For the record (Le Cadet n° 95)

J’avais pourtant rempli la moitié des musées,

Inventé l’holomètre, la photo, le ciné.

On jouait Faust et Carmen jusqu’en Patagonie,

Hollywood ne jurait que par Claude Debussy ;

On chantait Véronique, on copiait Figaro,

On exposait Monet, Fragonard ou Moreau.

Il n’était pas une île, il n’était pas une terre

Qui ne connut Valjean et ses Trois mousquetaires,

A laquelle n’ait un jour abordé mon drapeau

Blanc ou les trois couleurs, en frégate ou cargo,

Celui des Bougainville, Cartier ou Lapérouse.

Et jusqu’aux plus falotes des tierces nations, jalouses,

Toutes et tous apprenaient, des izbas aux igloos,

Ces fils de généraux, qui Dumas, qui Hugo.

Et voilà que soudain, comme un roi qu’on détrône,

Dans un concert de cris, d’imprécations de clones,

On me dit tout à trac que je suis la névrose

D’un monde globalisé en pleine métamorphose ;

Que les Lumières françaises, tout ça c’est du bullshit,

Que ça ne sert à rien, que les carottes sont cuites ;

Que l’An II, que Gavroche et le salut de l’Empire

Embellissent l’accompli mais qu’il faut en finir

De Montaigne, Montesquieu, Valéry et Voltaire,

Et de toutes ces Rêveries de promeneur solitaire.

Tout ce qui dit la France, ce nom béni de Dieu,

Ce mot de délivrance célébré en tous lieux,

On le chasse, on le traque, le conspue et le hue,

On n’a plus rien à foutre de toutes ces choses lues,

Choses sues, Choses vues. Et par désenfantement,

Tout doit être effacé et sans discernement.

Aux chiottes le libre arbitre, l’égalité en droits,

Il n’y a plus que le genre, la couleur et la foi.

Oubliés la Commune, Bir Hakeim et Valmy,

Honnis les Nymphéas et l’Encyclopédie,

La Grande Illusion et les dialogues d’Audiard,

Le roquefort, le ris de veau et le magret de canard.

Finis l’alexandrin, les vers de mirliton,

Soyons américains et devenons tous cons !

Et de ce millénaire dont l’Histoire s’est grandie,

Il ne faut rien garder et se penser petits.

Borodino, épisode VI (Le Cadet 94)

Borodino, épisode VI [1]

En conclusion de chaque défilé sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune officielle et les musiciens entonnent a capella un chant de La Grande Guerre Patriotique, dont le refrain se traduit ainsi : « Ces mots sacrés, Moscou est derrière nous, nous rappellent l’époque de Borodino » Diantre ! voilà une victoire française célébrée tous les ans au pied du tombeau de Lénine ? Sauf que pour les Russes, cette bataille fut certes une défaite tactique mais une victoire stratégique car, venant après les très durs combats de Smolensk, les Français entrèrent dans Moscou épuisés, sans vivres et sans fourrage. On sait la suite.

Les Russes en fêtent ces jours-ci le 210ème anniversaire et leur armée ne compte plus le nombre de chars détruits et les pertes humaines dans le Donbass. Mais leurs banques croulent sous les liquidités et, si leur industrie est en panne du fait des sanctions et ses perspectives totalement bouchées, ils auront cet hiver de quoi se chauffer, s’éclairer, et leurs magasins d’alimentation seront garnis y compris de porc chinois. Nous ne pouvons en dire autant. Les effets en cascade (les mauvais esprits diront : de ruissellement) de décisions inconséquentes prises sans débat et sans concertation, sur des considérations prétendument historiques où les fantasmes d’empire russe et de panslavisme ont volé au secours du sempiternel joker de Munich (« Il est des idées d’une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent y croire », disait George Orwell) n’ont servi à des anecdotiers de Franprix qu’à se monter le bourrichon sur les plateaux TV pour tenter de faire oublier que ce n’est pas l’invasion qui nous met en danger, c’est notre surréaction qui nous revient dans la gueule.

 

Mais nous devons bien « ça » à l’Ukraine ! a dit le président de la République, sans qu’on comprenne ce que cette diplomatie du « ça » recouvre. Et rien ne dit que la Russie ne parvienne à négocier ce glacis stratégique, cette zone tampon de maîtrise de l’escalade et d’arbitrage entre ses armées et celles de l’Otan, qu’elle réclamait en décembre dernier et que n’importe qui de censé peut tracer sur une carte dans son agenda.

Comme tous les dix ans, Normandie-Niémen a repeint un de ses Rafale pour célébrer la création, en 1942, de l’escadrille, avec une livrée blanche tachetée de motifs épars comme on en trouvait sur les housses de couette du catalogue de la Redoute à Roubaix. Mais pas une seule étoile rouge. Maurice de Seynes, qui se sacrifia pour tenter de sauver la vie de son mécanicien Vladimir Belozub, apprécie sûrement, du haut du paradis des héros, que l’Armée de l’Air se prête à ce genre de mesquinerie. Or s’il est un « ça », c’est à eux que nous le devons.

[1] Voir : n° 88, « Le retour de Folamour », février 2022 ; n° 89, « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes », mars 2022 ; n° 90, « Touché Coulé », avril 2022 ; n° 91, « Une connerie », mai 2022 ; n° 92, « La brigue des egos (sotie européenne) », juin 2022.

Le Cadet n° 94

Comment faire un budget ? (Le Cadet 93)

Ukraine et inflation : le budget post-covid des Armées va donner lieu aux chamailleries habituelles avec Bercy. Le logiciel comptable des LPM n’est pourtant plus de mise, dette irremboursable ou pas, et il faut remettre du gras dans les casernes comme les hôpitaux, les arsenaux comme les universités, faute de quoi tout va disparaître et à brève échéance. Revenons deux siècles en arrière.

Lorsque le baron Portal prit le portefeuille de la Marine fin 1818, celle-ci portait encore beau grâce à l’Empire, mais « les progrès de la destruction s’étendaient avec une telle rapidité, beaucoup plus vite que l’entretien et les nouvelles constructions, que si l’on persévérait dans le même système, après avoir consommé 500 millions de plus, il ne nous resterait dans dix ans presque plus ni un vaisseau ni une frégate. C’est dire que sans perdre des moments qui nous coûtaient cher, il fallait abandonner l’institution pour épargner la dépense, ou augmenter la dépense pour maintenir l’institution. Nous n’avions pas d’autre alternative ». Le budget de la Marine, fixé à 45 millions de francs par an, était la cause du dépérissement : il fallait au moins 65 millions « pour obtenir un approvisionnement de réserve et une puissance maritime de 40 vaisseaux, 50 frégates et 80 corvettes, bricks ou goélettes ». Car pour les trois-quarts d’un budget on n’a pas trois-quarts d’armée, on n’a pas d’armée du tout.

Mais injecter, comme le font les Allemands, 100 milliards dans un matériel qui n’a pas été redéfini à l’aune de l’Ukraine nous ramènerait au dilemme du Front Populaire, lorsqu’il s’agissait de produire en masse les engins existant, ou d’attendre les nouveaux mais retarder le réarmement. Et ne parlons pas de la mauvaise volonté, comme en 1936, d’industriels plus soucieux de dividendes et de technologisme que de défense nationale. C’est à nos militaires de fixer leur besoin en hélicoptères lourds, en avions de transport tactique ou en roues-canon de 120, matériels indispensables qui pourtant leur font aujourd’hui défaut.

Il s’agira ensuite de trouver l’argent ; ce n’est pas le plus difficile. Le patrimoine français, foncier, épargne ou assurance-vie, c’est 15.000 milliards. « Le consentement à l’impôt et la justice fiscale sont intrinsèquement liés à la vie des démocraties. Taxer, c’est permettre de financer les États au nom de l’intérêt général. Il est essentiel que chacun paie sa juste part de l’impôt. Or ce n’est pas le cas [1]. ». Une dîme républicaine, comme il y eut un Vingtième du temps des rois [2], c’est 1.500 milliards tout de suite. Ramassage des copies dans six semaines.

Le Cadet

[1] Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, Le Figaro, 22 octobre 2018.

[2] Voir Le Cadet in Revue Défense Nationale : « City versus Navy », janvier 2012 ; « Soldats soldés », avril 2015. Sur La Vigie : n° 60, « Don gratuit », avril 2019.

La brigue des égos (sotie européenne) (Le Cadet 92)

– Humiliation ? Je ne disputerai pas la vanité de cette assertion, vu que le problème n’est pas qu’on risque d’humilier Poutine mais qu’on n’a pas les moyens de le faire. C’est bien sympathique d’aller faire la bise pour la photo de famille dans les rues de Kiev et de promettre le quart voire davantage des canons de l’Armée française, mais les Ukrainiens ne raccompagneront pas les Russes jusqu’à Moscou. L’oligarque en treillis et barbe de huit jours rêve d’aller dormir au Kremlin, mais il ne suffit pas pour cela de se prendre pour Napoléon.

– Il ne se prend pas pour Napoléon, Cadet, il se prend pour Churchill.

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Touché coulé (Le Cadet n° 90)

Rien ne se passe donc comme prévu. Oh ! je ne veux pas parler des déboires des généraux russes mais des nôtres, préoccupants car lourds de désillusions à venir.

On annonce le retour de la guerre – certains pour s’en réjouir, en haine de cette paix européenne qu’ils nous prient de considérer comme une monstruosité –, qui plus est de haute intensité, et voilà qu’un ex-KGBiste bunkerisé dans ce Kremlin aux interminables couloirs, découvre qu’il ne suffit pas de faire parader deux fois par an des spetsnatz en telniachka et rangs serrés sur la Place Rouge pour vassaliser un pays plus grand que la France. Il vient d’y brûler son crédit et surtout son potentiel militaire pour deux décennies au moins. On l’annonçait également hybride, cette cyberguerre de la modernité totalisante, mais les deux camps n’ont réussi qu’à se neutraliser ce qui montre, si besoin en était, qu’une guerre, une vraie, ne se perd ni ne se gagne sur le réseau… sauf à Hollywood [1].

Car une armée qui prend deux mois pour investir des villes à dix lieues de ses lignes de départ, qu’on suit comme le Petit Poucet aux carcasses calcinées de ses blindés, qui perd un de ses flagship, peine à contrôler les airs et qui ne tient même pas ses troupes, n’est pas prêt de se présenter demain matin Barrière du Trône. Et c’est contre elle, tenue en échec par des commandos planqués dans les fossés et invisibles aux drones, que nos Armées se préparent à combattre ? Nous les formatons pour une guerre qui n’aura jamais lieu.

Il faut tout remettre sur la table, jeter Livres blancs et LPM à la corbeille, revoir les programmes d’armement et refaire une liste de commissions. Imagine-t-on le Jaguar, cauchemar de maquettiste, ou le Griffon, copie du Lorraine 28 de 1940, moitié plus hauts que les T-72 et autres BMP et encombrés de prothèses, circuler sur ces mêmes routes ukrainiennes sous le feu croisé cette fois-ci des Russes, embusqués dans les champs alentour ?

On objecte qu’au Sahel nos blindés auraient donné satisfaction : aux auditeurs de Nexter et de la DGA certainement, comme ont fait merveille les Leclerc au Yémen, mais moins qu’aux djihadistes qui nous voient les rembarquer. La guerre ça n’est pas du benchmarking qui n’a pas plus de valeur qu’un défilé de petits soldats devant le Kremlin, et quand ça se perd, c’est que le matériel n’est pas bon, B1-bis en 1940 ou Scorpion en 2022. Ce sont les chefs rebelles qui nous font face, et non les minets de McKinsey, qui devraient remplir nos feuilles d’évaluation de RETEX. Allah ! qui me rendra ma formidable armée [2] ?

Le Cadet

[1] Voir Le Cadet in Revue Défense Nationale : « Cyber m’était compté », décembre 2014 ; « La guerre assise », novembre 2020. Et sur La Vigie : n° 53 « Un froid cybérien », septembre 2018 ; n° 54 « L’Empereur et le Félin », octobre 2018 ; n° 58 « L’art de perdre la guerre », février 2019 ; n° 59 « Le syndrome Grouchy », mars 2019 ; n° 77 « Le Cyber des Tartares », décembre 2020.

[2] Premier vers de « La bataille perdue », in Les Orientales (16e) de Victor Hugo (1829), cité par Charles de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. Voir également : Le Cadet, « Regrets sur ma vieille armée de chambre », Revue Défense Nationale, Tribune n° 740, février 2016.

Leur joueur de poker et nos joueurs de billes (Le Cadet n° 89)

Entre l’hystérie médiatique des va-t-en-guerre du Flore et les déclarations intempestives et irresponsables de certain membre d’un gouvernement qui croit pouvoir gérer une crise nucléaire comme un virus chinois, on peine à articuler une réflexion au milieu de cet emballement qui se félicite du retour de la guerre en Europe.

Certains tentent de rappeler les promesses américaines non tenues et les mises en garde russes de 1994 et 2007, tandis que d’autres relisent les avertissements de Kennan ou Kissinger sur l’imbécilité à pousser l’OTAN toujours vers l’est. Tous sont piégés entre un droit à l’autodétermination sur lequel le vieux continent ne cesse de trébucher, de Munich à la Crimée en passant par le Kosovo, et des résolutions de l’ONU qui rappellent régulièrement que la prédation n’est plus un mode d’acquisition de territoire, qu’il s’agisse de Chypre, du Donbass ou de Jérusalem. Trop de cadavres dans trop de placards.

Aussi, comme la stratégie c’est penser local pour agir global, évitons l’erreur de Gamelin conjurant l’hypothèse des Ardennes par un brouillon de guerre totale. Poutine avait dit : « Ce n’est pas nous qui avançons vers l’OTAN, c’est l’OTAN qui avance vers nous ». Sauf qu’en ce mois de mars 2022 ce sont les Russes qui ont fait un bond en avant au contact de l’Alliance, huit cent kilomètres à l’ouest de ce que les brillants esprits du Pentagone avaient envisagé. C’est Bagration bis.

L’Ukraine, quoiqu’il advienne, n’a plus aucune chance d’intégrer l’OTAN sauf guerre continentale, la nucléarisation de la Biélorussie est entamée (et nous voilà revenu à l’époque des SS-20, traité INF dénoncé entretemps), l’oblast de Kaliningrad tient sous son feu la Pologne tandis que la Suède et la Finlande ont annoncé qu’elles ne postulaient pas pour l’OTAN, et la Crimée est devenue un gigantesque porte-avions. Si on s’en tient là, la Russie a son glacis et les États-Unis marchandent en ce moment un nouveau Yalta sur le dos des Européens.

Or lorsque Moscou proposa un accord de sécurité, la France aurait dû porter les bases d’une négociation pour un no-man’s-land militaire courant du nord au sud du continent : discutons de la Finlande, des États baltes et de l’Ukraine mais aussi de Kaliningrad, de la Biélorussie et de la Crimée. Brelan contre brelan, même un gamin de cours de récré sait négocier son chef indien en plastique contre trois billes de verre. La France a préféré s’embarquer dans la galère d’une Alliance castratrice de sa puissance nucléaire souveraine. L’Histoire jugera très sévèrement ceux qui n’ont pas saisi cette opportunité pour lui préférer la guerre, laissant le joueur de poker du Kremlin agir en primitif et prévoir en stratège (pour citer une nouvelle fois René Char). Qu’il reste ou non au pouvoir, la Russie a désormais un carré d’as qu’elle ne lâchera pas sans l’accord de sécurité qu’elle réclamait en décembre. Et il va falloir la faire reculer militairement, sans autre carte en mains que la levée de nos propres sanctions. Tout ça pour ça.

Le Cadet

Le retour de Folamour (Le Cadet n° 88)

Après la Françafrique (voir Le Cadet du mois dernier), c’est la dissuasion, autre pilier du gaullisme, qui disparait. Il n’y a que deux puissances européennes et nucléaires, la Russie et la France. Nos voisins ne sont pas nucléaires, les Anglo-américains (les Trident britanniques sont sous double-clef, pour peu que nos cousins d’outre-Channel se sentent encore européens) ne sont pas continentaux. Si les choses dégénèrent, si nous faisons la guerre en Europe, même à son extrémité orientale, nous montons aux extrêmes. Notre force de frappe interdit aux Russes de nous faire la guerre, mais elle nous interdit également de faire la guerre aux Russes. C’est une bivalence que le général Claude Le Borgne, récemment disparu, avait parfaitement comprise. Aussi, quand nous prenons le chemin de Moscou, ce ne peut être qu’en tant qu’ordonnateur du feu nucléaire français et non d’une présidence européenne, ni comme membre de l’OTAN.

Sommes-nous prêts, Français, à entrer dans une confrontation nucléaire avec la Russie pour l’empêcher d’avancer jusqu’au Dniepr qui serait la nouvelle ligne bleue des Vosges de nos intérêts stratégiques vitaux ? La question est vite répondue, comme dirait l’autre. Dès lors à quoi riment ces tartarinades qui émasculent notre capacité de raisonner souverainement ? Pourquoi surtout, au-delà de la crise de nerfs autour de l’Ukraine, inverser le précepte clausewitzien pour se rallier au fantasme américain qu’on est consterné de lire dans la dernière Vision stratégique du CEMA, qui fait de la politique l’antichambre de la guerre, une guerre avant la guerre, tout étant toujours de la guerre ? Qui a décrété, pour complaire à notre protecteur jusqu’à recopier les vieilles antiennes de la riposte graduée (seuil d’acceptabilité, seuil d’antagonisme et seuil de déclenchement d’une riposte), qu’Hobbes avait définitivement raison sur Rousseau ? La guerre en Europe a toujours été de la politique et ce n’est pas la Bombe qui y change quoi que ce soit, bien au contraire. C’est ce que vient incidemment de rappeler Poutine à l’issue de son entretien avec Macron : même pour la reconquête d’un seul village du Donbass ou d’un port de Crimée, la guerre sera nucléaire.

Fort heureusement l’article 5 du Traité n’impose rien de plus qu’un rappel d’ambassadeur, placebo en vogue en ce moment. A part satisfaire le rêve des généraux américains de planter leur bannière étoilée sur les tours du Kremlin, là où les Français plantèrent leurs trois couleurs en 1812, à quoi sert alors de s’avancer jusqu’en Ukraine ou en Finlande ? Moins les Russes auront de temps pour réagir, plus ils devront mettre en place des mécanismes de riposte automatique comme dans le film War Games, où l’ordinateur du Pentagone joue tout seul à la guerre nucléaire, nous menant dans la situation de Fail Safe et Doctor Strangelove. Espérons que ceux qui confondent guerre et cinéma, et ont fait monter la mayonnaise, sauront faire retomber le soufflé. Espérons.

Le Cadet

OSS 117, rentre à la maison ! (Le Cadet n° 87)

Une maladie de vaincus : on connait cette réponse de Foch aux négociateurs allemands qui se lamentaient à Rethondes de capituler non parce que leur armée était défaite, mais parce que les rues outre-Rhin se couvraient de barricades. Comment ne pas faire le rapprochement avec des médias africains remontés, nos convois attaqués, notre drapeau piétiné et brûlé et une junte malienne félicitant outrageusement les mercenaires russes de Wagner de premiers succès après tant d’années d’échecs français ? L’Afrique ne nous reproche pas tant de perpétrer le système colonial que d’être incapables de gagner la guerre contre le djihad. En un mot, de ne plus servir à rien. France go home ! Toute proportion gardée, la désillusion des Africains est la même qu’au soir du 17 juin 1940.

L’opération était globale, s’excuse-t-on à Paris, et ce sont ses aspects politiques et économiques locaux qui n’ont pas été implémentés (comme on dit dans les cabinets de consultants américains qui nous gouvernent). Mais c’est précisément parce que le plan était global qu’il a échoué ; non qu’une victoire militaire soit le sésame de la géopolitique, mais sans elle il n’y a rien de pérenne. Et il ne peut plus en être autrement : il est loin le temps de Serval, quand nos unités aéroblindées étaient fêtées en libératrices, nous sommes désormais incapables de rééditer l’exploit, et avant longtemps [1]. On a ainsi appris en fin d’année, la même semaine, que si la Corée du Sud et Israël ont budgété des hélicoptères lourds, ceux qui nous manquent dans le Sahel et que Barkhane a dû se faire prêter, les actuaires de Bercy ont opposé une fin de non-recevoir à nos Armées, qu’il s’agisse d’achats américains ou d’un appareil européen à concevoir. Faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou, chantait Brel. Quoique, quand il s’agit de nettoyer les bas de bilan des banques d’affaires ou de subventionner des start-up éphémères, les sous, on les trouve rapidement. La dépense oui, la défense jamais !

Et tandis qu’Américains et Russes se découpent une nouvelle fois le continent, les Français et cette fois les Britanniques étant aussi absents qu’à Yalta, l’Union Européenne annonce une réflexion, envisage de débattre, prévoit de se doter d’une boussole stratégique dans un futur hypothétique à anticiper à l’horizon d’une décennie. Mais les institutions censées la représenter sont aux abonnés absents. Si Kissinger se plaignait que l’Europe n’ait pas de numéro de téléphone, le progrès est qu’il sonne désormais dans le vide – à supposer que l’Amérique appelle. Quand on est incapable de formuler l’ombre du soupçon d’un semblant de volonté pour son voisinage, on ne prétend pas régenter des horizons lointains. Le temps de Faidherbe et Laperrine est clôt. Celui d’OSS 117 également.

[1] Voir Le Cadet : n° 67, « Sahelistan, poil aux dents », janvier 2020 ; n° 77, « Le Cyber des Tartares », décembre 2020 ; n° 82, « Sur la pointe des pieds », juin 2021.

Le Cadet

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Et maintenant ? (Le Cadet n°86)

« Il n’y a pas d’orgueil à être Français, écrivait Georges Bernanos en 1939, mais beaucoup de peine et de travail, un grand labeur. » Un très grand, effectivement, quand on relève que la presse, les médias et les sites se demandent depuis plusieurs semaines pourquoi le gouvernement français passe en force sur un dossier pourtant tranché il y a trente-trois ans, lorsque les Français ont approuvé par référendum le principe de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Qu’est-ce qui a changé entretemps, qui mérite qu’on reparte pour un tour dans une crise d’un autre siècle, à part un nouveau mot à la mode, celui d’Indo-Pacifique ? Il serait désormais d’une importance vitale de conserver une facilité navale dans la région. Mais de quelle région parle-t-on ? Le Cadet n’y est allé qu’une fois et à l’escale de Hong Kong il lui a fallu encore douze heures de vol, soit autant que pour venir de France, ce qui veut dire que Nouméa est aussi voisine de Shanghai que l’est Paris, ou que Paris l’est de San Francisco. Les Australiens eux-mêmes ont fini par comprendre que leur île-continent ne pouvait servir de base arrière, et qu’il leur faudrait projeter leurs sous-marins dans le détroit de Taïwan de manière permanente. Et nous, nous sommes encore 600 milles nautiques plus loin.

Il faudrait que nos géostratégistes de gare jouent au Risk sur un globe terrestre et pas une projection de Mercator. Et comprennent que ce n’est pas avant vingt ans qu’on verra des porte-avions chinois patrouiller en mer de Corail – pour obtenir quoi, d’ailleurs, vu que la Chine achète déjà 90 % du nickel calédonien ? –, soit le temps que les ingénieurs chinois apprennent, autrement qu’en lisant Buck Danny, le management de ces navires, l’ergonomie entre le hangar et le pont, que leurs pilotes s’entrainent aux appontages avec autre chose que des copies d’avions russes qui ne donnent pas satisfaction et que leur industrie conçoive des réacteurs fiables et puissants (la motorisation est la grande faiblesse de l’aviation chinoise, militaire et civile). A ce moment-là, que mettra en face notre Marine, elle qui aura tout juste assez de frégates pour sécuriser la Méditerranée et va devoir partager ses Rafales M avec une Armée de l’Air devenue exsangue parce que nos clients du Golfe passent devant elle ?

Et maintenant qu’allons-nous faire, tandis que les tensions sur le Caillou vont de nouveau s’exacerber et qu’une indépendance inéluctable – dont le principe est acquis depuis 1988 – et mal négociée profitera in fine à nos « alliés et amis » de l’AUKUS, qui feront de la Kanaky leur condominium comme durant la Seconde guerre mondiale ? Nous allons avoir de plus l’ONU sur les bras, le territoire est sur sa liste des dix-sept encore à « décoloniser ».

Arbitrage inepte pour un gain stratégique inexistant. « Il y a quelque part dans le monde, poursuivait Bernanos, un jeune Français qui se demande : Mon pays vaut-il la peine d’être sauvé ? A quoi bon ? ». C’est vrai qu’il y a parfois de quoi baisser les bras.

Le Cadet