Ils peuvent bien s’offusquer de la trahison de leur Dieu Cargo, s’indigner que les caprices de l’Amérique soient les problèmes de l’Europe, découvrir que l’OTAN est un traité de dupes, tenter de masquer leur peur panique derrière l’emphase et les superlatifs, ce sont eux les munichois qui, au nom d’une realpolitik qu’ils avaient vouée aux gémonies, demandent maintenant à l’Ukraine d’être lucide et raisonnable.
En 1938 nous avions arbitré le déshonneur et nous avions eu la guerre : nos nouveaux Daladier ont d’emblée choisi la confrontation en 2021 et ils vont devoir capituler en rase campagne. Finie la guerre existentielle contre une armée russe si menaçante qu’elle est incapable d’empêcher une incursion dans la région de Koursk ; finie la guerre contre les drones à hélice bricolés par les Gardiens de la Révolution dans leurs garages d’Ispahan ; finie la guerre contre Kim et son chantage au couscoussier qu’il prétendit faire passer pour une bombe H.
Eux qui ne juraient que par ce couplage UE-OTAN qu’ils ont imposé dans le Traité de Lisbonne, prétextent que Donald Trump va se désengager, pour en dénoncer l’iniquité. Mais pourquoi l’Amérique se retire-t-elle ? Parce que Trump est cinglé ou parce que les Etats-Unis ont fini par comprendre qu’ils n’avaient rien à gagner à s’installer sur le Don ? Et s’ils ont admis l’utilité d’un glacis militaire, pourquoi notre intérêt d’Européens serait-il l’inverse ? Biais de raisonnement d’autant plus consternant que l’hypothèse d’une finlandisation de l’Ukraine valide ce qu’on ne cesse de répéter depuis trente ans : l’avancée de l’OTAN sur les marches russes n’a aucun sens.
Comme il n’est pas question d’accepter des cessions territoriales qui rouvriraient la voie à un redécoupage de toutes les frontières, il faut entrer dans cette négociation de sécurité continentale que Moscou demandait fin 2021. Car comment éviter que Poutine, en meilleure posture qu’avant l’invasion comme cela était prévisible dès le premier mois du conflit [1], n’impose la même neutralisation pour les Etats baltes et la Finlande, si ce n’est en obtenant la dénucléarisation de Kaliningrad et de la Biélorussie [2] ? Celles et ceux qui ont fait depuis trois ans la démonstration de leur absence d’intuition politique et de leur irresponsable inconséquence pourront-ils, en quelques semaines, se déjuger ? Il le faut, car si nous ne sortons pas de la nasse d’ici l’investiture de Donald Trump, il ne faudra pas venir chouiner que les Américains sont décidément trop méchants avec nous.
Le Cadet
[1] Le Cadet n° 89, « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes », 3 mars 2022 : « Si on s’en tient là, la Russie a son glacis et les États-Unis marchandent en ce moment un nouveau Yalta sur le dos des Européens »
[2] Le Cadet n° 94, « Borodino, Episode VI », 7 septembre 2022.