Pour une grande stratégie navale et maritime (E. Lambert)

Les défis stratégiques (retour de la guerre) et géopolitiques (bouleversement trumpien) usscitent évidemment beaucoup de débats et d’interrogation. APrès un billet récnt sur l’armée de Terre (ici), nous sommes heureux d’accueillir au jourd’hui u long texte d’Eric Lambert de Bagration sur la stratégie navale et maritime, qui répond aux écrits de La vigie parus récemment (LV 260, LV 257). LV

Source photo : Miarroba

Introduction : La France, une puissance insulaire

Au début du XXIe siècle, la France se trouve dans une position paradoxale. Bien que géographiquement ancrée sur le continent européen, sa réalité géostratégique s’apparente davantage à celle d’une puissance insulaire. Avec la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde, s’étendant sur environ 11 millions de kilomètres carrés, la France possède des atouts maritimes exceptionnels. Ses territoires ultramarins, stratégiquement situés dans l’Indo-Pacifique, l’Atlantique, les Caraïbes et l’océan Indien, lui confèrent une capacité unique de projection de puissance à l’échelle mondiale.

Les Atouts Maritimes Uniques de la France

Malgré cette position privilégiée, les gouvernements français successifs ont systématiquement sous-estimé l’ampleur de leur responsabilité maritime. Le sous-financement chronique, des erreurs stratégiques et un biais institutionnel en faveur des capacités militaires continentales ont considérablement affaibli la capacité de la France à sécuriser ses intérêts maritimes. Cet article examine comment le sous-investissement dans la sécurité maritime — en particulier dans les capacités navales, la surveillance et le soutien logistique — menace le statut de la France en tant que première puissance maritime européenne.

Le domaine maritime français est non seulement vaste, mais également riche en ressources et en avantages stratégiques. Sa ZEE abrite des écosystèmes diversifiés regorgeant de vie marine, d’importantes réserves d’hydrocarbures ainsi que des sites potentiels pour le développement des énergies renouvelables. De plus, les fonds marins situés dans cette zone recèlent des ressources minérales précieuses, indispensables aux technologies émergentes. Cependant, la gestion et la protection efficaces de ces actifs nécessitent des investissements conséquents dans les infrastructures maritimes et les capacités de défense.

Les ports français, tels que Le Havre, Marseille et Nantes-Saint-Nazaire, jouent un rôle essentiel dans le commerce international. Le port de Marseille, par exemple, a enregistré une augmentation de 30 % du nombre de conteneurs déchargés par escale entre 2013 et 2019, grâce à des investissements permettant d’accueillir des navires de plus grande capacité. Cette modernisation a entraîné une hausse de 32 % du nombre de conteneurs traités quotidiennement. Pourtant, malgré ces améliorations, les ports français peinent encore à rivaliser avec les grands hubs maritimes mondiaux en matière de capacité et d’innovation technologique.

Par ailleurs, la flotte marchande française demeure modeste par rapport aux grandes puissances maritimes, ce qui constitue une vulnérabilité stratégique majeure. En 2024, la France ne contrôle que 430 navires marchands, un chiffre dérisoire face aux 4 000 navires de la Grèce ou aux 2 200 de l’Allemagne. Cette situation limite son influence dans le commerce maritime mondial. Or, avec 90 % des échanges commerciaux effectués par voie maritime, cette faiblesse compromet l’autonomie stratégique du pays. Elle le rend dépendant de navires battant pavillon étranger, immatriculés sous des registres fiscaux optimisés comme ceux du Panama ou du Liberia. Une telle dépendance pose un risque sécuritaire critique en cas de crise, lorsque l’accès à ces navires pourrait être restreint, voire interdit, en raison de tensions géopolitiques.

L’absence d’une flotte nationale robuste impacte également la capacité de la France à sécuriser ses routes commerciales. Les territoires ultramarins français étant dispersés aux quatre coins du globe, le transport maritime est crucial pour assurer leur connectivité économique, notamment dans l’Indo-Pacifique. Pourtant, contrairement aux États-Unis, qui disposent du Maritime Security Program (MSP) garantissant l’accès à une flotte stratégique en temps de crise, la France ne s’est pas dotée d’une politique maritime marchande ambitieuse.

Parallèlement, si la Marine nationale demeure une force technologiquement avancée, la composition de sa flotte ne reflète pas les exigences d’une ZEE de 11 millions de km². Le Charles de Gaulle reste le seul porte-avions français, générant une lacune capacitaire lorsqu’il est en maintenance, à la différence du Royaume-Uni qui mise sur une stratégie à deux porte-avions. De même, la flotte de surface — composée de huit frégates FREMM, cinq frégates de classe La Fayette et deux destroyers de défense aérienne de classe Horizon complété par 23 batîments de second rang allant de la “frégate de surveillance” (des OPV lourds et – à l’époque de leur lancement assez lourdement armés), les cachocyme PHM — apparaît insuffisante pour protéger les intérêts maritimes français, particulièrement dispersés.

La situation est encore plus critique dans l’Indo-Pacifique, où la France possède d’immenses territoires mais ne dispose que de quelques patrouilleurs faiblement armés et de moyens de surveillance limités. Contrairement à des acteurs régionaux comme la Chine ou l’Australie, qui développent rapidement leur présence navale, la France ne maintient aucune force de dissuasion permanente et crédible dans cette région hautement stratégique.

Ce sous-investissement, tant dans la marine marchande que dans la marine de guerre, met en lumière une incapacité structurelle à aligner la stratégie maritime sur les réalités géopolitiques. Malgré la plus vaste façade maritime d’Europe, la France ne se dote pas des moyens nécessaires pour sécuriser ses lignes de communication économiques et protéger sa souveraineté, rendant urgente une réévaluation de ses priorités en matière de défense maritime.

Si les atouts maritimes de la France lui offrent des opportunités considérables en matière de développement économique et d’influence stratégique, la concrétisation de ce potentiel exige une stratégie maritime ambitieuse et suffisamment financée. Combler les lacunes actuelles et réorienter l’effort stratégique vers le domaine maritime est impératif pour que la France puisse assumer pleinement son rôle de première puissance maritime européenne.

Une Puissance Négligée

Le vaste domaine maritime français confère au pays des avantages inégalés, faisant de lui un acteur potentiel de premier plan sur la scène maritime mondiale. Sa zone économique exclusive (ZEE), la deuxième plus étendue au monde avec environ 11 millions de kilomètres carrés, témoigne de cette richesse. Cette immensité regorge de ressources naturelles précieuses : zones de pêche abondantes, gisements significatifs d’hydrocarbures, minéraux rares et sites prometteurs pour les énergies renouvelables offshore. D’un point de vue stratégique, les territoires ultramarins français — Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, La Réunion — placent la France sur des routes commerciales majeures, notamment dans l’Indo-Pacifique, renforçant ainsi son levier géostratégique et économique.

Cependant, l’exploitation et la protection efficaces de ces actifs maritimes nécessitent des infrastructures solides et des mesures de sécurité rigoureuses. À une époque marquée par la montée des tensions régionales, la piraterie, la pêche illégale et les incursions étrangères portant atteinte à la souveraineté, la sécurisation de ces espaces devient une priorité absolue. Or, malgré l’évidence de ces enjeux, un décalage persiste entre le potentiel maritime de la France et ses priorités stratégiques.

Un élément clé de cette puissance maritime repose sur les infrastructures portuaires. La France possède des ports commerciaux majeurs tels que Le Havre, Marseille et Nantes-Saint-Nazaire, qui jouent un rôle essentiel dans le commerce européen. Entre 2013 et 2019, le port de Marseille a enregistré une hausse de 30 % du nombre de conteneurs déchargés par escale, grâce à des investissements destinés à accueillir des navires de plus grande capacité. Cette modernisation a conduit à une augmentation de 32 % du volume de conteneurs traités quotidiennement. Malgré ces progrès, les ports français restent en retrait en matière de capacité et d’innovation technologique par rapport aux leaders mondiaux. À titre de comparaison, Rotterdam a massivement investi dans des technologies portuaires intelligentes et des systèmes de surveillance automatisés, établissant ainsi de nouvelles normes en matière d’efficacité et de sécurité. L’insuffisance des financements accordés aux ports français les expose à des menaces telles que la contrebande et l’espionnage économique, fragilisant ainsi les intérêts économiques et sécuritaires du pays.

De plus, la flotte marchande française a connu un déclin significatif dans les classements internationaux. Au 1er juillet 2021, elle comptait 424 navires, la plaçant au 27e rang mondial en termes de tonnage contrôlé. En comparaison, les grandes nations maritimes comme la Grèce, le Japon et la Chine disposent de flottes se chiffrant en milliers d’unités, la Grèce contrôlant à elle seule plus de 4 000 navires. Cette capacité réduite nuit non seulement à la compétitivité française dans le transport maritime international, mais limite aussi son autonomie stratégique en temps de crise. La dépendance aux navires battant pavillon étranger représente un risque majeur : en cas de tensions géopolitiques, l’accès à ces navires pourrait être restreint ou soumis à des décisions étrangères. L’absence d’une grande flotte nationale signifie que la France pourrait se voir privée de ressources essentielles à son économie et à sa sécurité en période de crise.

En conclusion, si les atouts maritimes de la France lui offrent un socle solide pour son développement économique et son rayonnement stratégique, le sous-investissement chronique dans ses infrastructures et ses moyens de sécurité entrave pleinement l’exploitation de ces avantages. Il devient impératif de combler ces lacunes afin de réaffirmer le statut de la France comme puissance maritime majeure et de garantir une protection efficace de ses intérêts maritimes.

Le sous-investissement chronique dans la Marine nationale : Le pilier oublié de la souveraineté maritime

La Marine nationale est reconnue pour son excellence opérationnelle, affichant l’un des meilleurs taux de disponibilité parmi les marines européennes. Cette performance est en grande partie attribuable au Service de Soutien de la Flotte (SSF), dont les stratégies de maintenance ont permis d’optimiser l’efficacité d’une flotte pourtant contrainte en effectifs. Toutefois, une haute disponibilité ne saurait compenser un nombre insuffisant de plateformes. Cette réalité met en lumière à la fois la performance du modèle du SSF et les conséquences de trois décennies de sous-investissement, qui ont laissé la France sans les moyens navals nécessaires pour sécuriser efficacement son vaste domaine maritime.

L‘insuffisance de patrouilleurs hauturiers modernes et heavily armed

Les patrouilleurs hauturiers (OPV – Offshore Patrol Vessels) sont essentiels à la sécurité maritime, assurant la surveillance, la protection des pêches, la lutte contre la contrebande et l’application des lois dans la ZEE française. Les frégates de surveillance classe Floréal, mises en service dans les années 1990, remplissent en partie ce rôle mais sont désormais vieillissantes et insuffisamment armées face aux menaces modernes.

Conscient de cette lacune, l’État a lancé le programme Patrouilleurs Hauturiers (PH) pour remplacer ces bâtiments. Toutefois, seulement sept nouveaux OPV ont été commandés, avec des livraisons s’étalant jusqu’en 2030. Cette cadence insuffisante laisse un vide capacitaire préoccupant. Par comparaison, le Royaume-Uni a mis en service 12 nouveaux OPV et l’Australie 12 classe Arafura, démontrant un engagement bien plus conséquent en matière de surveillance maritime. Dans ce contexte, la France peine à garantir la sécurité de ses territoires ultramarins, notamment dans l’Indo-Pacifique.

Un manque critique de navires de soutien logistique

Les navires de soutien logistique, tels que ceux de la classe Jacques Chevallier, sont indispensables aux opérations navales de longue portée. Ces bâtiments assurent le ravitaillement en carburant, munitions et provisions, permettant aux navires de combat de maintenir leurs opérations loin des bases métropolitaines. Or, la France ne dispose que de quatre pétroliers-ravitailleurs, une capacité limitée par rapport aux besoins d’une marine à vocation mondiale.

À titre de comparaison, le Royaume-Uni aligne six pétroliers modernisés de la Royal Fleet Auxiliary (RFA), tandis que la Chine a construit plus de 20 navires de soutien en une décennie pour accompagner l’essor de sa flotte militaire. Sans un nombre suffisant de navires de soutien, la Marine nationale est incapable de projeter durablement sa puissance et de maintenir une présence persistante dans des zones stratégiques comme l’Indo-Pacifique.

Le Déficit en Bâtiments Spécialisés (BATRAL, B2M)

Au-delà des navires de combat, une marine souveraine doit également disposer de bâtiments spécialisés pour le transport amphibie, l’aide humanitaire et le soutien aux territoires ultramarins.

  • Les navires de débarquement classe BATRAL, autrefois essentiels au transport de troupes et d’équipements vers les territoires d’outre-mer, ont été retirés du service sans remplacement direct.
  • Les Bâtiments Multi-Missions (B2M), tels que ceux de la classe D’Entrecasteaux, ont été introduits pour combler partiellement cette lacune. Cependant, seuls quatre unités sont en service, un chiffre très insuffisantpour couvrir l’ensemble des besoins de la France dans ses possessions ultramarines.
  • Ces B2M sont faiblement armés et ne peuvent remplacer pleinement les capacités offertes par les BATRAL, notamment en matière de projection de forces et de logistique d’urgence.

En conséquence, la France est incapable de déployer rapidement ses forces dans ses territoires ultramarins, la contraignant à dépendre de moyens civils ou alliés pour assurer sa mobilité stratégique. Cela réduit considérablement sa capacité de réponse aux crises sécuritaires, notamment dans des régions sensibles comme l’Indo-Pacifique ou les Caraïbes.

Les conséquences stratégiques : une souveraineté en péril

Sans une flotte suffisante de patrouilleurs, de navires de soutien et de bâtiments de transport spécialisés, la capacité de la France à exercer une souveraineté pleine et entière sur son domaine maritime est compromise. Si la flotte de combat française reste technologiquement avancée, la souveraineté maritime ne se limite pas à la guerre navale : elle repose également sur la présence permanente, la dissuasion et la capacité de réponse rapide aux crises.

  • L’Indo-Pacifique, où 1,6 million de citoyens français résident et où la France contrôle 9 millions de km² de ZEE, est particulièrement vulnérable.
  • Les phénomènes de pêche illégale, de contrebande et de provocations par des gardes-côtes étrangers se multiplient, contestant de facto les revendications maritimes françaises. Pourtant, la France ne dispose pas d’une force de dissuasion navale prépositionnée suffisamment robuste pour y faire face.
  • Les crises humanitaires dans les territoires ultramarins, notamment lors de cyclones ou de catastrophes naturelles, nécessitent des capacités de réaction rapide que les rares navires de soutien français ne permettent pas toujours de garantir.

Une nécessité urgente d’investissement

Pour aligner sa flotte navale avec ses obligations stratégiques mondiales, la France doit rapidement renforcer et moderniser ses capacités de sécurité maritime. Cela implique :

  1. Porter à au moins 15 le nombre de patrouilleurs hauturiers modernes, afin d’assurer une surveillance permanente et dissuasive dans chaque territoire d’outre-mer.
  2. Augmenter le nombre de navires de soutien logistique pour garantir une présence navale durable dans l’Indo-Pacifique et au-delà.
  3. Investir dans de nouveaux bâtiments amphibies et de transport, pour assurer la rapidité de projection des forces et le soutien humanitaire.
  4. Accélérer la livraison et le financement de ces plateformes pour éviter les retards de programme qui ont historiquement entravé les modernisations de la Marine nationale.

Ne pas combler ces lacunes reviendrait à compromettre le statut de la France en tant que puissance maritime mondiale, fragiliser sa souveraineté, exposer ses intérêts économiques et réduire son influence stratégique. Une marine forte ne se résume pas aux seuls navires de combat : elle repose sur une présence permanente et crédible, indispensable à la sécurisation du domaine maritime français et à la pérennité du rôle global de la France.

Une vision stratégique manquante : une nation à la croisée des chemins

Au cœur des défis maritimes de la France réside une incohérence stratégique profonde — une dissonance entre ses ambitions maritimes mondiales et les moyens qu’elle se donne pour les soutenir. Bien que la France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde, couvrant plus de 10,2 millions de kilomètres carrés, son investissement militaire et économique pour sécuriser et exploiter cet atout maritime reste dramatiquement insuffisant.

La Loi de Programmation Militaire (LPM) 2023, qui alloue 413 milliards d’euros à la défense nationale pour la période 2024-2030, ne traduit pas un engagement réel en faveur de la puissance maritime. Le poids du dissuasif nucléaire et des forces terrestres continentales absorbe l’essentiel de ce budget, laissant la Marine nationale sous-financée, sous-dimensionnée et mal alignée sur les menaces émergentes en Indo-Pacifique et dans l’Atlantique. Plutôt que de moderniser sa flotte de patrouilleurs, d’élargir ses capacités amphibies et logistiques, et de renforcer ses bases d’outre-mer, la France continue de privilégier une posture défensive centrée sur l’Europe, au détriment des impératifs de projection maritime du XXIe siècle.

Cette absence de vision stratégique cohérente soulève une question cruciale :

La France peut-elle encore se permettre d’être une puissance mondiale ?

Depuis des décennies, la France s’acharne à maintenir l’illusion de sa puissance globale, se revendiquant comme une nation de premier plan grâce à son arsenal nucléaire, son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et son héritage maritime historique. Pourtant, en réalité, sa politique navale et maritime révèle un pays qui s’épuise à vouloir tenir des engagements qu’il ne peut plus soutenir financièrement et stratégiquement.

Une posture stratégique obsolète

La doctrine stratégique française reste ancrée dans des paradigmes dépassés de la Guerre froide, où la défense continentale et la dissuasion nucléaire constituaient les piliers de la sécurité nationale. Ce réflexe perdure aujourd’hui, avec des décideurs focalisés sur le flanc est de l’OTAN et la dissuasion conventionnelle, ignorant les enjeux maritimes majeurs du XXIe siècle.

  • Une présence symbolique en Indo-Pacifique, mais sans force crédible : Les déploiements navals ponctuels et les exercices conjoints ne sauraient remplacer une présence permanente et prépositionnée, alors même que la Chine développe une force maritime militaire et paramilitaire écrasante.
  • Des bases ultramarines sous-financées et mal équipées : Si la France maintient des implantations stratégiques en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion et en Polynésie française, ces bases manquent des infrastructures, des moyens logistiques et du soutien naval nécessaire pour assurer des opérations prolongées.
  • Une flotte de patrouilleurs insuffisante pour protéger la ZEE : Alors que les phénomènes de pêche illégale, de contrebande et de crimes environnementaux explosent dans les territoires ultramarins, la France ne dispose pas d’un nombre suffisant de patrouilleurs hauturiers modernes pour assurer une présence effective dans son immense domaine maritime.

Un Choix de Cohérence : Réduire les Ambitions Globales ou Investir dans la Suprématie Maritime ?

À ce stade, la France doit faire un choix stratégique clair :

  1. Réduire ses ambitions maritimes pour les aligner sur ses capacités financières et opérationnelles réelles.Cela signifierait renoncer à une présence navale mondiale et recentrer les moyens disponibles sur la défense régionale européenne et les opérations de l’OTAN.
    • Limiter les engagements navals outre-mer.
    • Concentrer les efforts sur la sécurité continentale et la dissuasion nucléaire.
    • Accepter que la France ne puisse plus maintenir une présence simultanée en Indo-Pacifique et dans l’Atlantique.
  1. Investir massivement dans la puissance maritime pour correspondre aux impératifs stratégiques de son domaine maritime. Cela impliquerait un effort budgétaire significatif et une accélération du renouvellement des forces navales, notamment par :
    • L’extension de la flotte de patrouilleurs à au moins 15 OPV lourdement armés pour assurer une surveillance efficace de la ZEE.
    • La construction de nouveaux navires de soutien logistique et de ravitaillement, afin de garantir la viabilité opérationnelle d’une présence maritime durable.
    • Le renforcement de la présence en Indo-Pacifique avec le déploiement permanent d’une force navale de combat apte à dissuader et réagir face aux menaces.

Un moment de vérité stratégique

La France est à un tournant : soit elle réajuste ses ambitions mondiales à la réalité de ses moyens, soit elle engage les investissements nécessaires pour assumer pleinement son statut de puissance maritime.

Ne pas faire ce choix, c’est s’enliser dans une paralysie stratégique, où la France continue de projeter des aspirations mondiales sans disposer des ressources, de l’infrastructure et de la force nécessaire pour les réaliser.

Le XXIe siècle est une ère maritime, et la France ne peut plus se permettre d’ignorer l’écart grandissant entre ses prétentions et ses capacités réelles.

Un appel à une renaissance maritime : une stratégie réaliste et pragmatique pour la France

Les capacités navales françaises sont à un tournant historique, prises entre ambition et réalité. Depuis trois décennies, les gouvernements successifs ont négligé l’investissement dans la puissance maritime, privilégiant les forces terrestres, la dissuasion nucléaire et la défense continentale, au détriment du domaine qui fait de la France une puissance mondiale : la mer. Résultat : une marine professionnelle et technologiquement avancée, mais numériquement insuffisante et logiquement déficiente pour assurer une présence effective sur ses 10,2 millions de km² de ZEE.

La question n’est plus de savoir si la France doit réinvestir dans sa puissance navale — elle le doit. Mais dans le contexte économique et budgétaire contraint de 2025, ce réinvestissement ne peut pas suivre le modèle des cycles d’acquisition coûteux de la Guerre froide. La France doit adopter une approche plus intelligente et plus économique, en privilégiant la masse, la durabilité et l’efficacité opérationnelle plutôt que les projets de prestige qui drainent des ressources sans offrir de véritables capacités militaires.

Une nouvelle stratégie : reconstruire la masse navale avec pragmatisme

Si la France veut retrouver son statut de première puissance maritime européenne, elle doit rompre avec les modèles dépassés du passé et renforcer ses capacités via des solutions évolutives et rentables. Les mesures suivantes sont indispensables et doivent être mises en œuvre immédiatement pour corriger des décennies de négligence stratégique.

  1. Augmenter le budget naval—mais dépenser de manière intelligente

Il est irréaliste d’espérer un basculement brutal de 35 % du budget de la défense vers la marine, alors que la France reste engagée dans l’OTAN, la dissuasion nucléaire et les opérations de contre-terrorisme. En revanche, une augmentation progressive et structurée du financement naval est nécessaire et réalisable.

  • Objectif à court terme (2025-2030) : Faire passer la part de la Marine nationale de 19 % du budget de défense à 25 %, en mettant l’accent sur les unités à déploiement rapide, comme les OPV, les systèmes sans équipage et le soutien logistique.
  • Objectif à long terme (2030-2040) : Évoluer vers une allocation de 30 %, permettant une expansion durable de la flotte sans perturber la planification globale de la défense.

Pour optimiser l’efficacité, la France doit éviter les solutions sophistiquées et coûteuses, en privilégiant des plateformes simples, évolutives et abordables plutôt que des programmes de prestige à l’utilité opérationnelle limitée.

  1. Renforcer la présence outre-mer—mais miser sur la logistique et l’autonomie

La présence navale française dans le monde est illusoire sans un soutien logistique solide. Construire de nouvelles bases navales massives en Indo-Pacifique est financièrement irréaliste et stratégiquement inutile. À la place, la France devrait :

  • Moderniser et étendre ses bases existantes à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et à Djibouti, en améliorant les capacités de ravitaillement, d’entretien et de stockage avancé.
  • Négocier davantage d’accords d’accès avec des alliés régionaux (Inde, Australie, Japon), afin d’exploiter leurs infrastructures existantes plutôt que de construire de nouvelles installations.
  • Investir dans des solutions autonomes de ravitaillement et de soutien, comme des navires-dépôts contrôlés par drones et des plateformes logistiques modulaires, réduisant ainsi le coût des installations fixes lourdes.
  1. Prioriser la masse plutôt que le prestige dans la flotte de patrouilleurs (OPV)

L’une des plus graves lacunes de la Marine nationale est l’absence de patrouilleurs hauturiers modernes et bien armés capables d’assurer la souveraineté de l’une des plus vastes ZEE du monde.

Le modèle traditionnel d’acquisition navale ne fonctionne plus : la France ne peut pas continuer à construire des OPV au prix de frégates (comparaison outrageuse mais examplarise que le peu d’unités produites ne permet pas un effet de série suffisant abaissant mécaniquement le prix des batiments). Elle doit s’inspirer des modèles australien, sud-coréen et japonais, qui ont développé des navires de patrouille efficaces, fortement armés, évolutifs et produits en grand nombre.

  • Objectif à court terme (2025-2030) : Avoir en service 15 à 18 OPV lourds (9 en service actuellement) comparables aux Arafura australiens, capables d’opérer de manière autonome en zones contestées et complétant le nombre de Floreal.
  • Utilisation de designs dérivés du secteur civil (comme pour les Floreal à l’époque): Limiter la personnalisation excessive permettrait une réduction des coûts de 40 % par rapport aux cycles d’acquisition militaire classiques.
  • Expansion à long terme (2030-2040) : Porter la flotte de patrouilleurs à 25 OPV Lourd et 6 Navires remplacant les Floréal portant ainsi le nombre à 30 / 31, assurant une force de souveraineté permanente sur la ZEE.

Ces navires, moins chers et plus simples, permettront de libérer les batîments de premier rang pour des missions de haute intensité (mais également leur potentiel), tout en garantissant une couverture maritime continue.

  1. Améliorer la surveillance maritime avec des solutions scalables

Surveiller le domaine maritime français uniquement avec des navires traditionnels est inefficace et coûteux. Plutôt qu’une simple augmentation du nombre de bâtiments, la France doit intégrer une approche de surveillance en réseau, combinant satellites, drones et IA pour réduire les coûts et maximiser l’efficacité.

  • Accroître l’utilisation des drones pour la patrouille maritime, garantissant une ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) persistante à faible coût.
  • Déployer un réseau de capteurs autonomes en mer, incluant des USV (navires de surface sans équipage) et des bouées de surveillance avancées.
  • Exploiter l’IA pour détecter les menaces (pêche illégale, contrebande, incursions étrangères) via l’analyse de données satellitaires mais surtout de drones.
  1. Renforcer les capacités amphibies et de soutien—avec des solutions pragmatique

Sans une profondeur logistique, la marine ne peut pas soutenir ses opérations mondiales. La France manque de navires de soutien, de plateformes amphibies et de ravitailleurs, mais au lieu de construire des unités neuves coûteuses, elle peut :

  • Convertir des navires commerciaux en plateformes auxiliaires, accélérant ainsi le renforcement des capacités de soutien (cf: le P701 Le Malin – ayant le mérite de poser un cadre à défaut d’un modèle)
  • Acheter des unités civile récente à convertir (permettant  ainsi de dédier les précieux Jacques Chevallier au soutien des batiments de combat), assurant une présence logistique permanente dans l’Indo-Pacifique.
  • Développer des navires logistiques modulaires, pouvant être utilisés à la fois pour des missions militaires et humanitaires, maximisant ainsi le rapport coût-efficacité. (En cela le programme de remplacement des BATRAL par un navire comparable soutenu par le couple Theriot/Larsonneur durant les travaux de préparation de l’actuelle LPM – ou le LCAT de la CNIM – en complément des BSAOM offre des solutions rapidement constructibles).

Conclusion 1 : une nouvelle doctrine maritime pragmatique

La France est à un tournant stratégique. Elle ne peut plus prétendre être une puissance navale mondiale tout en sous-finançant sa flotte et en négligeant la masse nécessaire à l’exercice de sa souveraineté maritime.

Le choix est clair :

  • Soit la France aligne ses ambitions maritimes sur ses moyens réels, en privilégiant la sécurité régionale et la protection de sa ZEE plutôt que des opérations globales coûteuses.
  • Soit elle s’engage dans une véritable réinvention de sa puissance navale, en adoptant des solutions évolutives, rentables et pragmatiques pour restaurer une force maritime crédible.

Les dix prochaines années seront décisives. Poursuivre sur la voie actuelle ferait de la France une puissance navale en déclin, dépendante de ses alliés pour sa propre sécurité maritime.

Il est temps d’une renaissance maritime, basée sur la réalité économique et la logique stratégique, et non sur la nostalgie d’un passé révolu.

Conclusion 2 : la France à un point de rupture – un choix entre survie et déclin

La France ne peut plus se permettre d’entretenir des illusions sur sa puissance maritime. La réalité est brutale : des décennies de sous-investissement, d’inertie politique et d’une doctrine stratégique déconnectée des réalités géopolitiques ont laissé la Marine nationale sous-équipée, surchargée et incapable de sécuriser efficacement la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde.

Si la France ne prend pas les mesures nécessaires dès maintenant, son influence maritime mondiale s’éteindra, non par la force, mais par sa propre négligence. Les océans sont de plus en plus contestés, et la souveraineté maritime ne se décrète pas par des discours — elle s’impose par une présence permanente et crédible.

La question n’est plus de savoir si la France doit réinvestir dans sa puissance navale — elle le doit. La véritable interrogation est de savoir si elle en a encore la volonté et les moyens pour maintenir la crédibilité de ses ambitions maritimes. Le choix est simple et sans détour :

  • Soit la France restructure radicalement et renforce sa stratégie navale, en misant sur des solutions réalistes et économiquement viables pour reconstruire une flotte capable de défendre ses intérêts maritimes.
  • Soit elle poursuit sur sa trajectoire actuelle, conduisant à un déclin inévitable où elle abandonnera progressivement le contrôle de ses propres eaux à des puissances plus affirmées, devenant une nation de second rang dans les affaires maritimes, en dépit de l’immensité de son domaine océanique.

Ce débat ne se limite pas aux navires et aux budgets — il engage la souveraineté même de la France. Sans un réinvestissement urgent et ciblé, la France se condamne à regarder depuis les tribunes pendant que d’autres imposent les règles sur les océans.

Il n’existe pas de troisième voie:  Seuls l’action ou l’insignifiance

E. Lambert

2 thoughts on “Pour une grande stratégie navale et maritime (E. Lambert)

  1. Les intérêts stratégiques de la France ne sont ni en Ukraine ni en Pologne ou dans les Pays baltes.

    Nul besoin de bâtir une armée de terre dotée d’un corps d’armée mécanisé et blindé capable d’aller affronter une Russie, pays par ailleurs incapable de conquérir un pays comme l’Ukraine, dans les plaines orientales.

    Et s’il venait à l’idée d’un voisin belliqueux de venir envahir notre territoire, nous avons pour l’en dissuader une force de dissuasion.

    Par contre nous devons nous prémunir de la tentation que pourraient avoir certains pays de nous faire subir dans les territoires ultra-marins ce que les Argentins ont fait subir au Royaume Uni aux Falklands. Comme nous avons pu le voir avec les Britanniques, une réponse avec une frappe nucléaire ne serait guère possible.

    Pour nous prémunir d’une telle menace et dissuader des dirigeants aventureux, nous avons avant tout besoin d’une marine puissante capable de projeter un corps expéditionnaire à l’autre bout de la planète pour défendre les Antilles, la Guyane, la Réunion, la Nouvelle Calédonie ou la Polynésie. Et bien évidement les infrastructures qui vont avec.

    Pour conclure, c’est quand même un comble pour un pays à la tête de la 2eme ZEE au monde que solde commercial soit déficitaire pour les produits de la mer.

  2. Le tort de toutes les considérations sur l’insuffisance (évidente) des moyens consacrés à la défense en général est qu’on déduit des nécessités de diminution (ou de maintien) de ces moyens, ce qui en consacre l’insuffisance, ou bien d’augmentation de ceux-cis, ce qui consacre
    les dépenses publiques excessives d’un pays épuisé par sa fiscalité excessive malgré sa dette, elle-même excessive.
    Avant de parler puissance ou même souveraineté militaire, il convient d’en avoir les moyens et donc de se doter de l’économie en rapport. D’abord supprimer certaines dépenses, ensuite diminuer en conséquence les impôts, et sur la base d’une production en augmentation du fait de cet allègement, consacrer des ressources supplémentaires à faire ce qu’il convient.

    a) Mais pourquoi diable a-t-on donné 278 millions d’euros à la Chine entre 2018 et 2020 au titre de l’aide au développement ?
    b) Mais pourquoi diable prévoit-on de consacrer 1,5 milliard d’euros par an au Service National Universel?
    c) Mais pourquoi diable construit-on des parcs éoliens sur terre et sur mer pour des centaines de milliards d’euros (construction ET raccordement) alors que la production d’énergie nucléaire plus ses développements à venir est évidemment ce qu’il faut faire exclusivement ?

    Le traitement immédiat de ces trois points permettrait de dégager immédiatement les ressources nécessaires à faire ce qu’il faudrait en matière maritime de par le monde.
    Nul ne peut dire qu’il ne sait pas.

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