La java des bombes atomiques (Le Cadet n° 109)

Quel délai pour la bombe iranienne, en fait ?
La java des bombes atomiques (Le Cadet n° 109)

« Sous le prétexte des précautions dictées par la prévoyance, ce gouvernement s’attaquerait à ses voisins comme devançant des agressions méditées. S’ils avaient le temps et la force de lui résister : vous voyez, s’écrierait-il, ils voulaient la guerre puisqu’ils se défendent [1]. » Le droit international est simple : l’agresseur est celui qui attaque, la notion de guerre préemptive n’existe pas.

Poutine a attaqué l’Ukraine en avançant l’excuse que son pays serait pressé par l’OTAN : il l’est dans une certaine mesure selon le point de vue russe, mais c’est lui l’agresseur. C’est ce que ne cessent de rappeler unanimement les juristes depuis l’attaque illégale et illégitime de l’Iran par Israël. On leur oppose l’argument fallacieux de prétendues capacités nucléaires et de missiles qui pourraient atteindre le territoire français, comme a osé l’affirmer un ministre étranger à ses affaires [2] à qui on ne peut que conseiller la lecture des pages Wikipedia consacrées à l’arme atomique, même si les développements sur la supercriticité sont compliqués à comprendre au-delà du brevet des collèges.

Que nous dit l’Agence Internationale de l’Energie Atomique ? Que la Perse détient actuellement entre 400 et 450 kgs d’uranium enrichi à 60 % d’isotope 235, celui qui fait boum. Nous en déduisons, vu qu’il faut 50 à 60 kgs enrichis à 80 % pour faire une bombe, que l’Iran est à l’avant-veille d’en détenir une demi-douzaine. Sauf qu’on ne parle pas de la même chose : l’Agence de Vienne n’a qu’un seuil en tête, celui de la prolifération, elle ne dit rien de la production, du montage, du nombre ni des vecteurs de projection de têtes nucléaires. Que l’Iran détienne de quoi monter des engins de type Little Boy ne lui servirait à rien d’autre qu’à en faire exploser un ou deux dans la cabane au fond du jardin, comme chez Boris Vian : « celles de ma fabrication n’ont qu’un rayon d’action de trois mètres cinquante. » La machine d’Hiroshima à l’U235 pesait quatre tonnes et on peut difficilement forger moins lourd. Pour faire une arme il faut entre 10 et 20 kgs d’un plutonium produit par un réacteur dédié à cela. La seule pile atomique utilisable, comme on disait naguère, était le réacteur d’Arak. Or il a été détruit – et non pas inachevé comme l’a prétendu l’armée israélienne qui n’en est plus à une approximation – par l’Iran en 2016 après un accord avec l’AIEA.

Et quand bien même, il s’écoulerait de nombreux mois voire des années entre l’obtention de Pu239 et la conception d’engins utilisables, la question de la mise à feu et le piège de la surcriticité évoquée plus haut n’étant pas à la portée de tout le monde. Car une arme nucléaire, comme on l’a compris par le film récent de Christopher Nolan sur Oppenheimer, c’est de l’abstraction mathématique et de la physique ondulatoire et statistique, domaine dans lequel les scientifiques et universitaires chiites excellent – une Iranienne, Maryam Mirzakhani, a obtenu en 2014 la Médaille Fields – mais qui ne relève pas davantage du brevet des collèges.

Ensuite il y a le problème du vecteur et sa portée puisque « je ne me suis pas rendu compte que la seule chose qui compte c’est l’endroit où qu’elle tombe », même si là encore la production de missiles hypersoniques atteste de l’ouverture des mollahs à la modernité, contrairement à leurs voisins sunnites.

C’est pourquoi Tulsi Gabbard, qui chapeaute dans le cabinet Trump l’ensemble des organes de renseignement, a indiqué que l’Iran était au mieux à trois ans d’obtenir l’arme et n’avait de toute manière pas repris ses travaux interrompus en 2003 [3]. Ce constat est celui de l’ensemble des services occidentaux.

C’est rien qu’une menteuse ! a lâché le président des Etats-Unis de l’Amérique juste quand la porte d’Air Force One se refermait au soir de sa fuite du G7 ; les deux extraits passent en boucle sur les TV d’outre-Atlantique. Que la Maison Blanche se complaise dans ses petites vérités alternatives n’explique pas pourquoi les Européens ont délivré un nihil obstat en répétant contre le bon sens qu’Israël est par apriorisme en situation de légitime défense, chèque en blanc que Trump s’est empressé d’empocher pour rentrer préparer une guerre dont il s’est immédiatement vanté, en réponse à un de nos dirigeants qui croyait, quant à lui, avoir signé un mandat de négociation – entre mauvaise foi d’un côté et incompréhension de la politique de l’autre, l’incompétence devient criminelle.

Mais acceptons la confusion mentale de celles et ceux qui s’affranchissent tout à la fois de la décence et de la légalité, et surjouons, sans peur du ridicule, la panique sur la détention par l’Iran d’une bombe qui lui serait inutile. « Il va l’envoyer où, cette bombe ? s’énervait naguère un président français. Sur Israël ? Elle n’aura pas fait 200 mètres que Téhéran sera rasée [4]. » Pour dire les choses autrement, le risque nucléaire est, pour quelque temps, égal à zéro, et la très fantasmée bombe perse ne constitue pas plus un péril existentiel pour un Etat hébreu surarmé et nucléarisé, sans même entrer dans la rhétorique de l’équilibre de la terreur, que les bébés sous couveuse des hôpitaux de Rafah.

« Il y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement. »

Il serait à ce stade bon de se poser et de relire, encore et sans se lasser, Pascal : "quand je me suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour ou dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, j’ai découvert que tout le malheur des hommes ne vient que d’une seule chose, qui est de ne savoir demeurer en repos, dans une chambre" [5].

Le Cadet


[1] Benjamin Constant, De l’esprit de conquête (et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne), 1814.

[2] Jean-Noël Barrot, Grand Jury RTL-Figaro-Sénat-M6, 15 juin 2025.

[3] « The i(ntelligence) c(ommunity) continues to assess that Iran is not building a nuclear weapon, and Supreme Leader Ayatollah Ali Khamenei has not authorized the nuclear weapons program he suspended in 2003. » Tulsi Gabbard, Director of National Intelligence, testimony devant le Senate Intelligence Committee, 25 mars 2025.

[4] Jacques Chirac, 29 janvier 2007, qui a ensuite corrigé son propos, du moins sur la forme.

[5] Blaise Pascal, Pensées, n° 139 « Divertissement », 1669 ; cité in Le Cadet, « Aux stratèges de salon », Revue Défense Nationale, juin 2011.

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