American Bashing (Le Cadet n° 84)

C’est un refrain ! C’est un chant ! C’est un hymne ! Que dis-je, c’est un hymne ? C’est un oratorio d’anti-américanisme débridé qui est entonné par nos cousins d’outre-Channel depuis le 15 août, mettant à l’unisson la presse de tous bords et les Communes, là où Tory et Labour communient dans une même dénonciation de leurs anciennes Treize Colonies, ajoutant les récriminations de Theresa May aux éditoriaux ravageurs de The Economist. Outre-Rhin ce n’est pas mieux, les plus hautes autorités ont fait part de leur amertume devant le lâchage américain.

Car par-delà une défaite programmée et datée (voir le Cadet du 24 juillet), débâcle très relative et déjà consommée militairement sur le terrain dès 2010, retraite que les États-Unis encaisseront toute honte bue et amortiront comme toutes celles qu’ils ont subies depuis 1945, par-delà le sort des femmes afghanes instrumentalisées comme vitrine de ce qui n’était qu’une occupation, ou des auxiliaires de l’OTAN dont on ne commence l’évacuation que lorsqu’elle devient impossible, c’est le ridicule d’Européens suivistes et aveuglés par un mythe de puissance sur lequel les Américains eux-mêmes sont beaucoup plus lucides, qui provoque un tsunami dans les relations transatlantiques. Et encore, tsunami est un grand mot pour ce qui n’est déjà qu’une vaguelette. L’OTAN ne serait qu’un piège à cons ? Charles de Gaulle le disait déjà il y a soixante ans [1].

Car quelle différence entre Kaboul et Saïgon, entre la Géorgie en 2008 et Suez en 1956 ? À quoi rime cette découverte toujours renouvelée d’une Amérique qui ne cesse de se dérober alors que nous savons, depuis vingt ans, l’ineptie de cette guerre expéditionnaire, son inconsistance militaire et son inutilité diplomatique ? Il faut revoir – sur Netflix – le film War Machine, bancale adaptation de l’essai de Michel Hastings, The Operators : The Wild and Terrifying Inside Story of America’s War in Afghanistan, le journaliste qui fit tomber Stanley McChrystal avec son article de 2010 paru dans Rolling Stone, « The Runaway General ». Tout était écrit, et ce n’est pas le retrait qu’on dit précipité qui est déroutant, c’est que l’Amérique ne soit pas partie il y a déjà dix ans. Ce qui choque ses alliés est que, durant cette décennie, ils n’ont ni rechigné ni objecté, ils ont fait ce que le Pentagone commandait en croyant que l’Article 5 valait engagement réciproque. Leur dépit théâtral est à la mesure de leur aveuglement proverbial.

On n’entend d’ailleurs pas, pour cette fois, les Trissotins de l’Atlantisme tenter de renverser la cabane et s’extasier sur le fait que les Américains finiront bien par gagner une guerre, vu qu’ils restent les plus forts et seuls à pouvoir mettre en place un pont aérien qui évacue 100 000 réfugiés en trois semaines. Il est vrai que, depuis Valley Forge, les anciens Insurgents ont une longue expérience des retraites. Et ce n’est peut-être que cela, l’American Way of War. Les Polonais et autres Ukrainiens feraient bien d’y penser tant qu’il est encore temps.

[1] « (Les Américains) veulent rester bien au chaud. Ce qui peut se passer, en réalité, ils s’en foutent complètement, même s’ils font semblant de s’y intéresser. Ce n’est pas ça qui les empêchera de dormir. » Verbatim du 22 août 1962, rapporté par Alain Peyreffite.

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La diagonale de la défaite (Le Cadet n° 83)

C’était une défaite annoncée, prévisible et prévue. Le Cadet, qui y a consacré plusieurs billets, n’écrivait-il pas il y a huit ans que « nous allons devoir dégager d’Afghanistan après plus de dix ans d’une guerre introuvable » [1] ? Un journaliste du Daily Telegraph rapportait dès juin 2006 ce constat d’une armée américaine en pleine débandade, uniquement préoccupée de sa survie, bande d’irréguliers incapables d’initiatives (voir l’opinion de Churchill à propos du fiasco d’Anzio) mal entraînés et mal équipés, MASH en moins drôle. La Rand Corporation avait elle-même annoncé la défaite dans plusieurs rapports circonstanciés en 2008 [2].

Qu’est allée faire la France dans cette galère, et que fait-elle dans une alliance militaire avec une nation de Puritains qui ignorent d’autant plus le monde qu’ils s’en croient rejetés et vont finir par l’être ? Pourquoi titrer, comme certain hebdomadaire, sur la déroute de l’« Occident » ? On va encore mettre cette débâcle sur le compte de l’ineptie du projet de nation building, pour ne pas voir celle d’une armée américaine qui ne connaît que la répétition du trauma, qui crut venger à My Lai la déculottée de Québec de 1775, qui envoya son 7th Cavalry tenter de gagner à Bagdad, comme à Wounded Knee, la bataille perdue de Little Big Horn. Une armée qui, profitant du débarquement à Newport d’un contingent de troupes françaises en 1778, ne trouva rien de plus pressé, après trois ans d’inaction contre les Red Coats, que de faire une razzia sur les villages indiens de l’Ohio ; dont l’urgence, en pleine Guerre de Sécession et poussée confédérée, fut de pendre en 1862 une trentaine de Sioux Lakota. Une armée de carabiniers d’opérette et de tortionnaires acnéiques livrés en Afghanistan aux mêmes pulsions que dans leurs collèges du Middle West, de faux caïds suprémacistes à qui les Britanniques ne parvinrent jamais à faire ôter les lunettes teintées, à qui les Français tentèrent en vain d’expliquer qu’il faut boire le café que le chef de village vous offre de mauvaise grâce, le village étant rasé le lendemain par un de ces AC-130 Gunship inventés au Viêt Nam (The aircraft that the Taliban feared most, se vante pornographiquement l’USAF), parce qu’un opérateur de drone, devant son écran dans le Nevada, a cru apercevoir un Taliban au milieu de la noce.

Mais l’Amérique ne se sent ni responsable ni coupable, et surtout pas d’abandonner les Afghans. « Les Soviétiques avaient laissé un gouvernement qui tint encore trois ans : combien de temps faudra-t-il aux barons de la drogue à qui nous confions les clefs du pouvoir, pour les abandonner aux Taliban ? [3] » Le temps qu’il faudra pour publier ces lignes. Mais pas beaucoup plus.

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[1] Pour la Revue Défense Nationale : « En attendant, mon officier… » Tribune n° 116, juillet 2011 ; « Drone mon amour », RDN, n° 761, juin 2013 ; « COIN COIN », RDN n° 767, février 2014. Sur La Vigie : « L’art de perdre la guerre », n° 58, février 2019.

[2] Parmi ces Counterinsurgency Studies publiées en cinq parties et une synthèse : Volume 4, Counterinsurgency in Afghanistan ; Volume 5, Rethinking Counterinsurgency in Afghanistan.

[3] « COIN COIN », op. cit.

Sur la pointe des pieds (Le Cadet n° 82)

Du temps de Giscard – comme on dit du temps de Foccart –, on racontait cette histoire d’un chef d’État africain houspillant un de nos ambassadeurs parce qu’un bataillon de Marsouins s’était installé dans l’État voisin, interrompant les excuses embarrassées de notre diplomate rassurant le président qu’il n’y avait pas d’intention maligne, d’un tonitruant : « J’entends bien. Mais j’y ai droit, moi aussi ! ». Voilà que l’heure de vérité a sonné. Les Africains s’aveuglent : non, la France ne traite pas ses ex-colonies comme des sous-préfectures ; non, le retrait de Barkhane n’est pas une fausse sortie pour se faire supplier de revenir, coup de bluff pour revivifier la Françafrique ; c’est le signal que la France s’en va. Elle le savait depuis la faute de l’intervention en Libye, qui lui revient en boomerang.

Qu’apporte-t-elle de différent des autres, à part ses Légionnaires qu’on y croit toujours disponibles parce qu’ils sont prépositionnés et connaissent le continent ? Depuis le Rwanda et les délires sur sa prétendue responsabilité, le ressort s’est cassé. L’armée française est usée de décisions politiques inconséquentes qui ont découragé plusieurs CEMA, comme la France l’est des flatteries d’Africains qui la prennent pour une puissance surtout lorsqu’ils la traitent de faiseuse de rois et de pilleuse de minerai. Elle ne veut plus tenir ce rôle de gendarme auquel elle tient moins que ceux qui croient ne pas pouvoir se passer d’elle, soixante ans après les indépendances. Elle s’épuise au moment où elle doit redéfinir son format – pas celui OTAN-Scorpion qui ne fait qu’accélérer sa déqualification, mais celui qui lui permettra de retrouver l’art français de la guerre. Elle tire sur la corde d’un matériel chichement compté et inadapté au Sahel (bombardement de Bounti le 3 janvier 2021 [1]), et de militaires qui ne reçoivent en retour de leurs efforts que l’accusation de perpétrer le régime colonial de grand-papa.

Même si nous allons en partir sur la pointe des pieds, comme demandait naguère Antoine Pinay de l’Indochine, il s’agit d’une vraie décision stratégique qui solde un passé suranné qu’il ne sert à rien de pérenniser. Les Africains découvriront l’ouverture d’esprit des soldats russes et l’amabilité, dénuée de toute trace de racisme, des bataillons d’ingénieurs chinois qui s’isoleront dans leurs dortoirs sécurisés, avec leurs magasins interdits aux locaux et leur remake du Paris-Dakar dans les rues de Bamako. Ils savent déjà apprécier l’empathie des rares membres des forces spéciales américaines qu’ils aperçoivent parfois de loin au côté de Barkhane. Et quand la Banque de France cessera de contre-garantir la nouvelle monnaie africaine sur ses propres réserves, les grands argentiers du continent iront négocier à la BCE de Francfort sa libre convertibilité avec l’Euro et un taux de change fixe, avec des Allemands et des Néerlandais qui adorent qu’on leur parle de relance par le déficit et l’inflation. Mais ne rêvons pas : l’Afrique regrettera aussi peu la France que la France regrettera l’Afrique.

Cadet n° 82

[1] Le problème n’est pas que la présence d’hommes en armes ait induit en erreur sur la nature festive du regroupement, mais que le matériel made in USA et le mode opératoire qui lui est consubstantiel – on l’a vu à d’innombrables reprises en Afghanistan, mais c’était déjà le cas au Viêt Nam – arbitre en faveur de la destruction d’un mariage lorsqu’il permet de neutraliser quelques djihadistes, et non l’inverse. L’otanisation de nos armées est à ce prix, qu’il faut désormais assumer – ce qui posera un jour la question de l’adhésion de la France à la CPI.

Les trous du Quai (Le Cadet n° 81)

Amin Maalouf, dans son ouvrage Les Croisades vues par les Arabes, explique que le glissement de civilisation tient pour beaucoup dans l’instauration par les Francs d’une légalité, certes féodale mais prémisse de la règle de droit. C’est ce que nous ne sommes plus capables de défendre. On sait les indignations sélectives de nos diplomates : enlever un opposant biélorusse n’est pas bien, mais lorsque le dictateur rwandais se vante avoir fait de même, ils se précipitent à Kigali comme leurs anciens à Munich. S’ils semblent très soucieux de la santé des embastillés de Poutine, ils le sont moins de celle de Julian Assange dont les conditions de détention violent les principes de la Convention européenne de 1950. Et tandis que des précieuses ridicules reprochent à des petits marquis de se mobiliser davantage pour les enfants palestiniens que pour les femmes afghanes brûlées à l’acide, on ne les entend pas du tout sur Hong Kong.

Dans cet arbitrage des élégances se dessine, sur la question d’Orient, la frontière de cette fantasmée guerre civile que nous annoncent d’inénarrables pseudo-philosophes de cour et de gare, qui importent le conflit tout en en accusant ceux qu’ils qualifient d’agents infiltrés du Hamas, y compris dans l’équipe de France. Que dire également des raisonnables qui, sous couvert de tenir le juste milieu entre les deux camps, tombent dans le piège du slogan Paix contre Territoires ? Les Palestiniens ont droit à l’Etat voté en 1947, dans le tracé accepté de 1948-1967, sans abandon de souveraineté. Leur demander de vivre dans un bantoustan désarmé, protestant tous les matins de leur amour inconditionnel pour le voisin nucléarisé, est une ânerie qui fait le jeu de ceux qui se pâment devant Tsahal et son Dôme de Fer, système anti-missiles dont l’efficacité semble avérée puisque pas une résolution des Nations Unies n’a pu atteindre Israël en un demi-siècle.

Car personne ne peut accepter la prédation comme mode d’acquisition, comme le disait déjà Charles de Gaulle lors d’une fameuse conférence de presse dont on a oublié l’essentiel du fait d’un mot malheureux : « Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion, et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Nos diplomates, qui ne réagissent qu’une fois les trêves signées et leur suzerain américain sorti du bois, tout en prenant bien soin d’éluder la question de l’occupation, ne comprennent pas que ce qui mobilise les opinions publiques n’est pas l’identification à tels ou tels – sauf pour ceux qui voient dans Israël un front avancé – mais la violation de la règle de droit. On en connaît également – souvent les mêmes – qui demandent la suppression du double degré de juridiction et la sortie de la France de la Convention de 1950. Il faut avouer que c’est bien ennuyeux, la légalité !

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Au terminus des prétentieux (Le Cadet n° 80)

S’il existe des signaux forts, en voici en cascade ! Après la réapparition des sextants et la disparition des écrans tactiles dans l’US Navy, voilà que l’Air Force se fâche pour de bon, contre le F-35 on s’en doute, mais pas seulement : c’est la course mortifère à la sur-technologie et aux concepts vides imposés par les industriels qui est – encore – dénoncée. A quoi sert de fantasmer une guerre pour après-demain si on la perd aujourd’hui, si Barkhane n’a pas d’hélicoptères lourds et que le COS se fournit à l’étranger, si la Royale n’a que huit FREMM pour couvrir toutes les mers du globe, si le Jaguar remplaçant nos AMX-10RC n’a qu’un 40 mm et qu’on lorgne déjà vers les tourelles Cockerill pour retrouver du 105, si on abandonne le Transall C-160 plutôt que de le passer en quadri et le moderniser comme les Américains font de leur Hercules C-130 de 60 ans, pour un A-400M juste bon à faire des cabrioles au Bourget et des évacuations Covid ?

Le F-35 vole comme un pingouin, son surnom dans l’USAF, c’est une évidence, et comme ces consommables de photocopieuses qui font flamber les budgets – pour reprendre une image du site opex360.com, – ses versions, ses prothèses, ses déclinaisons multiples constituent d’ores et déjà un gouffre financier. Mais l’obsession faustienne de la furtivité a saisi l’OTAN. « Nous nous prosternons devant l’autel de la haute technologie et sommes sur le point de vendre notre âme, relève Dan Pedersen, l’inventeur du Top Gun. La furtivité est comme un zombie, un zombie très onéreux ». Fort heureusement l’USAF, dans ses dernières prospectives et son projet de chasseur génération 4.5, n’en parle plus. Ce qu’elle veut désormais est un vrai avion avec de vraies armes et de vrais pilotes. Comme le F-16, le F/A-18, ou notre Rafale tricolore.

Celui-là même que, au nom d’une collaboration rhénane bien aléatoire, nous sommes prêts à jeter aux orties pour un gros insecte SCAF prétendument furtif. Quant au projet mégalomane de PANG de 300 mètres et 75.000 tonnes, nécessité par le poids du gros insecte (furtivité, furtivité), il a toutes les chances de connaître le même sort qu’en son temps un certain Royal Louis, ce trois-ponts du temps de Louis XV qui, même allégé et rasé en flute, resta à quai. La Royale ne sait-elle plus faire les arbitrages qui donnèrent le 74 canons, pour préférer une copie de CVN américain à deux nouveaux Charles-de-Gaulle ? D’autant que l’achat de deux catapultes électromagnétiques made in USA au titre des Foreign Military Sales, de brins d’arrêt, d’appareil d’appontage et de trois avions-radar E-2D, nous coutera au bas mot 3 à 5 milliards d’euros, autant que le navire lui-même. C’est le principe des consommables et c’est le prix de notre dépendance nationale pour trois-quarts de siècle. Après ça on s’étonne que nos voisins allemands haussent les épaules quand on leur propose une armée européenne désaméricanisée. Ach ! ces Français prétentieux, toujours le mot pour rire !

Le Cadet

Les jeux de la guerre et du hasard (Le Cadet n° 79)

Qui aurait cru qu’un jour des entraîneurs de clubs de football donneraient, en quelques mots, une leçon de stratégie aux hurluberlus qui nous gouvernent ? Le « complot » d’une Super League, qui n’aura duré que quarante-huit heures, aura permis d’entendre des choses pour le moins pertinentes. Car par-delà la question du financement états-unien ou saoudien du projet et du règne de l’argent-roi, c’est un mode de pensée typiquement managérial qui s’est trouvé en échec.

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« La Ligue des champions est intéressante à partir des quarts de finale. Avant, on doit jouer contre des équipes modestes qui ne sont pas attractives », avait justifié le président du Real Madrid, un des complotistes. Non, les matchs sont aussi intéressants avant les quarts de finale, quand le club de semi-amateurs met une raclée au premier de la classe, ce qui est arrivé ces derniers temps à Arsenal ou Milan. C’est ça le sport, a souligné l’entraîneur de Manchester, tandis que celui de Leeds rappelait que la magie du foot, c’est que les faibles peuvent battre les puissants ; c’est Trincamp qui décroche la Coupe au Stade de France. Mais c’est aussi ça, la guerre, quand en 1805 le général Dupont bloque la tentative de sortie des Autrichiens à Ulm, à un contre sept. « A-t-il de la chance ? » demandait l’Empereur lorsqu’on lui soumettait le nom d’un possible divisionnaire.

Mais les managers qui nous gouvernent, nous entraînent et nous font faire leurs guerres, sont non seulement dans le monde endogame de l’entre-soi mais dans un monde figé, celui d’un sur-déterminisme où les forts restent toujours les plus forts et gagnent tous leurs matchs et toutes leurs guerres ; un monde où Lamarck aurait raison contre Darwin ; un monde où l’Amérique a gagné au ViêtNam et en Afghanistan, où la Meuse reste infranchissable au débouché des Ardennes, où une poignée de Français Libres ne peut tenir tête dix jours durant à tout l’Afrika Korps. A les écouter, nous devrions croiser au coin de la rue ces dinosaures qui dominèrent jadis le monde et qui n’avaient aucune raison de louper le quart de finale pour laisser la place aux marsupiaux dont nous sommes les descendants.

Et ce sont eux qui dissertent d’un monde incertain, qui pérorent sur une Histoire qu’ils ont décrétée finie il y a trente ans mais qu’ils disent désormais improbable parce qu’elle ne parle plus d’eux. On croit qu’ils en ont compris le basculement, ils nous démontrent chaque jour le contraire. S’ils restreignent nos libertés c’est parce qu’eux-mêmes sont les pantins décérébrés d’un logiciel périmé, celui d’un monde totalisé – pour ne pas dire autre chose. Leur monde d’après est un monde dont les finalistes sont connus à l’avance, États-Unis et Chine, un monde qu’ils croient déterminé depuis que broutent les dinosaures. Mais ce monde n’existe pas, il n’a jamais existé. C’est ce que les entraîneurs de clubs de foot viennent de rappeler à leur manière. Ça ne suffira pas. Vivement le retour de la comète !

Le Cadet

L’Amérique pour les nuls (Le cadet n° 78)

Au début plus de masques. Ensuite pas de tests. Et maintenant peu de vaccins. Et toujours aucun modèle statistique pour nous éclairer : la Covid se répand-t-elle plus ou moins vite avec ou sans confinement, avec le couvre-feu à 18 au lieu de 20 heures, davantage dans les rames de métro que sur les terrasses de café ? Pourtant, le contribuable paie des cabinets américains pour gérer tout ça, et ça ne sert à rien. Si, à ce qu’il n’y ait plus de masques, pas de tests et peu de vaccins.

L’Amérique, c’est le pays où vous passez sept fois plus de temps dans votre voiture qu’en Europe : où vous pouvez attendre deux heures pour une attraction dans un parc ; où les files d’attente aux guichets des banques et des postes n’énervent que les touristes et qui, d’un mot français, a fait un sport national : le queuing. L’Amérique c’est le pays des bullshit jobs, des cellules d’évaluation, des conference calls, des reports, des process et des benchmarking, des blue prints et des papers. L’Amérique, c’est le pays du verbiage et du papier, celui qui en 1969, au retour d’Armstrong, Aldrin et Collins, leur fit remplir une déclaration en douane pour les roches et poussières lunaires qu’ils rapportaient.

L’Amérique reste, en terme de productivité (rapport input-output : temps, main d’œuvre, énergie, matières premières et fossiles pour fabriquer un objet ou réaliser une action), en bas du tableau de l’OCDE, au choix lanterne rouge des pays industrialisés ou leader des pays en voie de développement. C’est celui qui, pour compenser sa sous-productivité chronique, n’a d’autre choix que de creuser une dette qui ne sera jamais remboursée et de fabriquer du dollar. Quand on s’en remet à prix d’or à ses consultants pour gérer une pandémie, plutôt qu’aux compétences nationales éprouvées, on sait à quoi s’attendre : un mode d’emploi de 45 pages par piqure, de la gesticulation et de l’argent public gaspillé.

« Le Rapport est ce que sont les limbes dans le Christianisme, écrivait Balzac. Depuis l’envahissement des affaires par le Rapport, il ne s’est pas rencontré de ministre qui eût pris sur lui d’avoir une opinion, de décider la moindre chose, sans que cette opinion, cette chose eût été vannée, criblée, épluchée par les gâte-papier, les porte-grattoir et les sublimes intelligences de bureaux. » C’est ce virus managérial d’importation, stade ultime de la bureaucratie, qui nous détruit. Il a contaminé l’Éducation puis la Médecine et récemment la Justice. L’Armée croit y avoir échappé : elle y passera comme les autres corps d’État. Le retour dans l’OTAN a-t-il un autre objectif ? Relisez l’article de 2019 du colonel Legrier publié dans la Revue Défense Nationale : nous perdons et perdrons dorénavant nos guerres parce que nous copions des Américains qui ne savent pas les faire. Le MinArm prévoit une nouvelle mouture de la Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale ? On eut préféré une victoire au Sahel.

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Le Cyber des Tartares (Le Cadet n° 77)

Ça y est, elle a eu lieu, la grande attaque, celle que les Drogo du marché du cyber modélisaient depuis si longtemps, ce jour où l’ennemi viendrait qui les ferait héros. Mais comme pour la nouvelle souche du Covid, rien n’est prêt.

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La faute en est aux agresseurs, ces vilains dont on ne saura jamais, en vertu du principe d’inattribution, s’il s’agit d’un homme seul ou d’une tribu de Tartares – pour citer un fameux monologue melvillien –, et qui se sont engouffrés dans les failles. L’ennemi, écrivait déjà Marc Bloch, est un « malappris qui ne fait jamais ce qu’on attendait de lui ». Le hacker devrait traverser dans les passages cloutés et attendre qu’on l’y pince : sinon il triche et c’est pas du jeu, comme on se lamente dans ces cours de récréation que sont les cyber-commandements. Répétons-nous : on n’a toujours pas compris le Théorème Maginot qui dit que des brèches de vulnérabilité sont non seulement créées à proportion des tentatives de verrouiller un front, mais que même lorsqu’on a prévu l’hypothèse des Ardennes, on échoue à la prévenir. La prochaine étape de cette bétonisation du numérique est la 5G et ses portes d’entrées démultipliées. Si les civilisations sont mortelles, il en est des carrément suicidaires.

Pourquoi s’épuiser à tenter d’investir ces espaces fluides qui ne pourront jamais l’être totalement, où nous serons toujours contournés ? L’adversaire y est ? Il est surtout présent au Sahel, en sandales et 125 cm3. Et les Russes n’en sont pas loin, qui nous ont déjà chassé d’Afrique centrale. Sans doute, mais il faut être sur le réseau pour défendre les serveurs – où 95 % des données n’ont rien à y faire – et agir comme influenceurs. Alors, tandis que le taux de disponibilité de certaines de nos armes sombre dans l’infinitésimal, on budgétise dans des régiments de Zouaves chers à Raymond Devos pour faire joujou devant des écrans. Jusqu’au jour où l’Amérique, via Facebook, nous retire le tapis de sous les pieds et supprime nos comptes. Une récente couverture de Time l’a montré : avec un tel allié, la France n’a pas besoin d’ennemi. Quel couillon, ce Louis XVI !

Ce qu’il nous faut également, dit un récent rapport, c’est un guerrier augmenté, comme dans les comics de Marvel. Puis on l’entourera d’une armure pour prévenir une prise de contrôle à distance de ses prothèses. Toujours le syndrome Maginot : créer des failles puis tenter de les colmater. C’est certainement plus urgent que de fournir des hélicoptères lourds à Barkhane (le Danemark retire les siens, les Britanniques récupèrent les leurs), de remplacer nos Transall en Afrique ou d’éviter d’avoir recours à un chausse-pied chaque fois qu’il faut charger un Griffon dans un A-400M. Même si c’est plus délicat que de greffer la Légion d’Honneur sur la veste d’un dictateur du Nil, espérons au moins que ça permettra à nos soldats de voler, faute de quoi les prochaines OPEX se feront sur la plage de Cavalaire. Des fois que les Tartares parviennent jusque-là.

Le Cadet

Génération Sim City (Le Cadet n° 76)

« La prévision est un rêve duquel l’événement nous tire », disait Paul Valéry. On aurait pu penser que les gouvernants du monde d’après changeraient de logiciel. C’est au contraire le grand retour en arrière, entre technocrates qui confondent la France et l’URSS de Brejnev et reconstituent un Commissariat au Gosplan, et conseillers qui décident arbitrairement qui aura des aides et qui disparaîtra. Ce n’est pas qu’un tropisme autoritaire, c’est une génération qui croit qu’une nation ressemble à ses jeux vidéo dans un monde régi par l’intelligence artificielle d’une puce de silicium, et se gouverne comme dans SimCity ou Civilization.

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« Tout ce que nous avons appris, tout ce que nous avons projeté, modélisé, nous a permis de nous organiser » : non, ce n’est pas Gamelin qui a dit cela lors de la traditionnelle interview du 14 juillet dernier. Deux ans avant la Covid (n° 55), je citais déjà Valéry qu’il faut ici de nouveau solliciter : « Les effets des effets, qui étaient autrefois insensibles ou négligeables à l’aire d’action d’un pouvoir humain, se font sentir instantanément, reviennent aussitôt vers leurs causes, ne s’amortissent que dans l’imprévu. L’attente du calculateur est toujours trompée. Aucun raisonnement économique n’est possible. Les plus experts se trompent. Les prévisions que l’on pouvait faire, les calculs traditionnels sont devenus plus vains que jamais ils ne l’ont été. Plus nous irons, moins les effets seront simples, moins ils seront prévisibles, moins les opérations politiques et même les interventions de la force, en un mot, l’action évidente et directe, seront ce que l’on aura compté qu’ils seraient. Ce n’est point qu’il n’y aura plus d’événements et de moments monumentaux dans la durée ; il y en aura d’immenses ! Mais il ne suffira plus de réunir le désir et la puissance pour s’engager dans une entreprise. Rien n’a été plus ruiné que la prétention de prévoir. »

Que n’apprend-t-on ce texte par cœur à Sciences Po et à l’ENA ? Sauvons les huîtres ! m’exclamai-je il y a un an (n° 63) en rappelant la saillie de Napoléon à Marmont au soir de la bataille de Znaïm. Mais qui sauver parmi ceux qui ont confiné la France au printemps, en pure perte, pour la reconfiner à l’automne tout aussi inutilement ? Qui ont échoué sur les lits d’hôpitaux ? Qui ont échoué sur les tests ? Qui ont échoué sur la traçabilité des malades ? Conjurant les morts et la récession, ils s’étonnent d’avoir les deux ; la Suède, qui a fait un arbitrage (n° 69, 70 et 71), n’a pas davantage de morts et surtout pas de récession. Inutile d’en accuser des Gaulois sacrifiés à l’autel d’un modèle déterministe désormais incapable de comprendre le monde, comme l’avait anticipé Valéry dès 1930.

Mais que peut faire d’autre une génération SimCity cramponnée à ses certitudes managériales, telles des huîtres à un poteau du bassin d’Arcachon ? Et encore les huîtres, parfois, donnent des perles. Rendez-nous au moins Marmont !

Le Cadet, n° 76

Bienvenue au Globalistan (Le Cadet n° 75)

L’islam tue en France. Chaque mot compte. Une nation laïque n’a pas à s’ériger en arbitre des élégances et trancher de la nature de telle ou telle obédience, ou que telle ou tel salit sa religion et contredit un texte dit sacré. On a massacré une salle de spectacle, une promenade estivale et une rédaction de presse (ce n’était jamais arrivé même sous l’Occupation), on a égorgé et on vient de décapiter au nom de ce Coran dont se réclament les nouveaux nazis. Dont acte.

Qu’importe ce qu’on pourra penser à l’ONU, qu’importe (…) Continue reading « Bienvenue au Globalistan (Le Cadet n° 75) »