La fin d’Assad : et après ?

Il aura donc fallu dix jours aux rebelles du HTS pour balayer la Syrie d’Assad. A l’heure d’écrire ces lignes, Damas est en train de chuter et des combats se déroulent encore à Homs. S’il reste quelques petites incertitudes, la conclusion essentielle est claire : le régime d’Assad est tombé. Cela conduit à examiner les incertitudes, les scénarios et les conséquences sur le reste de la région et au-delà.

Source photo : G. Malbrunot sur Twitter (ici)

Incertitudes

Le leader du HTS, M. JOulani, paraît incontestablement un politique très habile. Il a su préparer ses troupes et adapter son discours politique pour qu’aujourd’hui, sur les grands médias, les commentateurs expliquent qu’il ne s’agit plus d’un djihadiste mais d’un islamiste. Il est vrai que la tenue de ses troupes, notamment dans les zones libérées, plaide pour la réalité d’un changement d’attitude. Dans le même temps, l’homme a su négocier avec diverses parties prenantes : certainement le parrain turc, mais aussi divers responsables de tribus ou d’ethnies à l’intérieur de la Syrie. Autrement dit, l’attaque a été soigneusement préparée et exécutée.

La première incertitude vient de là : je soupçonne que personne n’imaginait que l’armée d’Assad s’écroulerait aussi rapidement. La vitesse de la prise d’Alep a surpris tous les observateurs. Elle a entraîné l’abandon successif des villes au sud. Le HTS est descendu vers Hama dont l’encerclement a montré, là encore, une maîtrise opérationnelle qu’il faut souligner. Joulani a pris tous les risques pour foncer sur Damas sachant que simultanément, les rebelles venus de Deraa approchaient la capitale par le sud : comme si chacun se dépêchait de saisir Damas.

Dès lors, tout était-il prévu dès le départ ou bien la préparation s’est-elle conjuguée à une prise d’initiative et de risque finalement couronnée de succès ? J’ai le sentiment que  la deuxième hypothèse semble plus probable.

D’où une deuxième incertitude  : Si le HTS a évidemment partie liée avec la Turquie, a-t-il échappé à son parrain ? simultanément, a-t-il préalablement pris langue avec d’autres acteurs comme les Israéliens, les Américains voire les Kurdes ?

Le mot important est ici « préalable » puisqu’il est plus que probable que désormais, des discussions avec tous ces acteurs se déroulent d’une façon ou d’une autre. Notons en effet que le moment a été particulièrement bien choisi : après l’élection de Donald Trump, après la signature d’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, après quelques mois de frappes à la fois sur le Hezbollah mais aussi sur certaines infrastrcutures du régime d’Assad : outre les points de passage des approvisionnement de Syrie vers le Hezbollah, des centres de commandement ou de défense aérienne syrien ont été régulièrement frappés par Tsahal. Autrement dit, le HTS a bénéficié de facto d’une forme de préparation du champ de bataille visant les soutiens iraniens et chiites du régime. Quant aux Russes, chacun avait remarqué qu’ils étaient occupés ailleurs.

Ce qui nous mène à la troisième incertitude : les Russes vont-ils vouloir conserver leurs deux bases, celle de Hmeimim et celle de Tartous ? Elles constituent des actifs stratégiques qui ont rémunéré, depuis 2015, l’appui russe au régime. Elles ont permis aux Russes de revenir en Méditerranée mais aussi d’avoir un relais vers leur startégie proche-orientale et africaine. Or, la cession éventuelle de Tartous posera d’évidents problèmes puisque les navires russes aurons des difficultés à emprunter le Bosphore, les Turcs ayant une interprétation stricte de la convention de Montreux. Notons qu’en début de journée, on observait des camions porteurs de S 300 se déplacer probablement vers Tartous : cela signifierait qu’ils s’apprêteraient à rembarquer, ce qui marquerait un abandon. A confirmer….

Les scénarios

Que peut-il sortir de tout ceci ? Deux scénarios extrêmes se dessinent. Un scénario est exclu.

Il est impossible qu’Assad ou un successeur alaouite puisse perdurer puisque son armée et son appareil sécuritaire sont en déroute. Au mieux, quelques milices chiites (Homs) et Alalouites (région de  Lattaquié) résisteront. Il est dès lors illusoire de penser à une transition organisée.

Premier scénario : HTS chausse les bottes politiques d’Assad prenant le contrôle d’une Syrie utile  : axe Deraa Damas Alep Idlib, désert jusqu’à l’Euphrate. Quelques incertitudes demeurent sur le maintien d’une zone tampon turque au nord du pays, sur l’isolat kurde, sur l’éventuelle installation d’une poche alaouite sur la côte. Joulani réussit, grâce à des négociations habiles, à avoir un régime qui satisfait l’ensemble des populations sous son contrôle : il passe cependant beaucoup de temps à déminer à l’intérieur des intérêts qui pourront être contradictoires, surtout quand l’allégresse provoquée par la chute d’Assad laissera place à une réalité quotidienne qui ne sera pas forcément plaisante. Joulani essaiera certainement de reprendre un accès à la côte. Mais bon an mal an, voici un Etat successeur à la Syrie d’Assad qui reprend les oripeaux de l’Etat syrien. La grande question demeure celle de la nature du nouveau régime : démocratique, islamiste, unitaire ? autant de difficultés politiques aujourd’hui imprévisibles.

Deuxième scénario : La joie initiale laisse très rapidement la place à la reprise des intérêts des uns et des autres. Les différentes communautés et minorités se raidissent, chacun se replie sur un bout de terrioire qu’il contrôle, assez rapidement quelques heurts éclatent. Les Kurdes libèrent tous les djihadistes qu’ils conservent dans leur prison et ces derniers viennent reprendre le combat, bien loin du contrôle souhaité par Joulani. D’autres repartent en Europe où la question terroriste revient au premier plan des préoccupations. HTS  fait face à un éclatement de la Syrie en plusieurs principautés de taille et d’allégeance diverses. C’est le scénario libyen.

L’avenir se placera probablement entre ces deux scénarios extrêmes.

Les conséquences

Faisons le tour des voisins.

Pour la Turquie, un intérêt de court terme : renvoyer en Syrie les réfugiés installés en Turquie depuis des années et qui constituaient un problème de politique intérieure. Une certaine incertitude règne sur la relation à venir avec les Kurdes syriens qui tiennent l’Est du pays. Dans le cas d’un pouvoir central syrien, Ankara appuierait certainement une reprise en main. Une grande inconnue : l’autonomie assurée de Joulani qui ne dépend plus d’Erdogan. Enfin, la satisfaction d’avoir joué un coup aux Russes qui n’avaient pas respecté, aux yeux des Turcs, les accords d’Astana qui prévoyaient une non agression des « zones de désescalade ».

Pour Israël : D’abord l’expectative. Il y a certes la satisfaction immense de voir la liaison chiite vers le Hezbollah se  couper, ce qui renforce les coups portés lors de la guerre au Liban contre le Hezbollah. Tel Aviv va être très attentif à ce qui se passe à Damas, appuyant sans doute les rebelles du sud (Deraa), envisageant peut-être la mise en place d’une zone tampon, à l’instar de ce qu’ont fait les Turcs au Nord. D’un autre côté, le départ d’un tyran connu pour laisser place à un nouveau maître ouvre beauocup d’incertitudes. Israël n’est pas forcément ravi de voir un « islamiste », tout modéré soit-il, s’installer à Damas : et si jamais il rejoignait le front du refus ? D’un autre côté, une opportunité : voici un pays fragile qui pourrait peut-être accueillir des réfugiés palestiniens…

Pour l’Iran : Encore un pion qui tombe ! L’Iran avait été entraîné  par l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui avait suscité un certain chamboulement de la région et ravivé l’affrontement avec ISraël, au point que les deux pays ont échangé des frappes. Mais l’attaque israélienne contre le Hezbollah à la fin de l’été a mis à mal un premier mandataire chiite. Avec la chute d’Assad, voici non pas un mandataire mais un pion supplémentaire qui tombe. Les alaouites n’ont jamais été très actifs mais au moins permettaient-ils de construire ce qu’on a appelé le « croissant chiite », reliant Iran, Irak, Syrie et Liban. Le couloir est désormais coupé et l’Iran aura bien du mal à appuyer le Hezbollah. Ceci au moment où le Guide atteint un âge canonique, alors que la succession ne semble pas réglée, que la société refuse le régime… Téhéran est évidemment affaibli.

Pour les Etats-Unis : une chance incroyable pour Trump dont on se demandait ce qu’il allait pouvoir faire, tant la situation régionale paraissait bloquée. L’affaiblissement iranien lui offre une position forte dans le cadre d’une négociation dure avec Téhéran. La chute syrienne pourrait être aussi un moyen de trouver quelques échappatoires à la question palestinienne. Enfin, le relais méditerranéen des Russes est tombé, au meilleur moment qui soit : celui où la négociation entre Washington et Moscou débute.

Pour la Russie : la chute d’Assad constitue à l’évidence un revers. Le régime est abandonné sans grand regret (mais l’on comprend maintenant qu’il y avait une sorte de mauvaise humeur russe envers l’inefficacité syrienne). L’enjeu reste le maintien des deux bases (aérienne et navale) qui serait corrélé à l’appui à une poche alaouite résiduelle. Moscou voit un de ses relais régionaux chuter et au-delà une certaine influence dans la région et en Afrique s’affaisser. Cela affaiblit sa position dans sa discussion avec Trump ce qui l’incitera plus à négocier.

Voici quelques brèves analyses à chaud de ce qui est en train de se passer.

OK

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