La séance du 12 février a permis d’échanger avec l’ambassadeur Nicolas Normand sur les perceptions du Maghreb vu du Sud par les pays d’Afrique de l’Ouest.
On a retenu de cette discussion les quelques éléments caractéristiques suivants.
Il n’y a guère de modèle alternatif à celui de l’État-nation en Afrique, car l’État, c’est l’artisan et le garant de la solidarité de tous et la sécurité pour tous. Sa mission régulatrice doit s’exercer dans tous les domaines pour constituer et entretenir la nation qui combine différents peuples. C’est la formule que les pays africains doivent s’efforcer de développer ; il n’y a pas de modèle alternatif africain et l’on ne doit pas penser que l’État nation, l’État de droit et la démocratie doivent avoir des versions spécifiques africaines. Telle est la conviction étayée de l’ambassadeur Normand.
Ce qui sépare le Maghreb de l’Afrique Sub-saharienne. Le Maghreb est vu du Sud comme un ensemble arabo-musulman et méditerranéen dense (« arabo-turco-ottoman ») qui fut le plus souvent envahisseur, oppresseur et prédateur. Il y a eu bien sûr principalement le contentieux de la traite, de l’esclavage et du « génocide voilé ». Mais il y a aussi une approche géopolitique distinctive, un monde maghrébin plus porteur d’un panarabisme radical (et en fait racialiste) que d’un panafricanisme rassembleur. Au Sud, l’Égypte et le Maroc sont vues comme deux vieilles nations bivalentes qui assurent la jonction N/S entre la Méditerranée et l’Afrique de l’Ouest pour le Maroc et S/N entre l’Afrique de l’Est et la Méditerranée. Mais ces deux nations anciennes connectent une Afrique du Nord au noyau assez homogène à une Afrique sub-saharienne assez hétéroclite.
Ce qui les rapproche. Un même sentiment anti-occidental et anticolonial. Et un Islam maghrébin malékite diffusé en Afrique noire par des marchands arabes qui ont islamisé les élites subsahariennes et ont de fait dévalorisé et effacé les religions africaines antérieures. Et à la réaction à la domination arabe et maure qui a provoqué la création de confréries pour échapper à la Tidjanie, a vite succédé un front musulman anti-occidental de résistance à caractère nationaliste. Enfin les grandes routes vers les lieux saints de l’Islam en Arabie ont suscité un mouvement convergent de civilisation commune entre Africains du Nord et de l’Ouest.
Mais le Sud subsaharien se perçoit aussi bien différemment du Maghreb, comme une zone plus diffuse qui se sait hétérogène, avec une réelle diversité génétique et une ethnicité affirmée. Cette diversité structurelle est d’ailleurs un problème quasi insoluble pour l’UA qui s’est constituée comme une réplique de l’UE alors qu’elle regroupe une multiplicité de formules étatiques, avec une réelle unicité de destin mais une grande diversité de cultures politiques précoloniales, notamment royales et impériales. Dès lors l’UA est un vrai malentendu géopolitique. Au Sud également, un clivage religieux et culturel existe entre Africains musulmans anti-occidentaux et communautaristes et Africains catholiques et universalistes.
La réaction actuelle et le retour aux sources africaines. Cette réaction vise à la fois la première colonisation arabo-islamique et la seconde colonisation par la civilisation européenne. On note ainsi un double mouvement contradictoire : volonté de réinventer et de populariser une culture africaine préislamique, et volonté de renouer avec un monde arabo-islamique précolonial. A la charnière du Maghreb et de l’Afrique noire, le Sahel a des élites occidentalisées et des masses islamisées passéistes voire même obscurantistes. Un sentiment anti arabe diffus est motivé par le développement envahissant de la langue arabe importée du Golfe, en Libye, au Sénégal qui provoque un rejet dans des populations aux trois-quarts analphabètes… La pénétration de l’Islam arabe rigoriste et politique accompagné de ses mouvements djihadistes provoque un rejet tout comme le prosélytisme quiétiste de la Salafiya ; la violence religieuse importée d’Arabie provoque une réaction violente des musulmans pieux confrériques africains, tout comme la démocratie dérivée du suffrage universel à l’européenne est contestée car elle conduit à l’installation de despotes et de potentats et à la destruction des États fragiles ou artificiels.
Entre les deux espaces arabo-musulman blanc et subsaharien noir d’Afrique de l’Ouest, le Sahel devrait se structurer plus sur des modèles autoritaires d’États non laïcs, avec l’islam comme religion d’État, le salafisme wahhabite et l’économie de troc et de trafics que véhiculent les commerçants de la Mauritanie au Tchad comme modèle économique et une démographie sahélienne galopante qui va déferler sur tous les pays adjacents du Golfe de Guinée comme enjeu humain. Des pays fragiles, Côte d’Ivoire, Burkina, Niger pourraient en être déstabilisés voire se décomposer à la façon du Nigéria…
JDOK