« Si on s’en tient là, la Russie a son glacis et les Etats-Unis marchandent un nouveau Yalta sur le dos des Européens [1] » Il aura donc fallu attendre la Saint-Valentin 2025 pour que l’Europe comprenne que l’Amérique est une planche pourrie.
Ce n’est pourtant pas faute de l’en avoir avertie, quand le Cadet rappelait cet apophtegme de Kissinger : « It may be dangerous to be America’s ennemy. But to be America’s friend is fatal. [2] ». Les Russes ont gagné parce qu’ils ont fait de l’Ukraine une question politique. Comment avons-nous pu, à leur inverse, régresser, oublier la leçon de Clausewitz, re-essentialiser cette guerre et faire de la dispute du Dniepr une querelle anthropologique ?
A total and unmitigated defeat, avait dit Churchill au lendemain de Munich. L’Europe n’a rien voulu voir venir et ne comprend même pas son déclassement, dénonçant un coup de poignard dans le dos alors qu’il lui a été porté de face. « On hésite entre La nef des fous de Bosch et Les aveugles trébuchant de Brueghel [3]. » Dans ce contexte prévisible et prévu, la France doit rappeler son singulier statut, « sans considération – sauf de courtoisie – pour les Etats westphaliens des marches européennes dont l’hypertrophie des egos se résoudra dans leur humiliation [4] ». Elle doit s’imposer à la table des négociations « en tant qu’ordonnateur du feu nucléaire et non comme membre de l’OTAN [5] » ni de l’UE. Elle doit dire « Je » même si ça fait mauvais genre [6], faute de quoi elle coulera avec le Titanic. C’est le dernier métro et il n’y en aura pas d’autre de si tôt. On lui opposera ses engagements inconsidérés et ses promesses irréfléchies d’indéfectible soutien ; elle invoquera le parjure de l’intelligence.
Comment oublier les inepties lues et entendues, où l’esprit français a sombré ces trois dernières années ? « Feindre de savoir tout ce qu’on ignore, d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; s’enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n’est que vide et creux [7]. » Ne glosait-on pas encore récemment, dans un texte du SACT titré A question of time, sur « la brutalité de l’accélération géopolitique » et notre « complète sidération » devant ces nouvelles qui nous « laissent hébétés devant nos fils X (sic) ». Mais pas de panique, nous serions couverts par « les articles du Traité de Washington, formidablement bien rédigés (resic) ». Que va-t-on pouvoir faire de tous ces Bullshit jobs qui, pour paraphraser de nouveau Audiard, osent vraiment tout mais ne cherchent même plus à ce qu’on ne les reconnaisse pas ?
[1] « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes », n° 89, mars 2022.
[2] « Puisque le Château cite le Cadet », n° 96, décembre 2022.
[3] « Une connerie », n° 91, mai 2022.
[4] « La brigue des egos (sotie européenne) », n° 92, juin 2022.
[5] « Le retour de Folamour », n° 88, février 2022.
[6] « Mauvais genre », n° 98, février 2023.
[7] Beaumarchais, Le mariage de Figaro, Acte III, scène 5.