Étude préalable :
L’approche historique et l’étude des parcours individuels sont nécessaires pour analyser le potentiel de la diaspora maghrébine.
D’abord, les migrants ont-ils la volonté de retourner au pays ou de rester dans leur pays d’accueil ? Ensuite, il faut mesurer le poids de l’histoire et des dimensions sociologiques tant des pays de départ que d’accueil, car il y a quelque chose de charnel et d’acquis au sein des diasporas. Ainsi, la diaspora maghrébine est issue des colonies et protectorats, et la symbolique de la décolonisation a survécu.
De 1890 à 1945, la première diaspora est celle des ouvriers kabyles qui s’intègrent à la société via les syndicats et y trouvent un rapport à la religion et à l’autre qui est réimporté en Kabylie. Ces concepts sont toujours prégnants dans cette région où le rapport au « Haram » et à l’Occident est différent. C’est l’époque de l’internationalisme.
La période 1954-1962 crée une césure et la prise de conscience de soi et de l’algérianité devant le recul de la colonisation que chacun pensait éternelle. La seconde génération arrive avec le statut d’Algérien chargé du poids de la guerre de libération. C’est l’époque du nationalisme.
Les diasporas de la fin du XXème siècle ne trouvent plus les structures laïques d’intégration du début du siècle. Progressivement, la perception de la présence sur le territoire n’est plus le même. Les migrants s’agrègent à une référence totalement idéologique, l’islam et à une territorialisation, la banlieue. Les migrations créent donc des déracinés qui s’enracinent dans leur quartier et dans le sens. La montée des nationalismes conduit à une méfiance vis-à-vis des binationaux : mal vus dans le pays d’accueil, mais aussi mal vu dans le pays d’origine. Beaucoup s’enferment alors dans le « cercle de la déraison islamique » qui imprègne tout leur comportement (syndrome du nationalisme textile : tapis de prière et drapeau). C’est l’époque de l’islamisme.
Un islamisme nourri par les capacités de communication modernes (réseaux sociaux, télévision – Al Jazzera). Les diasporas, d’où qu’elles viennent d’ailleurs ne s’intègrent plus dans le pays d’accueil, mais vivent, par internet, dans leurs pays d’origine et soumis à toute influence étrangère.
Il y a donc un renouveau idéologique et affectif nécessaire pour rechercher des effets positifs et une ambition. On observe d’ailleurs que dès que les jeunes issus de l’immigration maghrébine se dégagent de l’emprise symbolique, (dans un pays étranger par exemple), ils se disent Français.
Mais, il est aussi observable que les diasporas se fragmentent en corrélation avec les niveaux sociaux. On retrouve dans les diasporas les pyramides de la réussite et parfois des liens internes autres qu’idéologico-religieux, catégories professionnelles par exemple avec entraide, mais pas d’organisation globale des diasporas.
Les diasporas maghrébines ne sont pas, en réalité, organisées dans l’optique d’un échange productif avec leurs pays d’origine. Si la réussite professionnelle des uns semble les ancrer dans leur pays d’accueil, les errances idéologico-religieuses des autres les agrègent à un espace dématérialisé idéalisé qu’ils voudraient greffer sur les territoires qu’ils occupent.
L’ambition doit d’abord être celle de réconcilier les diasporas avec leur pays d’accueil dans un rapport au réel profitable à tous.
Débats :
La première difficulté consiste dans la définition que l’on peut donner à diaspora, ou, plus exactement, les réalités culturelles, sociales, anthropologiques, politiques que ce terme recouvre sont très diversifiées.
Le terme diaspora désigne avant tout une communauté donnée dispersée à travers le monde et gardant des liens avec sa nation d’origine, avec un projet de retour à plus ou moins long terme. Cette dimension s’inscrit ici dans une dynamique d’échange « euro-maghrébin » spécifique qui induit sans doute des comportements particuliers.
Une autre approche range sous le terme diaspora « l’ensemble d’individus vivant sur un territoire et ayant en commun la certitude ou le sentiment d’être originaires, eux-mêmes ou leur famille, d’un autre territoire avec lequel ils entretiennent des relations régulières, symboliques ou mythologiques »[1]. Il n’y a pas ici la notion de retour, si ce n’est ponctuel. Il y a là une population qui a nécessairement un double intérêt, donc peut-être une double personnalité :
- répondre à son intérêt matériel immédiat de vie dans une société que l’on peut qualifier d’accueil ;
- un intérêt sentimental, voire spirituel la poussant à entretenir des relations, symboliques ou mythologiques, voire religieuses avec une autre société.
La difficulté émergeant des différences qu’il peut y avoir entre les deux types de sociétés. Nous sommes ici dans des problématiques d’assimilation, intégration, insertion dans une nouvelle société pour une nouvelle vie.
Et c’est dans cette logique qu’intervient une définition encore plus élargie du concept de diaspora. « la diaspora peut être définie comme un groupe de migrants ou des descendants de migrants qui partagent une ou plusieurs caractéristiques importantes (pays d’origine, ethnicité, religions d’origine, langue, politique…) et qui vivent ailleurs que dans leur pays d’origine. Cette notion de diaspora est plus large que celle de migrants et inclut les double-nationaux et les deuxièmes, voire troisièmes, générations issues de familles de migrants[2] ».
Cette définition montre toute l’ampleur du problème des diasporas qui est certainement très actuel. Celui des générations successives qui implantées dans un pays tiers gardent des caractéristiques importantes comme la langue et peut-être aussi l’approche politique.
C’est bien cette vision de la diaspora qui pose les questions les plus diversifiées mais qui apportera le plus de réponses dans notre analyse à l’interrogation « miroir d’un échec ou moteur d’une ambition ». Finalement si, au bout de trois générations de vie dans une Nation, la communauté en diaspora se définit encore par les caractéristiques importantes définies ci-dessus et ne s’est pas réduite à l’entretien de « relations régulières, symboliques ou mythologiques » alors ne doit-on pas parler de « miroir d’un échec » ?
Il y a ensuite la qualification géopolitique des diasporas.
Le Maghreb est une entité géographique, mais peut-on, doit-on distinguer des diasporas marocaines, algériennes, tunisiennes ? Y-a-t’il un phénomène plus précis de régionalisation des origines de cette diaspora ? Certains chercheurs veulent parler « des diasporas maghrébines », arguant de spécificités liées aux contextes politiques et économiques de déclenchement des diasporas, aux comportements économiques de ces diasporas dans les pays d’accueil, aux liens qu’elles ont créés avec les pays de départ pour faciliter leurs activités.
Il y a donc aussi les domaines d’activités et d’influence des diasporas à analyser : économique, culturel, symbolique et mythologique pour reprendre les termes d’une définition, sécuritaire (question des doubles nationaux et du service militaire), géostratégique (importation des conflits palestino-israélien ou turco-arménien), et politique (poids du phénomène de l’unité des diasporas dans le vote démocratique). Quel est le rôle de la situation économique, politique, sécuritaire, culturelle du pays de départ dans le déclenchement de la migration ?
Et donc, en corollaire, comment ces pays de départ tirent-ils partie de ces diasporas ? Prenons le cas des diasporas économiques : elles se fondent sur un rapport offre-demande, ou opportunité-désir. Certains dénoncent alors « le pillage légalisé des talents du Sud » (Khélifa Messamad-Paris 8), mais l’intérêt personnel doit aussi être pris en compte. Il faut donc s’interroger sur l’existence et la viabilité des politiques migratoires, mais aussi des politiques nationales globales des pays de départ.
« Une politique d’immigration efficace est une politique qui favorise la mobilité des migrants garantissant la transférabilité et la continuité des droits ». Une telle politique doit permettre aux migrants de retourner travailler dans leurs pays d’origine « sans perdre leurs droits d’immigrés, tout en conservant le droit d’aller et venir ». Il faut donc examiner aussi s’ils ont, dans leur pays d’origine, des droits et opportunités identiques à ceux qui ont motivé leur migration. Une telle réciprocité les encouragerait à réinvestir leurs capitaux et leurs talents personnels dans leurs pays d’origine, pour dépasser les seules dimensions des « relations régulières, symboliques ou mythologiques ».
Tant il est vrai qu’en termes de relations internationales il y a deux principes fondamentaux : réciprocité et confiance. La réciprocité crée la confiance, la confiance permet la réciprocité. C’est une boucle sans fin, mais cela veut dire qu’il y a bien un moment où les deux interlocuteurs doivent se prendre par la main et se jeter ensemble dans la boucle et répondre à la question : comment faire des diasporas un élément d’équilibre et de développements réciproques harmonieux entre les deux rives de la Méditerranée ?
[1] Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.
[2] El Mouhoub Mouhoud ;