Dans une situation stratégique aussi fluide, comment garder le bon cap ? Comment conduire une manœuvre efficace ? Comment se débarrasser de biais stratégiques intempestifs ? De l’Europe à l’Afrique, la pratique est difficile, les difficultés se suivent et se ressemblent.
Les trous du Quai (Le Cadet n° 81)
Amin Maalouf, dans son ouvrage Les Croisades vues par les Arabes, explique que le glissement de civilisation tient pour beaucoup dans l’instauration par les Francs d’une légalité, certes féodale mais prémisse de la règle de droit. C’est ce que nous ne sommes plus capables de défendre. On sait les indignations sélectives de nos diplomates : enlever un opposant biélorusse n’est pas bien, mais lorsque le dictateur rwandais se vante avoir fait de même, ils se précipitent à Kigali comme leurs anciens à Munich. S’ils semblent très soucieux de la santé des embastillés de Poutine, ils le sont moins de celle de Julian Assange dont les conditions de détention violent les principes de la Convention européenne de 1950. Et tandis que des précieuses ridicules reprochent à des petits marquis de se mobiliser davantage pour les enfants palestiniens que pour les femmes afghanes brûlées à l’acide, on ne les entend pas du tout sur Hong Kong.
Dans cet arbitrage des élégances se dessine, sur la question d’Orient, la frontière de cette fantasmée guerre civile que nous annoncent d’inénarrables pseudo-philosophes de cour et de gare, qui importent le conflit tout en en accusant ceux qu’ils qualifient d’agents infiltrés du Hamas, y compris dans l’équipe de France. Que dire également des raisonnables qui, sous couvert de tenir le juste milieu entre les deux camps, tombent dans le piège du slogan Paix contre Territoires ? Les Palestiniens ont droit à l’Etat voté en 1947, dans le tracé accepté de 1948-1967, sans abandon de souveraineté. Leur demander de vivre dans un bantoustan désarmé, protestant tous les matins de leur amour inconditionnel pour le voisin nucléarisé, est une ânerie qui fait le jeu de ceux qui se pâment devant Tsahal et son Dôme de Fer, système anti-missiles dont l’efficacité semble avérée puisque pas une résolution des Nations Unies n’a pu atteindre Israël en un demi-siècle.
Car personne ne peut accepter la prédation comme mode d’acquisition, comme le disait déjà Charles de Gaulle lors d’une fameuse conférence de presse dont on a oublié l’essentiel du fait d’un mot malheureux : « Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion, et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Nos diplomates, qui ne réagissent qu’une fois les trêves signées et leur suzerain américain sorti du bois, tout en prenant bien soin d’éluder la question de l’occupation, ne comprennent pas que ce qui mobilise les opinions publiques n’est pas l’identification à tels ou tels – sauf pour ceux qui voient dans Israël un front avancé – mais la violation de la règle de droit. On en connaît également – souvent les mêmes – qui demandent la suppression du double degré de juridiction et la sortie de la France de la Convention de 1950. Il faut avouer que c’est bien ennuyeux, la légalité !
Le Cadet
Le futur de la Bundeswehr (J. Crisetig)
C’est la saison des stages. Voici le premier opus de notre stagiaire de cette année, Joël Crisetig, qui nous parle du futur de la Bundeswehr. Cela renvoie au document britannique récent qui est plus une revue de défense et de politique étrangère, dont nous vous avions récemment parlé (LV 165). Bienvenue à lui et merci… LV.
Les « Eckpunkte für die Bundeswehr der Zukunft » : vraie restructuration de l’armée ou effet d’annonce ?
Présentés au grand public le 18 mai 2021 par la ministre de la défense Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) et par le chef d’état-major de la Bundeswehr Eberhard Zorn, les « Eckpunkte für die Bundeswehr der Zukunft » (« Pierres angulaires pour la Bundeswehr de demain ») visent à réorganiser la Bundeswehr afin de la rendre plus « opérationnelle » et plus « réactive », sans toutefois la réformer en profondeur.
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La Vigie 168 : Du nouveau au Moyen-Orient I Dissuasion inversée I Lorgnette : Rafale en rafales
Lettre de La Vigie datée du 26 mai 2021
Du nouveau au Moyen-Orient
Le théâtre moyen-oriental évolue très rapidement. En effet, l’Arabie Séoudite semble mener une remise à zéro de sa politique extérieure, reprenant langue avec le Qatar et la Syrie, approfondissant son dialogue avec l’Irak et ouvrant même les ponts avec l’Iran. Pendant ce temps-là, Joe Biden avance prudemment dans sa reprise des négociations avec Téhéran, tandis qu’Israël se retrouve dans une impasse.
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La dissuasion inversée
La pensée stratégique française de la dissuasion nucléaire est traditionnellement dominée par une vision, extrêmement réaliste. La dissuasion du faible au fort est efficace et évidente. En réalité, des calculs purement matériels ne suffisent pas à expliquer l’usage, mais surtout le non-usage de la bombe nucléaire en premier depuis 1945. Il faut prendre notamment en compte des facteurs normatifs comme celui du “tabou nucléaire”: qui est véritablement dissuadé de faire quoi ? La question est plus ouverte qu’il n’y paraît.
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Lorgnette : Rafales en Rafales
Dassault vient de vendre une trentaine de chasseurs Rafale supplémentaires à l’Égypte, ainsi qu’une douzaine à la Croatie, tandis qu’on annonce une vente prochaine à l’Indonésie. Cette rafale de succès surprend, quand on se souvient des difficiles débuts commerciaux de l’appareil. Pourquoi l’avion se vend-il si bien aujourd’hui ?
Observons une reprise générale de l’équipement militaire à travers le monde d’autant que beaucoup de pays doivent renouveler leurs flottes, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans. L’offre russe est moins intéressante et beaucoup de pays ont souhaité prendre leurs distances avec les États-Unis, à la suite des excès de D. Trump. Dès lors, l’alternative européenne plaît. Le Rafale cumule plusieurs avantages : plus cher que le Gripen mais doté de capacités bien supérieures, il a été conçu pour être mis à niveau régulièrement et offre aujourd’hui une polyvalence que l’Eurofighter n’a pas.
Un avion national peut donc trouver son chemin commercial et la coopération internationale ne constitue pas forcément une nécessité économique indispensable : à rappeler au moment de dures négociations sur le SCAF !
JOCV
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Du nouveau au Moyen-Orient (LV 168)
Le théâtre moyen-oriental évolue très rapidement. En effet, l’Arabie Séoudite semble mener une remise à zéro de sa politique extérieure, reprenant langue avec le Qatar et la Syrie, approfondissant son dialogue avec l’Irak et ouvrant même les ponts avec l’Iran. Pendant ce temps-là, Joe Biden avance prudemment dans sa reprise des négociations avec Téhéran, tandis qu’Israël se retrouve dans une impasse.
Dissuasion inversée ( LV 168)
Penser en Chine (Anne Cheng dir.)
Notre fidèle correspondant, X. d’Abzac, qui nous avait déjà éclairé sur les débats en Chine (voir billet), nous propose ici une fiche de lecture du dernier ouvrage d’Anne Cheng. Mille mercis à lui. LV
En 2007, Anne Cheng présentait La pensée en Chine aujourd’hui (ici), un ouvrage collectif d’auteurs choisis pour leur compétence et leur indépendance. Plus de dix ans après, la réunion d’un nouveau collectif, nourri par la somme des mutations de la Chine, nous offre Penser en Chine, un ouvrage de synthèse sur l’état de ce pays qui a envahi notre paysage médiatique au quotidien dans tous les domaines.
Au terminus des prétentieux (Le Cadet n° 80)
S’il existe des signaux forts, en voici en cascade ! Après la réapparition des sextants et la disparition des écrans tactiles dans l’US Navy, voilà que l’Air Force se fâche pour de bon, contre le F-35 on s’en doute, mais pas seulement : c’est la course mortifère à la sur-technologie et aux concepts vides imposés par les industriels qui est – encore – dénoncée. A quoi sert de fantasmer une guerre pour après-demain si on la perd aujourd’hui, si Barkhane n’a pas d’hélicoptères lourds et que le COS se fournit à l’étranger, si la Royale n’a que huit FREMM pour couvrir toutes les mers du globe, si le Jaguar remplaçant nos AMX-10RC n’a qu’un 40 mm et qu’on lorgne déjà vers les tourelles Cockerill pour retrouver du 105, si on abandonne le Transall C-160 plutôt que de le passer en quadri et le moderniser comme les Américains font de leur Hercules C-130 de 60 ans, pour un A-400M juste bon à faire des cabrioles au Bourget et des évacuations Covid ?
Le F-35 vole comme un pingouin, son surnom dans l’USAF, c’est une évidence, et comme ces consommables de photocopieuses qui font flamber les budgets – pour reprendre une image du site opex360.com, – ses versions, ses prothèses, ses déclinaisons multiples constituent d’ores et déjà un gouffre financier. Mais l’obsession faustienne de la furtivité a saisi l’OTAN. « Nous nous prosternons devant l’autel de la haute technologie et sommes sur le point de vendre notre âme, relève Dan Pedersen, l’inventeur du Top Gun. La furtivité est comme un zombie, un zombie très onéreux ». Fort heureusement l’USAF, dans ses dernières prospectives et son projet de chasseur génération 4.5, n’en parle plus. Ce qu’elle veut désormais est un vrai avion avec de vraies armes et de vrais pilotes. Comme le F-16, le F/A-18, ou notre Rafale tricolore.
Celui-là même que, au nom d’une collaboration rhénane bien aléatoire, nous sommes prêts à jeter aux orties pour un gros insecte SCAF prétendument furtif. Quant au projet mégalomane de PANG de 300 mètres et 75.000 tonnes, nécessité par le poids du gros insecte (furtivité, furtivité), il a toutes les chances de connaître le même sort qu’en son temps un certain Royal Louis, ce trois-ponts du temps de Louis XV qui, même allégé et rasé en flute, resta à quai. La Royale ne sait-elle plus faire les arbitrages qui donnèrent le 74 canons, pour préférer une copie de CVN américain à deux nouveaux Charles-de-Gaulle ? D’autant que l’achat de deux catapultes électromagnétiques made in USA au titre des Foreign Military Sales, de brins d’arrêt, d’appareil d’appontage et de trois avions-radar E-2D, nous coutera au bas mot 3 à 5 milliards d’euros, autant que le navire lui-même. C’est le principe des consommables et c’est le prix de notre dépendance nationale pour trois-quarts de siècle. Après ça on s’étonne que nos voisins allemands haussent les épaules quand on leur propose une armée européenne désaméricanisée. Ach ! ces Français prétentieux, toujours le mot pour rire !
Le Cadet
La Vigie 167 : Les fronts sécuritaires français | La Haute intensité | Lorgnette : Abandon afghan
Lettre de La Vigie datée du 12 mai 2021
Les fronts sécuritaires français
De tous les fronts dans lesquels la France est engagée en cette période de pandémie persistance, l’un fait exception, celui de la sécurité intérieure. Fatalité, défi, transition ou menace ? Des militaires s’en inquiètent et le disent. La Vigie qui s’est régulièrement saisie de cette question se souvient. Si le pays se rassemble pour faire face collectivement, alors le ciblage avéré de la France par l’islamisme sera mis en échec sans que les forces armées aient à intervenir pour garantir l’ordre public.
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La haute intensité
Les chefs d’état-major parlent désormais de guerre de haute intensité à laquelle il faudrait se préparer à nouveau. Pourtant, celle-ci paraît peu probable, aussi bien pour des raisons stratégiques que géopolitiques. Les chefs militaires le savent parfaitement mais insistent malgré tout, pour des raisons certes valables mais indirectes. Il reste que d’autres champs, sous le seuil, méritent une très grande attention. Il ne faudrait pas que la haute intensité les fasse oublier.
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Lorgnette : Abandon afghan
La décision du président Biden de retirer les troupes américaines d’Afghanistan est logique. Elle avait tenté B. Obama comme D. Trump : prendre ses pertes, constater qu’on n’a pas rempli la mission et que les objectifs poursuivis depuis vingt ans ne sont pas atteints. Souvenez-vous, lors de la conférence de Bonn en 2001, la communauté internationale s’engageait à accompagner l’Afghanistan dans une transition démocratique vers la prospérité. Si des progrès en éducation et même en économie ont été réalisés, constatons que les taliban ont gagné, grâce au soutien du Pakistan voisin, devenu le véritable parrain islamiste de la région, avec le soutien de la Chine.
Quel avenir dès lors ? L’actuel gouvernement afghan a du souci à se faire car il sera probablement chassé assez vite. Les autres voisins tenteront de préserver le désordre : au nord (pays d’Asie centrale et au-delà Russie), à l’ouest (Iran) et au sud (Inde). Mais il est probable que le pays redeviendra un épicentre du djihadisme international, abandonné aux « barbares ». Le parrain pakistanais et le grand frère chinois seront-ils assez forts pour contrôler Kaboul ? Rien n’est moins sûr.
JOCV
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Crédit photo : S!nny on VisualHunt.com
Les fronts sécuritaires français (LV 167)
De tous les fronts dans lesquels la France est engagée en cette période de pandémie persistance, l’un fait exception, celui de la sécurité intérieure. Fatalité, défi, transition ou menace ? Des militaires s’en inquiètent et le disent. La Vigie qui s’est régulièrement saisie de cette question se souvient. Si le pays se rassemble pour faire face collectivement, alors le ciblage avéré de la France par l’islamisme sera mis en échec sans que les forces armées aient à intervenir pour garantir l’ordre public.