Les vacances furent studieuses et corses : l’exposition « Napoléon Stratège » aux Invalides, le numéro hors-série de Guerres & Histoire sur les 45 batailles du quidam, et un article dans le DSI de rentrée sur les rapports de l’Empereur avec ses maréchaux. Avec en filigrane cette interrogation qui hante nos stratèges : peut-on dupliquer ses victoires et suppléer à son génie par la technologie ?
On le sait, l’épopée napoléonienne tient à la conjonction de trois facteurs : une individualité hors du commun, une nation qui déborde comme jamais de ses pesanteurs, un outil et une culture militaires en avance sur leur temps. Mais il ne suffit pas d’avoir des soldats endurants et des canons performants, encore faut-il avoir l’instrument tactique pour les exploiter au mieux. Bonaparte avait hérité la division Carnot et des généraux de l’An II qui avaient fait des prodiges avec cette panzerdivision avant l’heure. Car c’est ce qui cloche dans les modélisations qui présentent un chef génial donnant ses ordres à une masse obéissante et à des officiers dévoués mais piètres tacticiens : l’oubli des commandants des grandes unités qui n’étaient pas de simples exécutants d’un plan préconçu mais de véritables décisionnaires. Quand on se plonge dans le récit de ses batailles on réalise vite que Napoléon Bonaparte, qui ne fut jamais divisionnaire, attendait que les initiatives de ses maréchaux et généraux, ou les fautes de ceux d’en face, lui suggèrent une manœuvre conclusive. Encore fallait-il que les enfants de Lazare Carnot aient chacun suffisamment de puissance pour agir ; c’est ce que Napoléon leur offrit en passant de la division au corps d’armée.
La logique est désormais inverse et la pyramide fonctionne de haut en bas : la numérisation du champ de bataille atomise, disperse et bureaucratise. L’armée se voit comme un tout dont aucune partie ne peut manœuvrer seule, alors que le principe des corps d’armée était de les rendre autonomes jusqu’à l’engerbement la veille des batailles. Le combattant engoncé dans son Félin, sous surveillance constante du sommet, est devenu l’esclave de sa GoPro et l’exécutant servile d’un plan qui se veut global parce qu’il est décidé dans une War Room à trois mille kilomètres de sa bulle opérationnelle (1). Un colonel de la Garde était plus autonome qu’un Marsouin au Niger et l’article de 1999 du général Charles C. Krulak, « The Strategic Corporal : Leadership in the Three Block War », n’était que de l’enfumage. La France de 2018 a renoncé à ce qu’elle savait bien faire, pour se fondre dans une guerre que les Américains ne gagneront jamais. On est passé du « sans vouloir interférer » de Gamelin, à « je vais me mêler de tout puisque la technologie me le permet ». Mais c’est toujours l’erreur de 1940, que Napoléon n’aurait jamais faite. Vive l’Empereur !
Le Cadet (n° 54)
- « British Mission Command and performance has regressed, largely as a result of our headquarters incorporating American military information technology as well as replicating American headquarters structures and manning. » Eitan Shamir, Transforming Command, Stanford University Press, 2011, cité dans « Mission Command : The Fall of Strategic Corporal & Rise of the Tactical Minister », article du 23 avril 2017 non signé sur le site Wavell Room. « During recent counterinsurgency operations we have employed increased quantities of manpower, technology and process to try and make sense of the exponentially increasing volumes of information piped into an increasingly static headquarters. These bloated headquarters have bred a culture of over planning and control. The information technology revolution has allowed Ministers and UK based senior officers to directly reach down to the tactical level in distant operational theatres. General Lamb in his speech “In command and out of control” described a creep at the National Level to from Mission Command to Mission Control. Prolonged campaigning in Iraq and Afghanistan has created an expanded bureaucracy with a function of identifying and mitigating risk that has not receded. »