Les récentes annonces d’un renforcement de l’engagement allemand au Mali, puis au sein de la coalition contre Daech, contrastent avec une politique allemande de défense d’ordinaire prudente et peu encline à déployer des troupes à l’étranger. Pour rappel, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble avait déclaré début 2013 : « l’Allemagne ne veut plus être une grande puissance en politique étrangère. (…) Comment le pourrions-nous après Hitler et Auschwitz ? L’histoire laisse longtemps des traces ». Les attentats du 13 novembre 2015 auraient-ils réussi à faire prendre conscience à l’exécutif allemand de l’importance d’une contribution accrue à la lutte contre le terrorisme ? Rien n’est moins certain tant ces décisions différent, l’une s’inscrivant en trompe-l’œil et l’autre tranchant par son caractère véritablement révélateur des forces à l’œuvre sur la scène politique outre-Rhin.
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L’engagement accru au Mali, une réponse préparée
Cinq jours après le déclenchement de l’opération Serval, Angela Merkel avait surpris son monde en annonçant un soutien actif de Berlin qui se traduira finalement par l’envoi de deux avions de transport C-130 Transall au profit de la MISMA et un Airbus 310 au profit des forces françaises. A l’époque, la chancelière avait justifié ainsi son rétropédalage : « Chacun doit agir en fonction de ses moyens. Nous ne refusons pas de prendre nos responsabilités, nous le faisons sur différents terrains, en Afghanistan ou au Kosovo, où nous fournissons le plus gros contingent »[1]. Au lendemain des attentats, Paris a décidé de faire appel à l’article 42-7 du traité de l’Union Européenne, censé permettre à un pays-membre de requérir l’assistance de tous en cas d’attaque. Néanmoins, l’initiative allemande de renforts au Mali (650 hommes) ne s’inscrit pas dans le cadre de cette clause comme on a pu le lire. Comme l’a fait remarquer le journaliste Thomas Wiegold, l’augmentation de l’effectif de la Bundeswehr au Mali était dans les cartons depuis août[2] et est avant tout dû à une pression des Néerlandais en charge de la ville de Gao dans le cadre de la MINUSMA. En aucun cas, il ne s’agit de se substituer à l’opération Barkhane ou de l’appuyer dans ses missions.
Au-delà du sensationnalisme de l’annonce, il faut analyser cette décision par le prisme des rouages législatifs allemands, particulièrement compliqués lorsqu’il s’agit de défense. En effet, tout déploiement de soldats à l’étranger doit être autorisé par le Bundestag qui fixe une limite maximum des effectifs. Or, comme le pointe du doigt Jean-Dominique Merchet[3], la différence entre le contingent prévu (500 hommes ) et celui effectivement sur place (218 hommes) est énorme. Autre sujet d’inquiétude, les soldats de la Bundeswehr étaient cantonnés à un rôle d’entraînement de l’armée malienne. S’ils partent relever le contingent néerlandais, ils devront effectuer des missions dangereuses de combat, peu compatibles avec les attentes de nos voisins outre-Rhin, comme le souligne Die Welt, qui doute de la pertinence du concept de « mission de maintien de la paix » avancé par la ministre de la Défense Ursula von der Leyen[4].
La contribution à la coalition contre Daech, symbolique et responsable
Suite à l’entretien qu’elle a eu avec François Hollande le 25 novembre, Angela Merkel a décidé de porter assistance à la France dans sa lutte contre l’Etat Islamique autoproclamé en faisant plusieurs gestes significatifs. Tout d’abord, comme l’a indiqué le porte-parole de la CDU pour les questions de défense Henning Otte, l’Allemagne va « aussi (agir) en Syrie avec des avions de reconnaissance Tornado pour augmenter [son] engagement dans le combat contre le terrorisme de l’EI ». Berlin, qui n’avait que livré des armes et formé des combattants kurdes peshmergas, a de même décidé d’augmenter sensiblement le limite autorisée de ses effectifs de 100 à 150, avec les réserves déjà exprimées à ce sujet. Ursula von der Leyen a insisté sur la multitude des moyens que notre voisin est disposé à engager : « Nous pouvons fournir trois composants : une protection, de la reconnaissance et de la logistique »[5]. En l’occurrence, une frégate viendrait compléter le dispositif de protection du Charles de Gaulle tandis que les Tornado ainsi qu’un satellite s’occuperont de la reconnaissance. La logistique serait gérée par des avions Airbus 310, qui pourront venir soulager l’effort de nos ravitailleurs constamment sollicités.
Plus important, ce choix stratégique montre une réelle avancée dans le périlleux chemin de la responsabilisation de l’Allemagne. Porté outre-Rhin par Ursula von der Leyen mais aussi par Franz-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères, et Joachim Gauck, président fédéral, cet effort est avant tout l’apanage du parti chrétien-conservateur CDU, auquel s’oppose son partenaire de coalition social-démocrate, le SPD. En particulier le ministre de l’Economie Sigmar Gabriel s’oppose aux exportations de l’industrie de défense de son pays, pénalisant par là ses acteurs nationaux. Alors qu’elle avait adopté une position neutre sur le débat, la chancelière a néanmoins déclaré suite à l’entretien avec le président français : « Lorsque le président [Hollande] m’invite à réfléchir aux responsabilités supplémentaires que nous pourrions assumer, pour moi c’est une véritable mission ».
Il semblerait donc que nous soyons en train d’assister aux prémisses du changement de mentalité tant attendu. Un autre axe de progression à privilégier serait désormais un approfondissement de la coopération franco-allemande, encore stagnante.
Tancrède Wattelle est étudiant à Science Po
[1] Entretien le 15 janvier 2013 donné à la radio NDR Info
[2] Wiegold Thomas, « Bundeswehr prüft Einsatz im Norden Malis », Augen Gerade Aus, 06/08/2015
[3] Merchet Jean-Dominique, « Renforts allemands : pourquoi il faut prendre les chiffres avec prudence », L’Opinion, 25/11/2015
[4] Jungholt Thorsten, « Friedensmission ? Ein hochgefährlicher Einsatz », Die Welt, 25/11/2015
[5] Lagneau Laurent, « L’Allemagne compte renforcer sa participation à la coalition anti-EI », Opex360, 26/11/2015