Contrepoint ukrainien à J 200

Voici un nouveau point effectué en stratégiste sur la guerre en Ukraine. Pour l’établir, il faut prendre du recul par rapport aux événements du moment (contre-offensive ukrainienne au Sud pour Kherson, débâcle russe au Nord-Est autour d’Irzioum, arrêt du complexe nucléaire de Zaporidja, doutes exprimés à Moscou, détermination

Voici un nouveau point effectué en stratégiste sur la guerre en Ukraine.

Pour l’établir, il faut prendre du recul par rapport aux événements du moment (contre-offensive ukrainienne au Sud pour Kherson, débâcle russe au Nord-Est autour d’Irzioum, arrêt du complexe nucléaire de Zaporidja, doutes exprimés à Moscou, détermination affichée à Kiev, fébrilité à Bruxelles …).

Un point de situation géopolitique lucide est en effet indispensable. Après six mois d’invasion russe à l’Est et au Sud de l’Ukraine, il faut mesurer où l’on en est en fin d’été pour réévaluer correctement nos priorités de sécurité nationale (LPM).

La guerre continue et les protagonistes ne semblent pas vouloir y mettre fin. Les espérances de gains alimentent le conflit. Mais on peut l’arrêter à tout moment.

  • La Russie qui subit des revers tactiques multiples prend son temps, régule les flux gaziers et attend le général Hiver car les Européens sont frileux. Elle entretient ses canaux gaziers à l’Ouest mais reconfigure soigneusement ses flux vers sa clientèle asiatique. Le Pdt Poutine ne décrète pas encore (au 18 septembre, date de rédaction de ce texte) de mobilisation militaire car là n’est pas sa manœuvre principale, elle endure estimant que le temps travaille pour elle.
  • L’Ukraine bien appuyée par les Américains et servie par les Européens affiche sa confiance en la victoire totale pour recouvrer ses territoires perdus, Crimée comprise. Le Pdt Zelensky maintient la pression sur ses soutiens qui s’essoufflent.
  • Les États-Unis ont l’œil rivé sur le calendrier électoral des élections de mi-mandat(8 novembre) qui déterminera la marge de manœuvre stratégique à venir du Pdt Biden.

Le reste de la planète observe la scène ukrainienne sans vraiment prendre parti à l’exception de la Chine qui prépare son Congrès du 16 octobre en soutenant la Russie.

Pour la France, le bilan géopolitique est très lourd. C’est un triple contrepied qui induit un fort inconfort stratégique et un vrai flottement conceptuel.

  • La réunification européenne envisagée de l’Atlantique à l’Oural qui devait donner une viabilité géopolitique à la construction européenne par réintégration de la Russie dans le concert européen est ajournée sine die.
  • L’autonomie stratégique des Européens qui devait s’affirmer pour échapper à la rivalité américano-chinoise est laminée, l’UE étant enrôlée comme supplétif des États-Unis dans l’Otan et réalignée sur sa stratégie mondiale.
  • Le pouvoir régulateur de sa dissuasion nucléaire stratégique sur l’architecture de sécurité du continent est dévalué et sa singularité stratégique est banalisée.

Pour l’Europe, c’est un vrai bouleversement géostratégique. Il marque la péremption du projet d’intégration du continent européen avec un rééquilibrage géopolitique à l’Est.

  • Une nouvelle ligne de division s’est installée de facto au cœur de l’Europe centrale, avec l’instauration d’une nouvelle guerre froide dans son voisinage proche.
  • Le centre de gravité de l’Europe s’est déplacé de 1000 km vers l’Est passant de l’Europe des 12 de l’Ouest à l’ancienne masse germanisée des ex-du Pacte de Varsovie à l’Est, avec la Pologne et la Lituanie exposées au front biélorusse.
  • L’UE se découvre deux fissures, Nord frugal et rigoureux contre Sud laxiste et dispendieux ; Est intransigeant contre Ouest accommodant. L’exécutif européen souffre de cette quadripartition et le régulateur franco-allemand est disqualifié.

Comment en est-on arrivé là en moins de 2 ans et 30 ans après la guerre froide ?

Le stratégiste lucide savait bien que la partition soviétique de 1991 portait des risques réels, s’est étonné qu’ils aient été traités avec légèreté par l’Otan et l’UE et que les inquiétudes régulièrement exprimées à Moscou n’aient pas été considérées.

  • La guerre russo-ukrainienne a été encouragée de leur propre aveu par 2 puissances atlantiques extra-européennes, UK et US pour des raisons variées, essentiellement géostratégiques. Elle n’a pas été anticipée ni même dissuadée par 2 puissances continentales européennes, Allemagne et France et pour des raisons distinctes.
  • C’est une guerre essentiellement fratricide au sein de la famille des Russies, la Rossya orientale contre la Rus occidentale, aux données ancestrales. L’UE n’a pas su susciter la souhaitable réunification russe, préalable décisif à celle du continent. Or les sociétés ex-soviétiques de Kiev, Minsk et Moscou partagent les mêmes racines, références et les mêmes biais, les mêmes contraintes, aspirations et les mêmes rêves.
  • Six mois après l’invasion, le nationalisme ukrainien aux réflexes enfouis s’est brutalement cristallisé et l’Ukraine existe désormais par et pour elle-même. Kiev va négocier durement et « à parité » sa coexistence pacifique avec Moscou.

Que faire, quelles cartes jouer ?

D’abord garder en France notre sang froid et ne pas rajouter de l’émotion et de la peur, rester en garde et vigilants. Nous ne sommes pas en guerre ni en première ligne et nous avons notre garantie de sécurité ultime, celle de nos intérêts vitaux qui est aussi bien comprise à Moscou qu’à Washington, moins il est vrai à Bruxelles. Et rassurer nos compatriotes et nos voisins européens.

Ensuite, tout en assumant la solidarité européenne, celle des sanctions, garder notre liberté de manœuvre pour sortir l’Europe et la France de l’impasse stratégique binaire dans laquelle on se trouve. Et stimuler la raison stratégique des belligérants pour renoncer à toute forme de victoire totale.

Enfin, se placer en médiateur discret, en marge de l’UE, de l’Otan et de l’ONU pour faciliter la mise en œuvre des intérêts communs évidents entre Kiev et Moscou.

Voilà ce que j’expliquerais sur les chaînes info si on m’y laissait parler.

JD 220914

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