Leur joueur de poker et nos joueurs de billes (Le Cadet n° 89)

Entre l’hystérie médiatique des va-t-en-guerre du Flore et les déclarations intempestives et irresponsables de certain membre d’un gouvernement qui croit pouvoir gérer une crise nucléaire comme un virus chinois, on peine à articuler une réflexion au milieu de cet emballement qui se félicite du retour de la guerre en Europe.

Certains tentent de rappeler les promesses américaines non tenues et les mises en garde russes de 1994 et 2007, tandis que d’autres relisent les avertissements de Kennan ou Kissinger sur l’imbécilité à pousser l’OTAN toujours vers l’est. Tous sont piégés entre un droit à l’autodétermination sur lequel le vieux continent ne cesse de trébucher, de Munich à la Crimée en passant par le Kosovo, et des résolutions de l’ONU qui rappellent régulièrement que la prédation n’est plus un mode d’acquisition de territoire, qu’il s’agisse de Chypre, du Donbass ou de Jérusalem. Trop de cadavres dans trop de placards.

Aussi, comme la stratégie c’est penser local pour agir global, évitons l’erreur de Gamelin conjurant l’hypothèse des Ardennes par un brouillon de guerre totale. Poutine avait dit : « Ce n’est pas nous qui avançons vers l’OTAN, c’est l’OTAN qui avance vers nous ». Sauf qu’en ce mois de mars 2022 ce sont les Russes qui ont fait un bond en avant au contact de l’Alliance, huit cent kilomètres à l’ouest de ce que les brillants esprits du Pentagone avaient envisagé. C’est Bagration bis.

L’Ukraine, quoiqu’il advienne, n’a plus aucune chance d’intégrer l’OTAN sauf guerre continentale, la nucléarisation de la Biélorussie est entamée (et nous voilà revenu à l’époque des SS-20, traité INF dénoncé entretemps), l’oblast de Kaliningrad tient sous son feu la Pologne tandis que la Suède et la Finlande ont annoncé qu’elles ne postulaient pas pour l’OTAN, et la Crimée est devenue un gigantesque porte-avions. Si on s’en tient là, la Russie a son glacis et les États-Unis marchandent en ce moment un nouveau Yalta sur le dos des Européens.

Or lorsque Moscou proposa un accord de sécurité, la France aurait dû porter les bases d’une négociation pour un no-man’s-land militaire courant du nord au sud du continent : discutons de la Finlande, des États baltes et de l’Ukraine mais aussi de Kaliningrad, de la Biélorussie et de la Crimée. Brelan contre brelan, même un gamin de cours de récré sait négocier son chef indien en plastique contre trois billes de verre. La France a préféré s’embarquer dans la galère d’une Alliance castratrice de sa puissance nucléaire souveraine. L’Histoire jugera très sévèrement ceux qui n’ont pas saisi cette opportunité pour lui préférer la guerre, laissant le joueur de poker du Kremlin agir en primitif et prévoir en stratège (pour citer une nouvelle fois René Char). Qu’il reste ou non au pouvoir, la Russie a désormais un carré d’as qu’elle ne lâchera pas sans l’accord de sécurité qu’elle réclamait en décembre. Et il va falloir la faire reculer militairement, sans autre carte en mains que la levée de nos propres sanctions. Tout ça pour ça.

Le Cadet

La Vigie n° 187 : L’Est de « l’Ouest » | Guerre en Ukraine [ Lorgnette : le facteur nucléaire GRATUIT

Lettre de La Vigie du 2 mars 2022

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L’Est de l’Ouest

L’Europe n’a pas défini sa frontière orientale faute d’avoir entrepris sa réunification à la fin de l’ère soviétique. Peu à peu la Russie nouvelle a été mise au ban de l’Europe et l’enjeu ukrainien est devenu la cause du récent coup de force de Moscou pour démilitariser Kiev. De son côté la Turquie kémaliste tournée vers l’Europe a laissé la place à une Turquie frériste, déployée tous azimuts aux marches de l’Europe, de l’Asie de l’Ouest et en Afrique. Turquie et Russie sont des compétiteurs d’une Union européenne qui ne sait plus penser son Est, qui est aussi l’Est de l’Ouest.

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Guerre en Ukraine

La guerre entre la Russie et l’Ukraine suscite toute les attentions. Il convient de revenir brièvement sur ses causes, lointaines ou proches, sur les facteurs ayant conduit personnellement V. Poutine à décider de l’agression, aux buts dans la guerre et aux buts possibles de guerre, enfin aux réactions mondiales, tant de l’Alliance atlantique que des pays tiers ou surtout de la Chine.

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Lorgnette : Le facteur Nucléaire

Cette crise a bien évidemment une dimension nucléaire. En effet, l’agression russe de l’Ukraine est une guerre conventionnelle menée dans un cadre dissymétrique (l’Ukraine ne peut gagner sur le terrain). Elle change des conflits asymétriques que nous connaissions depuis deux décennies qui opéraient sous le seuil d’une certaine intensité. Dans le cas présent, ce seuil a été franchi. Mais il n’agit pas seulement dans les domaines terrestres, aériens et maritimes : les autres domaines des opérations multi-milieux et multi-champs (M2MC) sont également ouverts : spatial, cyber, électromagnétique, cognitif…

Ce faisant, ce conflit pose la question d’un autre seuil, celui qui le surplombe et le sépare du domaine nucléaire. En effet, l’agression physique sollicite la mécanique de l’escalade. C’est pourquoi V. Poutine a posé rapidement cette limite en menaçant de représailles toute tentative de contrer militairement son offensive. Notre ministre des Affaires étrangères a répondu que l’Alliance était aussi une alliance nucléaire. Il s’agit-là du rappel de la rhétorique qui définit la grammaire de la dissuasion. C’est un autre signe du retour à une nouvelle Guerre froide en Europe.

JOCVP

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Crédit photo :Ministère de la défense d’Ukraine

L’Est de l’Ouest (LV 187) Gratuit

L’Europe n’a pas défini sa frontière orientale faute d’avoir entrepris sa réunification à la fin de l’ère soviétique. Peu à peu la Russie nouvelle a été mise au ban de l’Europe et l’enjeu ukrainien est devenu la cause du récent coup de force de Moscou pour démilitariser Kiev. De son côté la Turquie kémaliste tournée vers l’Europe a laissé la place à une Turquie frériste, déployée tous azimuts aux marches de l’Europe, de l’Asie de l’Ouest et en Afrique. Turquie et Russie sont des compétiteurs d’une Union européenne qui ne sait plus penser son Est, qui est aussi l’Est de l’Ouest.

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Guerre en Ukraine (LV 187) Gratuit

La guerre entre la Russie et l’Ukraine suscite toute les attentions. Il convient de revenir brièvement sur ses causes, lointaines ou proches, sur les facteurs ayant conduit personnellement V. Poutine à décider de l’agression, aux buts dans la guerre et aux buts possibles de guerre, enfin aux réactions mondiales, tant de l’Alliance atlantique que des pays tiers ou surtout de la Chine.

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Ph. Davadie, nouvel associé de La Vigie

Nous sommes heureux d’accueillir Philippe Davadie comme nouvel associé de notre équipe.

Philippe Davadie est colonel de gendarmerie, saint-cyrien, breveté de l’école de guerre. Ingénieur et praticien de la sûreté, il est aussi docteur en sciences de gestion et sa thèse de doctorat relative au directeur sûreté, un personnage en quête de légitimité a obtenu plusieurs prix de thèse. Enseignant dans diverses institutions, ses travaux de recherche s’articulent autour de la sûreté, l’intelligence économique, le management, la légitimité, l’innovation et la déviance.

Désormais, nous signerons donc JOCVP !

Bienvenue à lui…

Poussée russe en Ukraine (8 ans après, LV n° 9)

A l’occasion de l’affaire ukrainienne, nous nous sommes plongés dans nos archives. Voici ce que nous écrivions il y a 8 ans, dans un de nos premier numéros, la Vigie n° 9, en date du 4 février 2015 (ici). Hormis les quelques détails du moment, l’analyse n’a pas pris une ride. Bonne lecture (ci-dessous) . LV

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Comment analyser la reconnaissance des républiques du Donbass par V. Poutine ? (O. Kempf)

Lundi soir, Vladimir Poutine a reconnu les deux républiques séparatistes du Donbass. Cela marque un tournant dans la crise diplomatique qui se joue depuis six semaines.

Olivier Kempf a répondu aux questions de France 24, mardi 22 février. Vous pouvez le visionner en cliquant sur ce lien.

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La Vigie n° 186 : Coups africains | Géorgie tiraillée | Lorgnette : ouverture indonésienne

Lettre de La Vigie du 16 février 2022

Coups africains

Les récents coups d’État au Mali et au Burkina-Faso montrent la déception des élites et des populations africaines envers la France. Cela s’explique par une grande erreur stratégique, mélange de bonne conscience, d’utilisation trop longue de l’outil militaire, de manœuvres de gouvernance inadaptées et finalement, d’intérêts mal compris et donc mal mis en œuvre. La France a déçu et c’est de sa faute. Elle doit en tirer les conséquences.

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Géorgie tiraillée

La Géorgie est le seul pays du Transcaucase a être ouvert sur l’Occident, sur la Mer Noire, sur l’Europe. Le pays est hanté par les démons de conflits avec des provinces séparatistes et sa relation compliquée avec la Russie. Sa tentative de rapprochement avec les États-Unis s’est soldée par un échec, notamment militaire, mais la Géorgie a depuis entamé une nouvelle voie vis-à-vis de l’Union Européenne. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée !

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Lorgnette : ouverture indonésienne

La récente vente de 42 chasseurs Rafale à l’Indonésie est bienvenue, pour des raisons industrielles évidentes. S’il n’est pas sûr que cela favorise la défense française, cela constitue en revanche un atout dans notre politique étrangère, notamment en Asie du Sud-Est, terme ici plus exact que l’Indo-Pacifique. Notons d’ailleurs que cette vente s’accompagne de celle de deux sous-marins Scorpène. L’affront AUKUS est réparé (LV 176).

Paradoxalement, il a peut-être servi. En effet, comme beaucoup de pays de la région, l’Indonésie veille à une politique d’équilibre entre la Chine et les États-Unis, veillant à ne pas trop dépendre de l’un ni de l’autre. Elle avait suivi avec intérêt notre partenariat stratégique et industriel avec l’Inde, ce qui l’a incitée à examiner notre offre avec attention. Mais il est fort probable que la décision unilatérale des Australiens a joué : en estimant que la France n’était pas assez sûre, l’Australie a prouvé qu’a contrario la France avait une position équilibrée dans la région ? Ce fut probablement l’argument décisif pour Jakarta. Ainsi, outre l’Inde et Singapour, la France obtient un troisième partenaire dans cette Asie du Sud et du Sud-Est. Espérons que ce ne soit pas le dernier.

JOCVP

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Crédit photo : alicroche on VisualHunt

Coups africains (LV 186)

Les récents coups d’État au Mali et au Burkina-Faso montrent la déception des élites et des populations africaines envers la France. Cela s’explique par une grande erreur stratégique, mélange de bonne conscience, d’utilisation trop longue de l’outil militaire, de manœuvres de gouvernance inadaptées et finalement, d’intérêts mal compris et donc mal mis en œuvre. La France a déçu et c’est de sa faute. Elle doit en tirer les conséquences.

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Géorgie tiraillée (LV 186)

La Géorgie est le seul pays du Transcaucase a être ouvert sur l’Occident, sur la Mer Noire, sur l’Europe. Le pays est hanté par les démons de conflits avec des provinces séparatistes et sa relation compliquée avec la Russie. Sa tentative de rapprochement avec les États-Unis s’est soldée par un échec, notamment militaire, mais la Géorgie a depuis entamé une nouvelle voie vis-à-vis de l’Union Européenne. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée !

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Le retour de Folamour (Le Cadet n° 88)

Après la Françafrique (voir Le Cadet du mois dernier), c’est la dissuasion, autre pilier du gaullisme, qui disparait. Il n’y a que deux puissances européennes et nucléaires, la Russie et la France. Nos voisins ne sont pas nucléaires, les Anglo-américains (les Trident britanniques sont sous double-clef, pour peu que nos cousins d’outre-Channel se sentent encore européens) ne sont pas continentaux. Si les choses dégénèrent, si nous faisons la guerre en Europe, même à son extrémité orientale, nous montons aux extrêmes. Notre force de frappe interdit aux Russes de nous faire la guerre, mais elle nous interdit également de faire la guerre aux Russes. C’est une bivalence que le général Claude Le Borgne, récemment disparu, avait parfaitement comprise. Aussi, quand nous prenons le chemin de Moscou, ce ne peut être qu’en tant qu’ordonnateur du feu nucléaire français et non d’une présidence européenne, ni comme membre de l’OTAN.

Sommes-nous prêts, Français, à entrer dans une confrontation nucléaire avec la Russie pour l’empêcher d’avancer jusqu’au Dniepr qui serait la nouvelle ligne bleue des Vosges de nos intérêts stratégiques vitaux ? La question est vite répondue, comme dirait l’autre. Dès lors à quoi riment ces tartarinades qui émasculent notre capacité de raisonner souverainement ? Pourquoi surtout, au-delà de la crise de nerfs autour de l’Ukraine, inverser le précepte clausewitzien pour se rallier au fantasme américain qu’on est consterné de lire dans la dernière Vision stratégique du CEMA, qui fait de la politique l’antichambre de la guerre, une guerre avant la guerre, tout étant toujours de la guerre ? Qui a décrété, pour complaire à notre protecteur jusqu’à recopier les vieilles antiennes de la riposte graduée (seuil d’acceptabilité, seuil d’antagonisme et seuil de déclenchement d’une riposte), qu’Hobbes avait définitivement raison sur Rousseau ? La guerre en Europe a toujours été de la politique et ce n’est pas la Bombe qui y change quoi que ce soit, bien au contraire. C’est ce que vient incidemment de rappeler Poutine à l’issue de son entretien avec Macron : même pour la reconquête d’un seul village du Donbass ou d’un port de Crimée, la guerre sera nucléaire.

Fort heureusement l’article 5 du Traité n’impose rien de plus qu’un rappel d’ambassadeur, placebo en vogue en ce moment. A part satisfaire le rêve des généraux américains de planter leur bannière étoilée sur les tours du Kremlin, là où les Français plantèrent leurs trois couleurs en 1812, à quoi sert alors de s’avancer jusqu’en Ukraine ou en Finlande ? Moins les Russes auront de temps pour réagir, plus ils devront mettre en place des mécanismes de riposte automatique comme dans le film War Games, où l’ordinateur du Pentagone joue tout seul à la guerre nucléaire, nous menant dans la situation de Fail Safe et Doctor Strangelove. Espérons que ceux qui confondent guerre et cinéma, et ont fait monter la mayonnaise, sauront faire retomber le soufflé. Espérons.

Le Cadet

Élections 2022 : la dure tâche du stratégiste

Les temps sont durs pour le stratégiste qui tente d’aider les candidats à l’élection présidentielle à se préparer aux affaires militaires et stratégiques qui relèvent de sa charge. Il doit accorder vision, expertise, rationalité, réalisme et ambition pour la France.  Ainsi équipé, il doit alimenter en options fécondes le candidat qui prétend à la charge d’exercer le contrôle politique et la direction stratégique des entreprises du pays.

Source

Pour cela, il lui faut rester sur la hauteur, s’écarter du vacarme ambiant, garder du recul, méditer sur la marche du monde, évaluer les dangers qu’elle présente pour notre pays, les parer et discerner les occasions propices qui s’offriront au leader résolu. Il doit donc être à la fois le gardien méthodique du temps long stratégique et le promoteur de la cohérence de la manœuvre générale de sécurité du pays. Quelle gageure face à un candidat politique pressé !

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