec l’arrivée de Biden, à part la désastreuse aventure ukrainienne, dont on ne se lassera pas de dire qu’elle fut une erreur catastrophique: la Russie, certes maintenant hors de portée de l’Europe (était-ce ça le but de la chose, Nordstream ?) sera clairement dans le camp chinois dans la confrontation à venir: voilà qui n’est guère habile.
La Chine veillit à toute vitesse. A-t-elle vraiment envie de se battre ? On peut très bien imaginer qu’elle se contente de jouir de sa puissance, en se contentant de froncer très fort les sourcils, une fois qu’on lui aura dit son fait, si on le lui dit, et la confrontation est économique d’abord. Sinon, qui se battra pour Taiwan? Macron ?
Il y a les perceptions, et puis il y a les réalités.
1) Le basculement des Etats-Unis vers l’Asie, j’en entendais déjà parler il y a 35 ans lorsque je vivais aux Etats-Unis, c’est un vieux refrain sans doute assis sur une réalité mais pour l’heure, on n’en voit pas de concrétisation spectaculaire.
2) La puissance militaire chinoise, et tout particulièrement navale, reste un rêve lointain. Il ne suffit pas de se pignoler, comme on le fait depuis trois semaines, sur la présence du Liaoning, vieux machin brejnevien (Varyag) lancé dans les années 80, et ses 25 vieux Su-27/33 qui ne peuvent que déponter quasiment à vide, pour donner une réalité à une « menace » sur Taïwan. Lorsque la Chine sera capable de projeter les 5 000 navires du DDay à travers un détroit trois fois large comme le Channel, et surtout de le tenir face à la meute de SNA américains qui rappliqueront immédiatement (n’oublions pas que 40 % des pertes japonaises furent le fait d’une arme sous-marine américaine qui connait les eaux et les fonds comme sa poche depuis 80 ans), on pourra se faire peur… pour de bon. Donc dans un demi-siècle. Car il ne suffit de mettre à l’eau des boites à chaussures flottantes (quand elles flottent, voir les mésaventures du dernier SNA chinois…) pour faire une marine autrement qu’une flotte « in being ». Nous avons nous-aussi, entre 1789 et 1815, mis presque 200 navires de combats en chantier et à l’eau, mais nos marins étaient sur les pontons de Cornouailles. Les Chinois n’ont non seulement aucun expérience de la mer collectivement mais ne sont même pas individuellement des marins du dimanche comme nous les trouvons depuis des siècles en Angleterre, en France ou aux Etats-Unis, je n’ai jamais vu aucun port de plaisance sur les cotes chinoises ou alors c’est récent.
3) La seule vraie puissance militaire de la région, et puissance navale opérationnelle, est désormais le Japon qui refait des porte-avions/F35 – et les renomme comme ceux de Pearl-Harbor.
4) Enfin l’idée d’une guerre asiatique, lors d’une autre expatriation en Asie du sud-est, courait déjà là-bas dans les conversations à la fin des années 80. Là encore c’est une vieille antienne.
Tout ceci pour dire qu’on reste sur des apriorismes dont on cherche des prémices en grapillant dans l’actualité. Et puis comme le rappelle Carmignola, non seulement la Chine a mangé son pain blanc économiquement, non seulement elle ne parvient pas à aller au-delà de 400 millions d’heureux élus au paradis capitaliste, laissant le milliard qui reste dans une pauvreté dont on n’a idée qu’en allant sur place, mais ce milliard est lui-aussi en chute libre, et la crise démographique est plus pire que les plus pires prévisions.
On en conquiert pas ses voisins avec des vieux et des marins de salle de bains. Aussi vu le niveau de mépris réciproque entre les Chinois d’une part et le reste des nations asiatiques, la sphère de coprospérité chinoise est promis au même avenir que la japonaise dans les années 40. Mais ça fait vendre en Relais H.