Bilan n° 100 du 17 novembre 2024 (guerre d’Ukraine)

Les forces ukrainiennes connaissent une situation compliquée mais ne s’effondrent pas. Les combats se poursuivront, suspendus à des négociations rendues inéluctables par l’élection de D. Trump.

Carte Poulet volant

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Maigre progression au sud d’Orikhiv (carte). Au sud-ouest de Grand Novosilka. les Russes ont repris Rivnopil et Novodarivka (qu’ils tenaient avant l’offensive ukrainienne de 2023) (carte).

Front de Donetsk : Au sud de Kourakhove, les Russes ont poussé jusqu’à Dalne. Ils sont entrés dans les faubourgs orientaux de Kourakhove proprement dit (carte). Toutes les positions ukrainiennes dans la vallée de la Sukhi Yali sont menacées et devraient rapidement être abandonnées.

Au nord de la Vovcha, Novoselydivka et Vosenevka ont été pris. Plus au nord, les Russes ont progressé à l’ouest de Selidove : Novooleksiivka et Hryhorivka ont été prises tandis que les Russes ont progressé le long de la rivière Solona et de la M50. (carte).

Après des combats assez importants dans le secteur de Toretsk, les Russes ont finalement progressé dans la partie sud de la ville (carte)

Front de Bakhmout : Peu de changement à Chasiv Yar, sinon une légère progression russe, au sud de la ville et à l’ouest du canal (carte). Rien dans le secteur de Secteur de Siversk :

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina : Micro-progression russe au nord de Terny qui constitue le point commandant le secteur sud de la Zherebets. carte

Secteur de Pischane : Le long de l’Oskil, les Russes ont pris Kolisnyvka au nord. Ils ont surtout conquis une large zone au sud-ouest de Berestove (carte ).

Secteur de Koupiansk : Petite progression au sud de Synkivka avec des coups de sonde jusqu’au faubourg de Koupiansk carte  .

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Reprise d’activité russe. A l’ouest, la poche de Pokrovsky à l’intérieur de la poche de rivière a été presque réduite par les Russes. Quelques petites rectifications de front au nord et à l’est. Au sud, prise du village de Plekohovo ce qui menace le flanc sud de Soudja (carte)

Analyse militaire

Signalons la reprise des frappes combinées de missiles et de drones de longue portée par les Russes contre l’arrière ukrainien, avec des cibles civiles ou militaires, notamment le réseau électrique (voir article).

Dans la poche de Soudja, les Russes ont repris leurs efforts. La situation était stable il y a deux semaines et cette semaine la Russie aurait pris 63 km² (carte). L’Ukraine ne contrôle plus que 536 km².

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 169 km² il y a deux semaines, 129 km² cette semaine. Le rythme de progression quotidienne est d’environ 18 à 22 km² de km² par jour.

Beaucoup de rumeurs évoquent ces derniers jours une possible offensive russe sur le front sud de Zaporijia. Observons que pour l’instant, peu d’efforts ont été produits dans ce front. En revanche, deux localités font l’objet d’un façonnage du champ de bataille : Grand Novosilka (à l’ouest de Vouhledar) et Kourakhove (au nord-ouest de Vouhledar). Cette dernière devrait tomber rapidement d’ici deux ou trois semaines.

L’objectif tactique des Russes serait dès lors, compte-tenu des dispositifs défensifs ukrainiens (voir carte), de :

  • A partir de l’ouest de Khourakove et de l’ouest de Selidove, progresser vers l’ouest dans des zones faiblement défendues pour atteindre les limites occidentales de l’oblast de Donetsk (à hauteur d’Andrivka-Klevstove) ;
  • Cette limite atteinte, progresser au nord pour vers Udachne pour couper les arrières de Pokrovsk.

Les autres secteurs pourraient être animés : soit sur le front de Zaporijia pour attirer des troupes ukrainiennes ; soit sur le front de Toretsk, si celle-ci était conquise dans les semaines à venir (pas sûr, les Ukrainiens s’y défendent avec acharnement). Les autres secteurs (Chasiv Yar, Kremina, Koupiansk) connaîtront une pression continue sans être accentuée. En revanche, on sent un effort depuis une dizaine de jours contre le dispositif ukrainien dans la poche de Soudja.

La résistance des FAU est héroïque, fait qui n’est pas souvent souligné ces dernières semaines. Malgré les difficultés que nous avons pointées, elles tiennent globalement leurs secteurs et les pertes sont globalement minimes si l’on compare à l’effort russe.

En effet, si les Russes progressent, le coût consenti pour leurs gains est très important avec des niveaux de pertes conséquents, en hommes comme en matériels. Malgré tout, ils tiennent ce rythme depuis des mois. On devine pourtant un certain ralentissement : il peut être dû soit à la météorologie (Raspoutitsa), soit à un début de fléchissement de la logistique russe. Du côté ukrainien, si les hommes continuent de manquer, il y aurait un léger mieux en matière d’obus, permettant de réduire le RAPFEU (et donc de plus user les troupes russes). Mais ces impressions fugaces méritent d’être confirmées.

Ainsi, malgré le lent effritement du front, le dispositif ukrainien ne s’effondre pas et oppose une résistance structurée à l’offensive russe, même en perdant localement du terrain.

Analyse politique

La nette réélection de Donald Trump a tonné comme l’éclair et ouvert une nouvelle période. Sans conteste, l’heure des négociations a sonné. Le président ukrainien en a d’ailleurs admis l’inéluctabilité (article) et le fait que la guerre, d’une façon ou une autre, se terminera en 2025.

En fait, ces négociations ont déjà commencé, non officiellement bien sûr. Il y a bien sûr un théâtre d’ombres avec des responsables qui commentent (ou non) publiquement des choses, sans que quiconque ne sache vraiment ce qui se passe en coulisse. En ce dimanche soir, essayons de résumer l’état des choses.

  • L’administration de Trump aurait prévu un plan prévoyant un arrêt des combats sur les fronts actuels, la mise en place de troupes européennes sur la zone de cessez-le-feu (1000 km de long : je ne sais si les concepteurs de ce plan ont une idée de ce que cela pourrait représenter), la non-entrée de l’Ukraine dans l’Otan avant quelques années (20 ans ?).
  • Zelensky dit vouloir attendre que D. Trump soit effectivement en fonction avant de s’engager dans ces négociations. Il reconnaît que dans les conditions actuelles, « l’Ukraine part perdante dans ces négociations».
  • Les Russes disent qu’ils sont ouverts aux négociations, mais à leurs conditions : prise des territoires déjà acquis (les « nouvelles réalités territoriales», a dit Poutine), finlandisation de l’Ukraine, départ du « régime » actuel (eg. Zelensky).
  • La négociation en coulisse devrait se conduire d’abord entre Washington et Moscou. Cela inquiète Zelensky, bien sûr, qui craint de se voir dicter les conditions.
  • Les Européens en sont absents. Cela a conduit O. Scholz à appeler directement V Poutine d’abord pour des raisons de politique intérieure (le chancelier de la paix) mais aussi extérieure (démontrer aux Américains qu’il appuiera toute négociation). Le reste des Européens ne sera pas consulté mais on lui demandera de payer et d’accueillir l’Ukraine dans l’UE.
  • Sur le terrain, les deux belligérants intensifient leur effort, offensif pour les Russes, défensif pour les Ukrainiens, de façon à façonner la réalité militaire : contrôle de territoire russe par l’Ukraine, prise d’un maximum de territoire ukrainien par la Russie). Ici se révèle tout l’enjeu de la poche de Soudja : les Ukrainiens espèrent encore en tenir une grande partie en janvier ou février de façon à avoir quelque chose à échanger. Les Russes vont tout faire pour la réduire d’ici là.

Plusieurs questions se posent :

  • Si l’on connaît les arguments de Trump sur Zelensky, on s’interroge sur ses moyens de pression sur Poutine : il peut certes menacer d’augmenter drastiquement son soutien militaire à l’Ukraine mais ce discours est-il crédible ?
  • Poutine est-il finalement disposé à trouver un accord ? Il engagera certainement des négociations (ça n’engage à rien, les combats continueront) mais que veut-il lâcher pour parvenir à un accord ? Lui seul connaît réellement l’état de son armée et sa capacité à poursuivre la guerre, sachant qu’elle aussi connaît des difficultés de recrutement et que le maître du Kremlin veut éviter à toute force la mobilisation. Cette fragilité suffit-elle à le convaincre de signer un accord ?
  • Comment garantir ensuite la pérennité de cet accord ? Cette inconnue dépend évidemment de ses termes mais aussi des moyens mis en place pour le faire respecter. Paradoxalement, c’est à ce moment-là qu’il faut installer une dissuasion conventionnelle.

Mardi 19 novembre, la guerre aura commencé 1000 jours plus tôt. Il est à craindre qu’elle ne continue jusqu’à durer trois ans (février 2025). Mais se poursuivra-t-elle encore longtemps après ?

OK

4 thoughts on “Bilan n° 100 du 17 novembre 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. On peut s’interroger sur l’origine des informations concernant les pertes ukrainiennes qui seraient « globalement minimes » et les pertes russes « d’un niveau conséquent »… La constante progression russe, qui s’accompagne régulièrement de tentatives d’encerclement suivies de retraits ukrainiens, semble illustrer le contraire d’assauts frontaux couteux. La précision des armes et des observations expliquent la relative lenteur de la progression, et le rapport des feux, c’est aussi le rapport des drones. Cela concerne les centres urbains cibles (Koupiansk, Kurakovo, Toresk, Sieversk, Chasiv Yar) dont les chutes semblent déjà inéluctables à court terme.

    Il faudrait parler de la légende des coréens du nord, toujours invisibles, et de la menace conséquente de l’autorisation des armes à longue portée, l’ensemble ressemblant à une fake news de première grandeur, relayée par des journaux peu crédibles. Les annonces de négociations menées par les équipes de Trump avec l’histoire des troupes britanniques en Ukraine sont tout aussi risibles, et très certainement dépourvues de toute réalité. Rien ne permet de considérer que la Russie puisse souhaiter « négocier », alors qu’elle est manifestement en position d' »exiger » la réalisation de ses objectifs explicites, démilitarisation et dénazification d’une Ukraine neutralisée, donc débarrassée de sa gouvernance et de ses projets militaristes.
    Il parait absolument vain d’imaginer une « négociation » au sujet de la Russie occupée, ce qui semble être la chimère poursuivie par un parti Ukrainien dont l’irrationalité désastreuse, poursuivie et encouragée par les occidentaux, n’a pour objet que de causer des centaines de milliers de morts inutiles.

  2. La progression vers l’ouest, une fois Kourakove tombée, semble aller de soi. Par contre, l’option consistant à bifurquer vers le nord, une fois atteinte la limite de l’oblast, interroge. Vingt-cinq kms environ séparent Andrivka d’Udachne et il faudrait progresser encore plus au nord pour couper la voie ferrée et la M30 venant de Pavlohrad et ravitaillant Pokrovsk. Les russes pourraient préférer, parvenus à la limite de l’oblast de Zaporijjia, poursuivre vers l’ouest, contournant des défenses ukrainiennes orientées principalement vers le sud. L’offensive serait soutenue par les unités russes situées au sud, qui fixeraient les unités ukrainiennes dans le but d’entraver leur redéploiement. L’activation du front sud, déjà avérée jusqu’à la frontière des 2 oblasts, s’élargirait alors progressivement jusqu’au secteur d’Orikhiv, où les ukrainiens ont observé des concentrations de troupes ces dernières semaines. Au passage, les russes pénétreraient le sud de l’oblast de Dnipro, vers Pokrovske, qui pourrait devenir une monnaie d’échange… A moins que les négociations viennent interrompre l’offensive dans l’intervalle…

  3. L’affaire des Coréens, toujours invisibles, a ainsi justifié la pantalonnade des attaques en profondeur, toutes interceptées avec une réponse (l’Oreshnik) qui montre que les Russes ont en plus du Khinzal un autre vecteur, cette fois à têtes multiples, qui ne peut être arrêté. Cela a provoqué, en plus d’une certaine progression de la désillusion, accentuée par les incertitudes au sujet de Trump maintenant combattu explicitement pendant l’inter règne par une direction à la fois sénile et paniquée par son futur remplacement, une certaine inquiétude en Europe et en France. Il y a de quoi.
    L’effarante prestation du « ministre des affaires étrangères », freluquet halluciné ami pour toujours de l’Ukraine fait vraiment peur…
    Le livre de Pierre Lellouche, ex ministre et député, enfin premier représentant « mainstream » explicitement hostile à la folie en cours va-t-il avoir des effets ?
    Quand va-t-on se réveiller ?

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