Le rôle de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient: vers une émancipation multilatérale? (S. Maier)

Ce texte nous est proposée par S. Maier, Science Po, très bon connaisseur de l'Arabie Saoudite où il a travaillé plusieurs mois. Merci à lui . JDOK Source Peu après l’accession au trône du roi Salmane d’Arabie saoudite fin janvier 2015, la pétromonarchie du Golfe a incontestablement
Le rôle de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient: vers une émancipation multilatérale? (S. Maier)

Ce texte nous est proposée par S. Maier, Science Po, très bon connaisseur de l'Arabie Saoudite où il a travaillé plusieurs mois. Merci à lui . JDOK

Arabie: la deuxième génération des Al-Saoud monte en puissance

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Peu après l’accession au trône du roi Salmane d’Arabie saoudite fin janvier 2015, la pétromonarchie du Golfe a incontestablement osé jouer un rôle politique plus actif tant sur le plan intérieur qu’extérieur au travers des nombreuses initiatives de sa politique étrangère. Alors qu’une nouvelle attitude géopolitique saoudienne s’est effectivement manifestée par le remaniement des postes-clés au sein du gouvernement, les répercussions de l’aventurisme militaire au Yémen couplé au déraillement économique causé par la baisse du cours du pétrole contribuent, en même temps, à marquer les limites de cette approche plus ambitieuse instiguée par la maison des Saoud.

C’est dans ce contexte que l’on constate un retour de Riyad aux canaux diplomatiques, marqué par l’affirmation de l’axe stratégique bilatéral avec les États-Unis ou le Conseil de coopération des États du Golfe (CGC), mais également caractérisé par la mise en oeuvre d’une nouvelle offensive multilatérale comptant de nombreux autres acteurs.

Assurer l’influence du clan des Sudaïri au fondement du pouvoir

En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’après le décès de l’ancien roi Abdallah, son successeur a initié un rajeunissement de la succession au trône. Pour la première fois un petit-fils du fondateur de la dynastie saoudienne, Mohammed ben Nayef, a été nommé second dans l’ordre de succession, et Moukrine ben Abdel Aziz, proche confident d’Abdallah, s’est vu promu comme prince héritier. Bien que ce déroulement ait été salué comme une mise en relief de la continuité politique dans le royaume wahhabite, il n’a fallu que trois mois pour que, fin avril, ce dernier soit limogé et immédiatement remplacé par Mohammed ben Nayef. Celui-ci, qui occupait depuis 2012 le poste de ministre de l’Intérieur, se voit dorénavant accéder a la fonction de Vice-premier ministre saoudien. De la même manière, le fils du roi Salmane, Mohammed, connaît une ascension fulgurante ce qui fait désormais de lui le second dans l’ordre de succession et le plus jeune ministre de Défense au monde. Étant donné que le roi ainsi que son fils appartiennent au clan des Sudaïri, une branche puissante de la maison Al-Saoud, ce remaniement représente un moyen aussi subtil que capital visant à lier étroitement les postes-clés à la ligne de succession redéfinie. A contrario de la perception de la communauté internationale, qui l’a interprétée comme un signe de stabilité, cette lutte d’influence marque plutôt une mise en marche de la politique équilibriste du roi Abdallah, lui-même successeur de la dynastie d’Al Rashid et ancien rival d’Al-Saoud.

Lapproche belliqueuse au Yémen

Le roi Salmane ayant cimenté, sur le plan intérieur, la cohésion politique autour de sa personne et de ses proches, on peut alors mieux comprendre la détermination avec laquelle Riyad, depuis fin mars, se lance dans une campagne d’ingérence militaire au Yémen. Avec la campagne aérienne "Tempête décisive", suivie par une opération plus holistique, baptisée "Restaurer l’espoir", l’Arabie saoudite porte, depuis le mois d’avril, un appui militaire de plus en plus interventionniste dans son arrière-cour stratégique. Bien que Riyad vise principalement à dégrader les forces des Houthis, un mouvement zaydite affilié à la théologie chiite et accusé d’entretenir des liens avec Téhéran, cette intervention met en évidence une rivalité plus complexe entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

De nombreux intérêts et groupes régionaux sont impliqués dans la vacance du pouvoir et le chaos politique au Yémen. Le Hezbollah libanais, allié indéfectible de Téhéran, soutient les Houthis en leur fournissant des moyens logistiques. Face à eux se dresse par ailleurs une coalition de pays arabes, parmi lesquels on compte les monarchies sunnites du Golfe - Qatar, Émirats arabes unis, et Bahreïn. Sous commandement saoudien ils lancent, pour la première fois, une opération terrestre sur sol yéménite. Cette intervention cause de lourdes pertes dans les rangs de la coalition: 45 morts parmi les soldats émiratis et 5 militaires bahreïnites tués lors d’une explosion survenue le 4 septembre dans un dépôt de munition à 250 km à l’est de la capitale Sana’a. Doha, en réaction, a annoncé le déploiement de 1000 soldats (ce qui est considérable au regard de la faible population du Qatar estimée à 300 000 habitants) en soutien au président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi. Celui-ci se trouve actuellement en exil dans la capitale saoudienne suite au coup d’État du 22 janvier 2015 fomenté par les Houthis.

Par ailleurs, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP) et son principal rival intra-islamiste, le soi-disant État islamique (EI), connaissent des avancées militaires en profitant du chaos qui sévit dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. La gravité de la situation humanitaire, selon la déclaration fin août du le président du Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, est telle que le pays connaît, après seulement cinq mois, une situation similaire à celle de la Syrie après cinq années de conflit.

La guerre par procuration au Proche-Orient et la menace djihadiste

Par ailleurs, la revendication par l’EI d’un attentat, en mai 2015, ayant pris pour cible une mosquée chiite dans l’Est saoudien, illustre une escalade considérable de la violence qui secoue cette province particulièrement fragile dont la cohésion se voit désormais menacée. On note que c’est dans cette région, où se concentre la majorité chiite, que se trouve l’intégralité des champs pétrolifières. Dans le même temps, en tant que Gardien des deux saintes mosquées, le roi Salmane se trouve profondément défié par la menace djihadiste de l’EI qui conteste la prétention saoudienne à définir et guider l’orthodoxie sunnite.

Il ressort clairement que l’Arabie saoudite navigue en eaux troubles, d’autant qu’elle a exercé son influence, par procuration, notamment au Proche-Orient. Par un don de trois milliards de dollars, elle a notamment permis à l’armée libanaise de financer l’achat d’armes françaises reçues le 20 avril 2015. Cette initiative saoudienne vise à soutenir l’armée du Liban, traditionnellement multiconfessionnelle, dans sa lutte contre les menaces de l’EI et contre le Front Al-Nosra déployé le long de la frontière libano-syrienne. La volonté de Riyad de circonscrire l’expansionnisme iranien se manifeste donc par son soutien aux forces sunnites au Levant. Contrecarrer la menace du Croissant chiite qui s’étend de Téhéran au régime de Damas, en passant par ses alliés de Bagdad et par le Hezbollah libanais, constitue donc l’axe de cette stratégie régionale.

Multilatéralisme d’imprévisibilité

L’Arabie saoudite a sans doute conscience du fait qu’elle ne peut pas s’attaquer à ces nombreux enjeux par une action unilatérale. C’est pourquoi elle s’engage à faire entendre sa voix par les canaux diplomatiques. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de mi-juillet 2015 qui, contre toute attente, a été bien accueilli par le royaume, lui a permis d’opérer un rapprochement avec son principal partenaire stratégique à Washington et de s’assurer de son soutien militaire. Simultanément, et cela est plutôt surprenant, apparaît la volonté du roi Salmane à recevoir à Riyad Khaleed Mechaal, leader du bureau politique en exil du mouvement islamiste du Hamas au pouvoir à Gaza. Ce faisant, l’Arabie saoudite s’inscrit dans une logique de détente vis-à-vis du Hamas et des Frères musulmans. Ces derniers étaient, jusqu`à récemment, en mauvais termes avec le royaume wahhabite. Riyad se dirige visiblement vers une doctrine qui prévoit un soi-disant cordon sanitaire sunnite à la périphérie du pays ayant pour but de limiter l’ingérence iranienne ainsi que la progression de l’EI.

Certes, l’Arabie saoudite évaluait sa marge de manœuvre diplomatique bien avant que l’Iran et les pays du "P 5+1" (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni plus l’Allemagne) ne soient parvenus à un compromis avec Téhéran sur la question nucléaire. À ce propos, la visite du Premier ministre du Pakistan - puissance nucléaire - à Riyad en avril 2015, ainsi que la signature d’un accord de coopération sur un potentiel nucléaire civil saoudien le 18 juin entre Riyad et Moscou - allié de l’Iran, faut-il le rappeler- et la première visite du roi Salmane le 4 septembre à Washington, se déploient en corrélation et de façon non-antagoniste.

Réalignement politique vers une ambition régionale

Au cours de ces derniers mois, l’Arabie saoudite poursuit décidément sa nouvelle approche multilatérale peu orthodoxe. Le Royaume apparaît, de façon significative, comme étant la figure de proue du monde arabo-musulman de majorité sunnite. En se plaçant à la tête d’une coalition qui unit des États arabes du continent africain avec l’ensemble des membres Conseil de coopération des États du Golfe, à l’exception du sultanat d’Oman, elle fait avancer autour d’elle l’intégration régionale des monarchies pétrolières et ce, au-delà du niveau économique, dans une perspective d’unification et de cohésion stratégiques sur le plan régional.

Elle réalise que son influence à l’échelle mondiale, en raison de son importance pétrostratégique, nécessite un réajustement lié à la puissance coercitive. Riyad y parvient en contribuant au renforcement de la polarisation sectaire entre Sunnites et Chiites à travers l’ensemble du Moyen-Orient. Il reste toutefois à démontrer de quelle manière cette forme de mobilisation, exclusivement mise en oeuvre sur un plan extérieur, peut venir affecter le calme trompeur du Royaume qui masque la présence, au sein même de la population saoudienne, de tendances extrémistes. Le pays n’a sans doute pas intérêt a exposer sa population à la menace d’une politisation qui viendrait ébranler le contrat tacite entre les composantes intérieures du Royaume.

L’approche de l’Arabie saoudite fait, malgré tout, ressortir une nouvelle souplesse, par construction moins prévisible. Cette doctrine vient aujourd’hui paradoxalement rapprocher Riyad de Jérusalem face au péril d’une hégémonie iranienne. Alors que l’Arabie saoudite tourne le dos à l’isolationnisme, elle est clairement appelée à jouer un rôle de premier plan dans la redistribution des cartes au Moyen-Orient.

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