Alors que les chars allemands s’enlisent dans les champs de mines du Donbass comme leurs anciens à Bir-Hakeim, et que les condottières moscovites rejouent le complot de la Grande Duchesse de Gerolstein, profitons du répit que nous accordent l’impasse ukrainienne et le renoncement français pour revenir trois siècles en arrière.
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Lorsque Maurepas, figure emblématique d’un lignage de ministres-courtisans, est nommé secrétaire d’État à la Marine en 1723 à l’âge de 22 ans, lui qui n’a jamais vu la mer dont on lui a rapporté qu’elle était salée, il s’en amuse et il n’est pas le seul. Il n’en va pas moins remettre en selle, dans le conflit planétaire entre la France et l’Angleterre, ce qui survit de la Royale de Colbert. Pour ce faire, vu les perspectives de paix pour au moins une décennie, vu la dynamique des fluides, vu les contraintes des constructions en bois, vu le rejet par nos capitaines des trois-ponts, vu ceci et vu cela, Maurepas décide qu’on va prendre un peu de temps pour concevoir le navire idéal à défaut d’être parfait. Ce sera le 74 canons, quintessence de l’art de la guerre à la française, arbitrage entre poids (on va même supprimer les mantelets de sabords en bordée haute), vitesse et puissance de feu (on renonce aux 24 livres en bordée haute pour du 18, et ça rabaisse le centre de gravité), navire polyvalent qui deviendra le vaisseau de la ligne, mais aussi une super-frégate en maraude ou l’escorte des premiers convois dans l’Atlantique lors de la reprise des hostilités en 1740.
La LPM de 2023 nous fait regretter la Régence. Passons sur le désarmement de nos unités de combat à qui on retire la proie de l’expéditionnaire pour l’ombre d’une guerre continentale dont on ne voit pas, depuis que les armées russes n’existent plus que sur le papier, contre qui nous sommes supposés la faire. Restons au PANG, projet conditionné non par les besoins de la Marine mais par le fantasme de furtivité, l’illusion de la coopération européenne et les impératifs d’une interopérabilité totale avec l’US Navy, et au marronnier des débats depuis maintenant un demi-siècle, la question d’un sister-ship une fois encore refusé. C’est qu’il ne faut pas opposer arguties budgétaires et nécessités opérationnelles mais déplacer ces dernières outre-Atlantique. Les amiraux américains veulent douze task forces aéronavales, pas une de moins, ils les ont de nouveau depuis l’entrée en service du Gérald Ford, mais les vieux Nimitz arrivent en fin de parcours et le Congrès rechigne à budgétiser leur remplacement un pour un.
Alors n’attendez pas un second PANG, il s’agit d’en faire un seul qui soit une doublure des CVN et compense les éventuelles surcharges et les trous de disponibilité de l’US Navy. Il faut faire notre deuil de l’indépendance et de la souveraineté, sacrifiées à la cohérence atlantiste. On passait naguère du statut de courtisan à celui de ministre, avec l’OTAN la France prend, avec la même affectation zélée, le chemin inverse. Rendez-nous Monsieur de Maurepas !
Le Cadet