La Géorgie est le seul pays du Transcaucase a être ouvert sur l’Occident, sur la Mer Noire, sur l’Europe. Le pays est hanté par les démons de conflits avec des provinces séparatistes et sa relation compliquée avec la Russie. Sa tentative de rapprochement avec les États-Unis s’est soldée par un échec, notamment militaire, mais la Géorgie a depuis entamé une nouvelle voie vis-à-vis de l’Union Européenne. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée !
Le retour de Folamour (Le Cadet n° 88)
Après la Françafrique (voir Le Cadet du mois dernier), c’est la dissuasion, autre pilier du gaullisme, qui disparait. Il n’y a que deux puissances européennes et nucléaires, la Russie et la France. Nos voisins ne sont pas nucléaires, les Anglo-américains (les Trident britanniques sont sous double-clef, pour peu que nos cousins d’outre-Channel se sentent encore européens) ne sont pas continentaux. Si les choses dégénèrent, si nous faisons la guerre en Europe, même à son extrémité orientale, nous montons aux extrêmes. Notre force de frappe interdit aux Russes de nous faire la guerre, mais elle nous interdit également de faire la guerre aux Russes. C’est une bivalence que le général Claude Le Borgne, récemment disparu, avait parfaitement comprise. Aussi, quand nous prenons le chemin de Moscou, ce ne peut être qu’en tant qu’ordonnateur du feu nucléaire français et non d’une présidence européenne, ni comme membre de l’OTAN.
Sommes-nous prêts, Français, à entrer dans une confrontation nucléaire avec la Russie pour l’empêcher d’avancer jusqu’au Dniepr qui serait la nouvelle ligne bleue des Vosges de nos intérêts stratégiques vitaux ? La question est vite répondue, comme dirait l’autre. Dès lors à quoi riment ces tartarinades qui émasculent notre capacité de raisonner souverainement ? Pourquoi surtout, au-delà de la crise de nerfs autour de l’Ukraine, inverser le précepte clausewitzien pour se rallier au fantasme américain qu’on est consterné de lire dans la dernière Vision stratégique du CEMA, qui fait de la politique l’antichambre de la guerre, une guerre avant la guerre, tout étant toujours de la guerre ? Qui a décrété, pour complaire à notre protecteur jusqu’à recopier les vieilles antiennes de la riposte graduée (seuil d’acceptabilité, seuil d’antagonisme et seuil de déclenchement d’une riposte), qu’Hobbes avait définitivement raison sur Rousseau ? La guerre en Europe a toujours été de la politique et ce n’est pas la Bombe qui y change quoi que ce soit, bien au contraire. C’est ce que vient incidemment de rappeler Poutine à l’issue de son entretien avec Macron : même pour la reconquête d’un seul village du Donbass ou d’un port de Crimée, la guerre sera nucléaire.
Fort heureusement l’article 5 du Traité n’impose rien de plus qu’un rappel d’ambassadeur, placebo en vogue en ce moment. A part satisfaire le rêve des généraux américains de planter leur bannière étoilée sur les tours du Kremlin, là où les Français plantèrent leurs trois couleurs en 1812, à quoi sert alors de s’avancer jusqu’en Ukraine ou en Finlande ? Moins les Russes auront de temps pour réagir, plus ils devront mettre en place des mécanismes de riposte automatique comme dans le film War Games, où l’ordinateur du Pentagone joue tout seul à la guerre nucléaire, nous menant dans la situation de Fail Safe et Doctor Strangelove. Espérons que ceux qui confondent guerre et cinéma, et ont fait monter la mayonnaise, sauront faire retomber le soufflé. Espérons.
Le Cadet
Élections 2022 : la dure tâche du stratégiste
Les temps sont durs pour le stratégiste qui tente d’aider les candidats à l’élection présidentielle à se préparer aux affaires militaires et stratégiques qui relèvent de sa charge. Il doit accorder vision, expertise, rationalité, réalisme et ambition pour la France. Ainsi équipé, il doit alimenter en options fécondes le candidat qui prétend à la charge d’exercer le contrôle politique et la direction stratégique des entreprises du pays.
Pour cela, il lui faut rester sur la hauteur, s’écarter du vacarme ambiant, garder du recul, méditer sur la marche du monde, évaluer les dangers qu’elle présente pour notre pays, les parer et discerner les occasions propices qui s’offriront au leader résolu. Il doit donc être à la fois le gardien méthodique du temps long stratégique et le promoteur de la cohérence de la manœuvre générale de sécurité du pays. Quelle gageure face à un candidat politique pressé !
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La Vigie n° 185 : Chili pionnier | Fébrilité stratégique | Lorgnette : impasse libanaise
Lettre de La Vigie du 2 février 2022
Chili pionnier
Le Chili, ce pays du bout du monde, est d’abord déterminé par sa géographie. Isolé, il est à la fois américain, océanien et antarctique. Il a une expérience politique originale qui connaît en ce moment de nouveaux développements. Il est également un enjeu de la rivalité sino-américaine puisqu’il a des échanges économiques avec les deux pays. Négligé par la France, il pourrait pourtant devenir un partenaire du Pacifique.
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Fébrilité stratégique
Le puzzle stratégique se complique avec les crises autour de l’Ukraine et de Taïwan. La fébrilité règne et révèle la place prise par l’altérité stratégique irréductible que véhicule la rivalité installée entre États-Unis et Chine et l’ambiguïté stratégique que facilite le recours aux activités de déception et d’intimidation. Quelle place pour l’autonomie stratégique dans l’interdépendance qui se renforce ? Pour la France en Europe, une incitation à hâter une réunification raisonnable du continent européen qui tarde .
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Lorgnette : impasse libanaise
Le Liban poursuit son affaissement national, atteignant cette fois des niveaux inconnus de dégradation. Il vivait depuis longtemps sur une illusion, celle d’un pacte national qui aurait ses racines en 1943. La guerre civile de 1975 et la montée en puissance du Hezbollah, pseudo-État, avaient déjà mis à mal ce mirage. La réalité d’une corruption clanique, se diffusant largement jusqu’aux plus bas échelons de la société, constitue le facteur fondamental du dépérissement du pays du Cèdre. Plusieurs chocs sont venus contrecarrer l’illusion du retour à la normale que certains observaient dans les années 2000 : d’une part la guerre civile syrienne qui a projeté au Liban 1,7 Mh de réfugiés (25% d’une population de 6,8 Mh) ; d’autre part, les États du Golfe, soutiens traditionnels de la classe politique, ont cessé leur appui. Aussi la gigantesque explosion qui frappe le port de Beyrouth à l’été 2020 a montré le roi nu et accéléré l’implosion de l’État.
Il s’ensuit une longue dégradation d’abord économique et financière, mais aussi juridique et bientôt sécuritaire. La société se délite, stade ultime du dépérissement étatique. Ce processus visible au Proche-Orient comme en Afrique marque la fin du modèle occidental de l’État.
JOCV
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Chili pionnier (LV 185)
Le Chili, ce pays du bout du monde, est d’abord déterminé par sa géographie. Isolé, il est à la fois américain, océanien et antarctique. Il a une expérience politique originale qui connaît en ce moment de nouveaux développements. Il est également un enjeu de la rivalité sino-américaine puisqu’il a des échanges économiques avec les deux pays. Négligé par la France, il pourrait pourtant devenir un partenaire du Pacifique.
Fébrilité stratégique (LV 185)
Le puzzle stratégique se complique avec les crises autour de l’Ukraine et de Taïwan. La fébrilité règne et révèle la place prise par l’altérité stratégique irréductible que véhicule la rivalité installée entre États-Unis et Chine et l’ambiguïté stratégique que facilite le recours aux activités de déception et d’intimidation. Quelle place pour l’autonomie stratégique dans l’interdépendance qui se renforce ? Pour la France en Europe, une incitation à hâter une réunification raisonnable du continent européen qui tarde .
Ni Munich, ni Yalta, mais Helsinki : l’intelligence du monde de demain (J. Dufourcq)
L’Histoire qui ne se répète jamais ne cesse de se continuer, même sous la pandémie de Sras-Cov-2. Cela vaut en Europe comme en Chine, deux foyers de civilisations à la mémoire longue et à l’expérience riche en épisodes troublés. Cela vaut aussi aux États-Unis, nation essentielle d’un Occident éclaté qui n’ont pourtant ni le recul ni l’expérience des vieux continents et ne sont plus aujourd’hui l’hyperpuissance qu’ils furent.
Ce sont toujours eux pourtant qui, grâce au leadership établi lors de la Première guerre mondiale, structurent la viabilité stratégique de la planète. Continue reading « Ni Munich, ni Yalta, mais Helsinki : l’intelligence du monde de demain (J. Dufourcq) »
La Vigie n° 184 : Arménie meurtrie | Négociation russo-américaine | Lorgnette : dissuasion et espionnage sur petit écran
Lettre de La Vigie du 19 janvier 2022
Arménie meurtrie
Alors que la Turquie vient justement d’entamer des négociations pour tenter de normaliser ses relations avec son voisin l’Arménie – en s’étant mis d’accord pour ne pas mentionner le « génocide arménien » pour le moment – il est temps pour nous de continuer notre tour d’horizon transcaucasien en nous penchant sur l’Arménie. Quelle place occupe-t-elle dans l’équilibre régional ?
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Négociation russo-américaine
Des observateurs européens se sont beaucoup alarmés du risque de guerre aux confins de l’Ukraine. Et si tout cela n’était que du bluff, V. Poutine jouant cette fois au poker et encaissant des gains dans la négociation bilatérale avec les États-Unis ? Tuant du même coup toute velléité d’une défense européenne autonome.
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Lorgnette : Dissuasion et espionnage sur petit écran
Une coproduction télévisée entre Arte et la BBC, intitulée « VIGIL » et actuellement à l’antenne, sort du lot. Il s’agit d’une petite série à six épisodes.
Tout commence par une enquête pour la mort suspecte d’un marin à bord d’un SNLE britannique dans les eaux territoriales en Écosse. Si les images aériennes sont bien celles de la base réelle de Faslane, la base des SNLE y est renommée « Dunloch ».
Sacrifiant hélas aux convenances actuelles quant aux états-d’âme de l’héroïne et en omettant quelques invraisemblances, certainement acceptées par souci dramatique, l’intérêt de la série réside dans la manière dont elle revisite le « genre » cinématographique sous-marin, qui peut vite s’avérer lassant. Ce n’est pas l’enquête au sol qui l’offre, mais la manière dont la dissuasion nucléaire est abordée. En effet, le huis clos est un SNLE et il s’avèrera vite que le principe même de la posture de dissuasion est au cœur d’une machination.
Il est suffisamment rare d’évoquer ces sujets graves auprès d’une telle audience (ainsi au sein de la série, il y a aussi toutes sortes de pacifistes) : c’est le grand mérite de la série.
JOCV
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Arménie meurtrie (LV 184)
Alors que la Turquie vient justement d’entamer des négociations pour tenter de normaliser ses relations avec son voisin l’Arménie – en s’étant mis d’accord pour ne pas mentionner le « génocide arménien » pour le moment – il est temps pour nous de continuer notre tour d’horizon transcaucasien en nous penchant sur l’Arménie. Quelle place occupe-t-elle dans l’équilibre régional ?
Négociation russo-américaine (LV 184)
Des observateurs européens se sont beaucoup alarmés du risque de guerre aux confins de l’Ukraine. Et si tout cela n’était que du bluff, V. Poutine jouant cette fois au poker et encaissant des gains dans la négociation bilatérale avec les États-Unis ? Tuant du même coup toute velléité d’une défense européenne autonome.
OSS 117, rentre à la maison ! (Le Cadet n° 87)
Une maladie de vaincus : on connait cette réponse de Foch aux négociateurs allemands qui se lamentaient à Rethondes de capituler non parce que leur armée était défaite, mais parce que les rues outre-Rhin se couvraient de barricades. Comment ne pas faire le rapprochement avec des médias africains remontés, nos convois attaqués, notre drapeau piétiné et brûlé et une junte malienne félicitant outrageusement les mercenaires russes de Wagner de premiers succès après tant d’années d’échecs français ? L’Afrique ne nous reproche pas tant de perpétrer le système colonial que d’être incapables de gagner la guerre contre le djihad. En un mot, de ne plus servir à rien. France go home ! Toute proportion gardée, la désillusion des Africains est la même qu’au soir du 17 juin 1940.
L’opération était globale, s’excuse-t-on à Paris, et ce sont ses aspects politiques et économiques locaux qui n’ont pas été implémentés (comme on dit dans les cabinets de consultants américains qui nous gouvernent). Mais c’est précisément parce que le plan était global qu’il a échoué ; non qu’une victoire militaire soit le sésame de la géopolitique, mais sans elle il n’y a rien de pérenne. Et il ne peut plus en être autrement : il est loin le temps de Serval, quand nos unités aéroblindées étaient fêtées en libératrices, nous sommes désormais incapables de rééditer l’exploit, et avant longtemps [1]. On a ainsi appris en fin d’année, la même semaine, que si la Corée du Sud et Israël ont budgété des hélicoptères lourds, ceux qui nous manquent dans le Sahel et que Barkhane a dû se faire prêter, les actuaires de Bercy ont opposé une fin de non-recevoir à nos Armées, qu’il s’agisse d’achats américains ou d’un appareil européen à concevoir. Faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou, chantait Brel. Quoique, quand il s’agit de nettoyer les bas de bilan des banques d’affaires ou de subventionner des start-up éphémères, les sous, on les trouve rapidement. La dépense oui, la défense jamais !
Et tandis qu’Américains et Russes se découpent une nouvelle fois le continent, les Français et cette fois les Britanniques étant aussi absents qu’à Yalta, l’Union Européenne annonce une réflexion, envisage de débattre, prévoit de se doter d’une boussole stratégique dans un futur hypothétique à anticiper à l’horizon d’une décennie. Mais les institutions censées la représenter sont aux abonnés absents. Si Kissinger se plaignait que l’Europe n’ait pas de numéro de téléphone, le progrès est qu’il sonne désormais dans le vide – à supposer que l’Amérique appelle. Quand on est incapable de formuler l’ombre du soupçon d’un semblant de volonté pour son voisinage, on ne prétend pas régenter des horizons lointains. Le temps de Faidherbe et Laperrine est clôt. Celui d’OSS 117 également.
[1] Voir Le Cadet : n° 67, « Sahelistan, poil aux dents », janvier 2020 ; n° 77, « Le Cyber des Tartares », décembre 2020 ; n° 82, « Sur la pointe des pieds », juin 2021.
Le Cadet
La Vigie n° 183 : De 2021 à 2022, encore l’incertitude ! | Mésentente cordiale | Lorgnette : Nobels sud-africains
Lettre de La Vigie du 5 janvier 2022
De 2021 à 2022 : Encore l’incertitude !
L’année 2022 s’annonce encore très incertaine : une Amérique banale, une Russie déclassée, une Chine crispée, un Moyen-Orient hésitant, une Afrique en panne et une Europe indécise ne favorisent pas de grands bouleversements stratégiques. La rivalité sino-américaine demeure le principal facteur structurant. Quant à la France, il faudra passer l’élection présidentielle pour y voir clair.
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Mésentente cordiale
Avec 2021 s’est achevée l’année voulue comme celle du renouveau du leadership du Royaume-Uni sur les affaires du monde. Tandis que le 1er janvier 2022 marquait le premier anniversaire de l’entrée en vigueur effective du Brexit, que retenir de ces douze mois ? Qu’en déduire pour l’avenir de la relation franco-britannique et la normalisation de la relation entre l’UE et le Royaume-Uni ?
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Lorgnette : Nobels sud-africains
Deux prix Nobel sud-africains viennent de décéder à un mois d’intervalle.
Frederik de Klerk, dernier président blanc de l’Afrique du Sud, avait mis fin à l’apartheid et organisé une transition pacifique vers un régime démocratique qui avait permis aux Noirs d’accéder au pouvoir. Il avait obtenu le prix Nobel de la paix en 1993 avec Nelson Mandela. C’est lui qui change la doctrine du Parti National à partir de 1989, légalise les partis noirs et libère Mandela en 1990. L’abolition officielle de l‘apartheid a lieu en 1991. Il meurt le 11 novembre 2021.
Desmond Tutu est un évêque anglican noir qui, venu d’un milieu modeste, prêche la réconciliation entre les peuples. Son combat pour la non-violence lui fait obtenir en 1983 le prix Nobel de la paix. Il préside la Commission de vérité et réconciliation qui permet de faire la lumière sur bien des crimes et qui évite l’affrontement que tous prévoyaient à l’issue du changement de régime. Il n’hésita pas à dénoncer les dérives des successeurs de Mandela, notamment J. Zuma. Il est mort le 26 décembre 2021.
Deux hommes de bien qui vont manquer à l’Afrique du Sud qui connaît aujourd’hui bien des tourments. Puissent leurs successeurs être à la hauteur.
JOCV
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