La Vigie a le plaisir de présenter succinctement le travail de Vincent Tourret, Doctorant UQAM, Chercheur associé à la FRS, qui travaille sur la culture stratégique russe. Il nous présente ici son dernier article paru dans la revue Vortex (numéro 7 ici) qui explicite la dronisation du champs de bataille. A La Vigie, nous suivons attentivement ces évolutions, comme nous avons pu en parler en évoquant la sphère aérobalistique (LV 255). Merci à lui.
Source photo : BFM
Depuis bientôt 3 ans, la guerre en Ukraine a été le théâtre d’un bouleversement : 𝗹𝗮 𝗱𝗿𝗼𝗻𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗺𝗮𝘀𝘀𝗶𝘃𝗲 𝗱𝘂 𝗰𝗵𝗮𝗺𝗽 𝗱𝗲 𝗯𝗮𝘁𝗮𝗶𝗹𝗹𝗲. Armes miracles ? Aviation du pauvre ? Confrontés à la prolifération de ces appareils, nous peinons à les évaluer.
Ce défi relève autant d’une urgence opérationnelle et technique pour nos forces que d’une crise des cadres d’analyses à notre disposition. Parlons nous d’un aéronef ? d’un missile primitif ? d’une simple grenade téléopérée ? Comment appréhender les effets de leur massification ?
L’approche classique fut d’étudier et de différencier les drones à travers leurs performances techniques en terme de portée, de charge utile et d’altitude: mini-drone, drone MALE,HALE, etc. Implicitement, la fonction d’un drone était équivalente à son design. Ce n’est plus le cas.
L’électrification et l’internet du champs de bataille, les progrès de l’impression 3D et la maturité d’un marché de drones civils (majoritairement chinois) ont transformé les drones en chimères à tout faire, reparamétrables à volonté et consommables à merci.
D’une plateforme bien identifiée, le drone est ainsi l’expression de deux évolutions :
- L’extension des capacités de frappe de précision sur le champ de bataille. Droniser, c’est rendre précis n’importe quelle arme à sa disposition.
- l’avènement d’une « guerre participative »: la dronisation est le reflet de l’entrée en guerre des sociétés digitalisées et globalisée. Que ce soit pour financer la production, former les opérateurs ou se coordonner, la guerre se joue en réseaux.
Pour résoudre cette équation, mon article propose:
- – d’examiner les drones à travers les stratégies d’emploi que les acteurs ont imaginé pour les utiliser. Cela permet de mesurer l’écart entre objectifs initiaux et ceux atteints et d’interroger la compréhension des belligérants ;
- – d’analyser leurs performances non pas intrinsèquement, mais selon les caractéristiques des armements qu’ils remplacent ou améliorent. On mesure ainsi plus finement l’impact de la dronisation sur les opérations et le champ de bataille.
- – de comprendre le drone non plus comme un objet, mais comme un processus de « dronisation », soit une transformation non seulement technique, mais également sociétale, à l’instar de ce qu’à pu représenter la motorisation au siècle passé.
Mon article établit donc :
- – une genèse des développements doctrinaux et capacitaires, russes et ukrainiens, avant et pendant la guerre, depuis la chute de l’URSS.
- – une comparaison de ces 2 schémas de pensée, leur influence réciproque, et leur réaction à l’épreuve du terrain.
L’article a été majoritairement écrit de janvier à mars 2024. Il est basé sur une compilation et analyse des principaux manuels, journaux militaires ukrainiens et russe depuis les années 1990. Littéralement plusieurs centaines de livres et articles. Des schémas traduits inédits. Certains des développements plus récents n’ont donc pas pu être pris en compte, mais les principales conclusions de l’article ont pu être confirmées par mon voyage de recherche en Ukraine (juillet 2024) et par les relectures attentives de bénévoles et de spécialistes.
Je tiens à remercier tout particulièrement @jchnoel et l’équipe de Vortex, qui m’ont laissé carte blanche pour écrire ce pensum. Ensuite, les camarades @MICHELYohann, @Leo_PeriaPeigne , les retours inestimables de @GuyPlopsky et le regard acéré de @HartreeFock aux stats impeccables.
V. Tourret
Merci pour le remarquable exemplaire de la revue Vortex!
On aura apprécié par-dessus tout l’entretien avec Benoist Bihan qui ne va pas, politiquement correct oblige, jusqu’à évoquer l’art opératif mis en oeuvre en Ukraine au-delà de la mécompréhension incompétente flagrante de la part des « stratèges » occidentaux.
Pourra-t-on dire que l’éclatante victoire russe à venir (une fois que l’Occident se pliera à la volonté du vainqueur ) est d’abord intellectuelle ?