Après le point d’étape du 11 novembre (ici), hissons-nous au niveau géostratégique en ce début d’année 2025 pour voir où nous en sommes et essayer de deviner ce qui nous attend.
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Reprenons le langage de l’apôtre Paul le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né. Le monde ancien, c’est celui de l’après-guerre froide avec son cortège de dérégulations imprudentes ; le nouveau monde, c’est celui post-occidental de la fragmentation hétéroclite de la planète stratégique.
Les différents opérateurs de puissance se partagent en 2025 entre trois catégories : ceux qui freinent pour préserver au mieux les avantages de l’ancien monde, ceux qui accélèrent pour établir le monde qui se profile et en tirer le meilleur parti et les braconniers opportunistes qui réalisent de juteuses affaires en s’alliant entre eux ou avec l’un ou l’autre des acteurs. Nous avons noté le tournant du monde (LV 253) et sommes entrés dans l’après après-guerre froide, dans ce deuxième XXIe siècle déjà évoqué (LV 214) et dans l’état de crise systémique « d’interrègne aux phénomènes morbides » que décrit Gramsci (1).
Chacun pourra mettre des noms, étatiques ou non, sur ces trois catégories d’acteurs en forte compétition en ce début d’année. Les conservateurs de tous bords, néoconservateurs américains ou réactionnaires autocrates asiatiques, veulent continuer à tirer bénéfice de la position dominante que leur ont acquis l’histoire, la géographie et l’expérience des peuples dont ils se font les gestionnaires. Les progressistes veulent enfin tirer parti à leur tour des bienfaits de la mondialisation sans devoir payer une redevance à ceux qui la contrôlent. Quant aux opportunistes, ils prospèrent dans les domaines où le flou règne, les failles des uns et des autres sont béantes et la prédation est aisée. Les grands perdants sont bien évidemment les tenants des biens communs de l’humanité (LV 133) qu’il faudrait partager équitablement.
Combien de temps cela va-t-il durer ? Nul ne le sait car il n’y a plus de volonté collective assumée et à l’œuvre, ce clan de l‘optimisme résolu dont parlait aussi Gramsci. Il n’y a pas non plus d’idée de réconciliation autour d’une révélation transcendante qu’évoquait Paul ou de solidarité avec les plus faibles, ces périphériques que martèle le pape François. Certains avancent que le désordre va durer jusqu’à la transition démographique de la planète attendue à la fin du siècle qui marquera le rééquilibrage de l’humanité sur toute l’étendue de la terre. D’autres, tels Philipulus annoncent une troisième guerre mondiale inéluctable dans les 10 ans.
Alors que faire ? Pratiquer des exercices d’hygiène stratégique. Sans exalter le passé, ni celui de la dynamique révolutionnaire radicale, ni le bonapartisme botté, ni le collectivisme béat. Demain ne sera pas la répétition d’hier, mais son simple prolongement avec l’expérience acquise. Ensuite, revenir aux voisinages géographiques et culturels qui sont les bases des intérêts communs qu’il faut s’efforcer de consolider et d’élargir sans préjudice pour les atouts des autres. Admettre qu’une forme de convergence puisse être stimulée par la diversité et que l’altérité stratégique est un atout à développer et non un frein à la coopération car l’autre n’est pas un autre moi-même à embrigader. Cesser de croire aux vertus universelles d’un modèle, fût-il occidental et éprouvé par la réussite socioéconomique d’hier, et accepter la pluralité des voies politiques, sociales, culturelles, financières, monétaires car il n’y a de Dieu que Dieu.
Redescendons pour finir de notre colline inspirée. On retrouve en ce début d’année un débat animé et totalement archaïque sur les notions de victoire et de défaite que ce soit en Ukraine ou à Gaza (LV 238). On y parle d’incertitude majeure à venir liée au caractère fantasque du président américain ou retors du PM israélien. Une victoire opérative russe versus une victoire politique du jeune et vaillant état-nation ukrainien ? Une défaite syrienne libératrice versus une victoire turque inquiétante ? Un temps européen d’affirmation attendu versus un effacement géostratégique de l’UE commise à la garde des atouts américains ? Un effondrement russe imminent par « pat géoéconomique » versus un renforcement de la profondeur stratégique de la fédération de Russie en Asie via l’Inde et la Chine ? Une transformation tactique de la guerre par dronisation massive versus une alternative ouverte dans les champs non conventionnels des menées hybrides de la guerre de l’information, des ingérences politico-sociales et cybernétiques ? Une relance stratégique de l’intimidation nucléaire par voie balistique hypervéloce sur fond incontrôlé et criminel d’attentats ciblés et d’éliminations préventives ? Sans parler de l’imminence d’une trêve militaire sur la ligne de front du Donetsk à laquelle ne sont résolus ni Kiev qui refuse de céder une once de territoire légal ni Moscou qui veut un traitement définitif et juridique de la neutralisation ukrainienne. On est loin du compte. Pourtant de chaque côté, les peuples cousins aspirent à la même paix, stabilité, prospérité et modernité et à la fin des combats dont chacun veut sortir en vainqueur sûr de son bon droit.
Refuse-t-on de voir tous ces hiatus qui constellent le terrain vague stratégique actuel ?
Pourtant, le stratégiste relève surtout vu de Sirius la coupure indigne du continent européen entre Atlantique et Oural par une nouveau front de partage militaire, une ligne de démarcation entre hostiles qui s’adonnent à une guerre froide d’un nouveau type avec des assauts meurtriers et absurdes. On a pris soin à l’Ouest de couper de façon irréversible tous les canaux énergétiques, financiers, diplomatiques avec cette autre partie russe de l’Europe centrale qui va jusqu’à l’Oural qu’il faudra bien un jour réintégrer. D’un côté des Européens transis et velléitaires obligés de la stratégie américaine, de l’autre une fédération de Russie rejetée vers l’Asie et obligée de la Chine. Le stratégiste notera avec dépit que les puissances maritimes anglo-américaines acharnées selon les principes de Mac Kinder à empêcher la connivence entre les puissances continentales allemandes et russes ont réussi l’exploit absurde de liguer contre eux leurs deux ex-challengers de la guerre froide, Russie et Chine. Alors, à l’extérieur de ces frasques des puissances euroatlantiques, le reste du monde se distancie et se réorganise (LV 252). Il refuse l’incursion de la rivalité sino-américaine dans d’autres espaces stratégiques et récuse toute forme d’alignement à venir. Chacun pour soi.
Et la France ? Elle court toujours après une grande stratégie (LV 171) pour ces temps troublés.
JD
(1) Gramsci, Cahiers de prison, Éditions Gallimard sous la responsabilité de Robert Paris : Cahier 3, §34, 283.
Étonnant de voir que toute la confusion décrite inclut pourtant ce qui la cause: subordination de l’Europe aux USA, absurdité de la destruction des liens Europe Russie qui oblige à l’alliance de la Russie avec la Chine menaçante.
Tout cela au nom de l’écho poursuivi de la guerre froide et de la poursuite de la lutte du siècle dernier contre l’ours soviétique, terreur et horreur de l’est européen autrefois martyrisé et toujours traumatisé. Comme si tous les conflits, dénués de sens, n’étaient que la poursuite hors de propos des anciens cauchemars.
Alors qu’on ne réalise que sur le tard que l’Allemagne a bien mené vingt ans contre la France dispendieuse et méprisée une guerre énergétique impitoyable et veut s’armer, que la Pologne rêve d’un accès à la « seconde mer » et s’arme, que la Turquie veut s’étendre en Europe par la colonisation et au Proche-Orient par les armes, on ne tremble que d’une invasion russe, pourtant notre allié naturel contre la Chine et l’Amérique…
La géopolitique et la stratégie ne seraient-elles que des divertissements pour les fous ?