La faillite, nous voilà ! (Le Cadet 107)

Voilà longtemps que les Etats-Unis jouaient les lointains, et maintenant ils se replient sur leur continent-donjon
La faillite, nous voilà ! (Le Cadet 107)

Voilà longtemps que les Etats-Unis jouaient les lointains et maintenant ils se replient sur leur continent-donjon « où s’épanouit le prodigieux rejet américain de la civilisation d’Europe », disait déjà Paul Reynaud, alors ministre des colonies, en inaugurant l’Expo coloniale le 6 mai 1931. C’était une époque, on l’a oublié, où l’Amérique était tenue en peu d’estime : de la curiosité qu’elle avait pu susciter au XIXe siècle, elle était devenue le pays de la ségrégation où on se pressait au spectacle d’un jeune noir brûlé vif en place publique au-dessus d’un tapis de braise, mains, pieds et sexe coupés pour se consumer de l’intérieur (martyre de Jesse Washington à Waco, Texas, le 15 mai 1916) ; le pays de la prohibition et des maires corrompus, des déserts de sable du Middle West, des hobos, des forgotten men et des morts de faim dans les rues de New York ; le pays des manifestations de chômeurs et d’anciens combattants et des répressions policières (voir la reconstitution des premières minutes du King Kong de Peter Jackson de 2005, sur I’m sitting on the top of the world d’Al Jolson). C’était un pays qui servait de contre-modèle et qui, au moment de notre Sedan, n’avait pour toute arme blindée qu’une brigade de 6 000 hommes et 18 chars moyens M2 (mais nous avons un grand océan pour nous protéger, répète Donald Trump), une marine vieillissante et une armée de l’air inexistante. C’était l’Amérique du Bardamu de Céline et du Tintin d’Hergé dont on ne voyait pas en quoi elle était utile. Et puis elle a débarqué en Normandie en appoint des forces anglo-canadiennes grâce à qui nous ne parlons pas allemand aujourd’hui.

Mais était-elle différente pour autant ? Nos analystes de plateaux ne cessent de se poser une question absolument sans intérêt : pourquoi Trump fait-il cela et ceci, pourquoi l’Amérique joue-t-elle contre nous ? It’s America, stupid ! Et ça ne date pas d’hier. Prenez la bromance avec Vladimir Poutine mise au compte de supposées honteuses liaisons coupables de Donald Trump avec le FSB, et rapprochez-la de l’Opération Mousquetaire de 1956 lorsque les Etats-Unis, si nerveux sur Panama, se retrouvèrent main dans la main avec l’URSS pour nous menacer et nous empêcher de reprendre le contrôle d’un autre canal, lui-aussi imaginé par Lesseps : Eisenhower émargeait-il pour autant au KGB ?

La question n’est donc pas de savoir ce qu’est l’Amérique – elle n’est et n’a jamais été celle des Nicole Bacharan, Philippe Labro, Raymond Aron, Cyril Hanouna ou Christine Ockrent, qui n’ont jamais lu Tocqueville ou ne l’ont pas compris – mais ce que nous faisons, nous, Français, maintenant. Il ne suffit pas de bomber le torse mais de cogner puisque les Américains ne connaissent que ce langage et commencer par une guerre de punchlines tant il ne coûte rien de remettre ces malappris à leur place.

Il m’arrive, lorsque je lis la rengaine usée du french bashing, de répondre que le seul drapeau blanc que je connaisse à nos armées est celui des régiments et des vaisseaux de 74 envoyés pour gagner une guerre d’indépendance que les Insurgents étaient bien incapables de remporter seuls [1]. Les Américains de 2025, à la productivité lamentable dans un pays aux capacités de rebond inexistantes, dirigé par un président velléitaire adossé à une constitution archaïque, ne sont que les lointains épigones de ces miliciens qui rentraient chez eux une fois tirés deux coups de feu contre les Red Coats et qui ne se sentirent du courage à l’été 1779, lorsqu’une première flotte française mouilla à Boston, que pour raser quelques dizaines de villages iroquois dans la région des Finger Lakes.

Aussi lorsqu’Elon Musk remet sur la table l’idée d’une zone atlantique de libre-échange, répondons que nous n’avons que faire d’un failed state qui ne compte que pour 15 % du commerce mondial, de ses poulets javélisés, de ses bœufs aux hormones et de ses avions planche-à-repasser, un pays dont la moitié de la population est composée d’obèses et l’autre moitié de platistes et qui ne fonctionne qu’aux bons d’alimentation et au dollar-monopoly. Et quand le vice-président Vance se moque de nos nations qui n’ont pas fait la guerre depuis trente ans, il faut lui répondre que si c’est pour les perdre comme le Viêt Nam, l’Irak ou l’Afghanistan, il peut se fourrer les body bags là où il lui reste de la place. C’est puéril mais c’est l’Amérique de Trump qui est infantile et grossière, inutile de la contrer sur le terrain des idées et des principes, il faut d’abord aller jouer dans son bac à sable et faire de plus gros pâtés qu’elle.

Mais reprise par ses vieux démons, l’Europe joue l’apeasement et le peace in our time. Inutilement car si elle ne part pas forcément gagnante dans le bras de fer, l’Amérique joue déjà perdante et à quitte ou quitte, et ne cesse d’ailleurs de passer des rodomontades aux reculs précipités. L’Oncle Sam est nu. Il faut donc nous préparer à son retrait, non seulement parce qu’il aura décidé de bouder dans son coin mais parce qu’il aura atteint les limites d’une puissance dont on lui fait crédit mais qui n’a jamais été qu’une imposture.

Ça tombe bien, les Etats-Unis vont retirer leurs troupes d’Europe orientale pour ramener leur présence dans la Vieille Europe à leur étiage d’avant l’invasion russe d’Ukraine. On consultera le site de la Royal Navy le 6 juin prochain, là où les Hornblower du XXIe siècle expriment chaque année leur mépris souverain pour leurs anciens colonists, pour s’amuser de la relégation des troupes américaines en bas de tableau, tantôt entre les Belges et les Grecs tantôt au même niveau que nos 177 commandos Kieffer. Les marins de Sa Majesté suggèrent-ils que, même en 1944, la présence américaine était très dispensable ? Elle l’était et le reste. Aussi quand Donald Trump se demande si la France volerait de nouveau au secours de l’Amérique, il y a de quoi se poser effectivement la question vu le résultat deux siècles et demi plus tard. Quel con, ce Louis XVI !

Le Cadet


[1] « Séparés par mille trois cents lieues de mer de leurs ennemis, secourus par un puissant allié, les États-Unis durent leur victoire à leur position plus encore qu’à la valeur de leurs armées ou au patriotisme de leurs citoyens. Qui oserait comparer la guerre d’Amérique aux guerres dela Révolution française et les efforts des Américains aux nôtres, alors que la France, en butte aux attaques de l’Europe entière, sans argent, sans crédit, sans alliés, jetait le vingtième de sa population au-devant de ses ennemis, étouffant d’une main l’incendie qui dévorait ses entrailles et de l’autre promenant la torche autour d’elle ? » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I, Première partie, Chapitre VIII, 1835.

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