Le défi de l’arme nucléaire (P. Tran Huu)

L’Europe compte deux puissances nucléaires indépendantes : la France et le Royaume-Uni. Cependant, leurs arsenaux nucléaires actuels, principalement axés sur la dissuasion stratégique par des frappes massives, créent une dépendance à l’égard des États-Unis pour combler les lacunes en matière de capacités non-stratégiques. Ces dernières sont cruciales pour gérer l’escalade nucléaire face à des menaces comme celles posées par la Russie.

Source image : aerospatium

Depuis l’abandon des armes nucléaires tactiques en 1996, la dissuasion nucléaire française repose sur les TN-75 (tête nucléaire 75) et les TNO (tête nucléaire océanique), transportées par les missiles M-51. L’autre composante de la dissuasion, la TNA (tête nucléaire aéroportée) est transportée par le missile air-sol moyenne portée amélioré ASMP-A qui dote les Mirages 2000N, remplacés par les Rafales depuis quelques années. L’ensemble de ses armes nucléaires sont uniquement adaptés à la dissuasion stratégique, avec des puissances élevées (150 à 300 kT).

Les missiles Pluton, puis Hadès avaient un rôle d’ultime avertissement et était des missiles « préstratégique » destinés à être utilisé sur le champ de bataille pour marquer le passage du « seuil nucléaire » avant d’envisager de déclencher la frappe nucléaire massive.

Depuis 1996, la France ne dispose plus d’options flexibles pour les scénarios non-stratégiques.

Les Britanniques possèdent une dissuasion nucléaire autonome en termes de décision politique, mais cette autonomie est soutenue par une base technologique et logistique profondément intégrée avec les États-Unis. Une souveraineté indépendante mais techniquement interdépendante, voilà l’essence de leur posture nucléaire !

Le Royaume-Uni ne dispose pas d’infrastructures pour développer des capacités nucléaires indépendantes et, s’il avait une capacité de production de têtes nucléaires, il faudrait que ces dernières soient compatibles avec le lanceur américain.

D’autre part, la dissuasion britannique part du postulat que la base de Faslane (HMBC, His Majesty Base Clyde) reste anglaise. Cette base abrite toute la flotte sous-marine britannique or, en cas d’indépendance de l’Ecosse, il n’est pas certain qu’elle puisse encore être opérationnelle dans ce but. La question s’était posée, lors du dernier référendum sur la question de l’indépendance, car les Indépendantistes écossais sont « Nuclear Free ». Une hypothèse avait été étudiée, celle d’abriter les sous-marins dans la base de l’Ile Longue en attendant la construction d’une nouvelle base en Angleterre… !

De leur côté, les Russes disposent d’armes nucléaires non-stratégique comme le 9M723K1 dont on découvre, à l’occasion de la guerre en Ukraine, qu’il dispose de leurres électromagnétiques, qui outre la trajectoire semi-balistique du missile a permis de tromper les systèmes antimissiles ukrainiens. D’une portée d’environ 500 km, ce missile ne menace pas directement l’Europe otanienne. En revanche, le missile 9M729-Orechnik lui peut toucher les capitales européennes depuis le territoire russe.

Si Bernard Brodie, dans « The Absolute Weapon: Atomic Power and World Order » a affirmé que « Les armes nucléaires ne sont pas faites pour être utilisées, mais pour dissuader », force est de constater que Vladimir Poutine, en n’excluant pas l’utilisation d’armes nucléaires préstratégique dans la guerre qu’il mène en Ukraine,  reprend, à son compte, la pensée du général Pierre Gallois qui, dans son ouvrage « Stratégie de l’âge nucléaire » (1960), a fortement insisté sur la capacité des armes nucléaires à conférer une autonomie stratégique aux nations, quelle que soit leur puissance relative. Pour Poutine, comme pour Gallois, l’arme nucléaire nivelle les écarts de puissance conventionnelle et, donc, en cas d’intervention de l’OTAN, les Russes n’hésiteront pas à utiliser le nucléaire « tactique ».

Face à la menace, les Européens ont toujours compté sur les alliances dont la principale, issue du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.

Ce n’est un mystère pour personne, l’OTAN repose avant tout sur les Américains selon l’adage qui veut que « qui commande, paye ». Adage qui, au fil des ans, s’est transformé en « qui paye, commande ».

Se pose alors la question de la fiabilité de l’allié américain. Il faut se rappeler l’adage, attribué à Henry Kissinger, « Les Etats-Unis n’ont pas d’amis, ni d’ennemis. Seulement des intérêts » qui est une approche réaliste des relations internationales, où les alliances et les hostilités sont perçues comme dictées par les intérêts stratégiques et non par des considérations émotionnelles ou morales. Cela signifie que les décisions politiques des États-Unis (comme celles de nombreux autres États) sont guidées par la poursuite de leurs objectifs nationaux, qu’il s’agisse de sécurité, d’économie ou d’influence. Par exemple, dans le cadre de la guerre en Ukraine, les Etats-Unis ont obtenu au moins une chose : supprimer l’approvisionnement européen en gaz russe au profit du gaz en provenance des Etats-Unis… Et je ne parle pas du « réassort » en armes et munitions américaines des armées européennes…

Pour l’heure, les Etats-Unis ont toujours honoré les traités et accords de défense même si leur désengagement comme en Afghanistan en 2021 a passablement déstabilisé les Alliés de l’OTAN qui, rappelons-le, sont intervenus dans ce pays, en soutien aux Etats-Unis…

Les États-Unis restent des alliés fiables lorsqu’il existe une convergence d’intérêts stratégiques claires. Lorsque cette convergence disparait, ils se désengagent et abandonnent leurs alliés comme avec les Kurdes en Syrie… De plus la politique étrangère américaine est guidée par leurs propres priorités et peut fluctuer avec les changements d’administration comme on va, sans doute, le voir avec l’arrivée du 47e président des Etats-Unis.

Que peut faire la France face à la menace russe ? Probablement réviser la doctrine nucléaire pour inclure, de nouveau, les options non-stratégiques ce qui va imposer de se rééquiper en têtes nucléaires de faible puissance ou à puissance modulable. Cette perspective reste largement hypothétique compte tenu de l’état catastrophique des finances…

Inciter et aider les Britanniques à déployer une dissuasion aérienne pour la flotte F-35, incluant des missiles à faible puissance avec, toutefois le même écueil budgétaire puisque les capacités financières britanniques sont aussi contraintes que les nôtres.

Reste une solution européenne tout aussi improbable non pas pour des raisons budgétaires mais pour des raisons purement politiques selon l’adage d’Henry Kissinger qui veut que chaque pays soit guidé par sa propre perception de ses intérêts…

Pendant des décennies, on a voulu percevoir les dividendes de la paix. Aujourd’hui, on risque d’en assumer les conséquences à moins d’abandonner le soutien à l’Ukraine avec pour corollaire de faire le deuil de notre humanité.

Végèce avait écrit, dans « Epitoma rei militaris » cette fameuse locution : « Si vis pacem, para bellum » ( « Si tu veux la paix, prépare la guerre ») affirmant ainsi que la force militaire est essentielle pour garantir la paix. Bien sûr, la paix devrait davantage reposer sur le dialogue, la réduction des armes et la coopération mais c’est oublier ce que disait Rocco, dans « 100.000 dollars au soleil », « Quand un mec de 100 kilos dit quelque chose, celui de 60 l’écoute. »…

Pascal TRAN-HUU

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