Compte-rendu de la 6e réunion du cercle euromaghrébin, tenu le 27 novembre 2017
Les irrédentismes en méditerranée : la Catalogne
L’Espagne est un pays de 50 millions d’habitants, 17 régions, sans compter les Baléares, les Canaries et deux villes au Maroc. La langue officielle est l’espagnol qui est parlée dans tout le territoire de l’Espagne, parallèlement au catalan parlé en catalogne et dans la communauté de Valencia, au galicien parlé au nord-est de l’Espagne, et au basque au nord-est de l’Espagne. A l’exception du basque, ce sont toutes des langues latines très proches. Au plan religieux, l’Etat espagnol est « aconfessionnel » (ce qui est différent de la laïcité française), mais demeure un pays à tradition catholique. 25% de la population est pratiquante, une minorité est non croyante. L’Espagne est un pays multiculturel car c’est un point de passage. Au plan ethnique et religieux, il n’y a pas de différences appréciables entre les régions espagnoles, y compris la catalogne.
La catalogne est l’une des régions les plus riches de l’Espagne. C’est la première région du point de vue économique, démographique. Il y a moins de chômage qu’ailleurs, et elle occupe une position de leader économique, de point d’accès à l’Europe grâce aux ports, et de 1ere région industrielle. Les élites catalanes sont responsables de la fabrication de l’Etat espagnol moderne au XIXe siècle, et ont participé à l’élaboration de la stratégie impériale de l’Espagne.
Depuis 1977-1978 l’Espagne a une constitution démocratique qui repose sur une organisation fédérale : c’est l’un des Etats les plus décentralisés du monde. La catalogne n’est pas la seule région qui jouit d’un niveau d’autonomie remarquable, c’est l’ensemble des régions de l’Espagne. En Espagne, les services publics et parfois la sécurité sont pris en charge par les régions et pas par le gouvernement central. Ce dernier définit les grandes orientations, mais le maintien des appareils de services publics est géré par les régions. Cette particularité explique pourquoi cela peut amener à des dérives « dangereuses ». La région catalane a en charge les programmes d’éducation, la santé, la police régionale (Los mossos, leur compétence de sécurité intégrale a été déléguée de façon spéciale). La police nationale et la guardia civile sont présentes en catalogne mais sont en nombre inférieur.
L’éducation fait partie des compétences les plus sensibles qu’un Etat peut avoir pour sa caution interne. Il y a des lois nationales d’éducation, mais les programmes reviennent finalement aux régions. Cela peut être dangereux lorsque l’éducation devient un outil d’endoctrinement contre l’Espagne. Du point de vue sociolinguistique, le fait d’enseigner exclusivement en catalan est problématique.
Il y a trois grands pôles politiques qui s’affirment aujourd’hui en catalogne : un pôle de gauche démocratique, un pôle de centre droit franquiste et un 3e pole nationaliste catalan. On parle d’un pacte constitutionnel à 3, qui a conduit à une crise institutionnelle profonde.
Contrairement aux arguments des indépendantistes catalans, qui parlent d’une oppression et d’une logique centre-périphérique qui justifierait une rupture, les catalans ont eu l’opportunité de se développer avec le concours du pouvoir central. C’est d’ailleurs grâce à ce soutien qu’ils sont aujourd’hui en position de force pour défier le pouvoir.
Entre 2003 et 2010, la cour constitutionnelle valide les statuts autonomes des régions et rejette certains points proto-indépendantistes : c’est à ce moment qu’on voit apparaitre un mouvement souverainiste. Il faut aussi lier cet évènement à la crise économique de l’année 2008. Le malaise social contre les mesures d’austérité se dirigent contre les mouvements régionalistes. Le pouvoir nationaliste observe que ce malaise risque de se retourner contre lui. A ce moment-là il y a une décision du mouvement socialiste de se tourner vers les mouvements nationalistes. Un changement de stratégie de stratégie s’opère à Madrid : le passage d’une stratégie gradualiste vers une stratégie de rupture.
Les irrédentismes en méditerranée : la Kabylie
La Kabylie est une région de l’Algérie qui revendique son autonomie, mais elle n’est pas la seule région berbère : 95% des maghrébins sont des berbères. Le pouvoir politique algérien a été dominé par le baathisme : une forme de chauvinisme arabe, déniant la berbérité, ce qui a provoqué la naissance du berbérisme. Avec le temps, certaines régions ont oublié la langue berbère. D’autres l’ont conservée comme les mozabites, les ibadites etc. Certaines régions come Ain Sefraa sont des régions parfaitement bilingues.
Ce que l’on présente comme l’expression d’une tendance séparatiste kabyle ne l’est pas : il s’agit d’un mouvement revendiquant plus de droit, de libertés, de démocratique, mais pas nécessairement l’autonomie. L’attention portée à la Kabylie au détriment des autres régions berbères est due fait que les kabyles sont bien organisés et bien structurés, contrairement aux populations sahariennes par exemple, ce qui les rend plus menaçants. Les Kabyles sont aussi connus pour être des élites religieuses.
La spécificité culturelle de la Kabylie est réelle : il y a par exemple un droit coutumier qui diffère de la Sharia. Cependant, la politique coloniale avait accentué la différenciation entre les kabyles et les autres à travers la diffusion de stéréotypes : les kabyles sont blonds, ils sont plus près de la modernité etc. La France avait participé à l’ouverture de nombreuses écoles en Kabylie et à la création d’une élite qui allait adopter le français comme langue moderne. L’immigration allait aussi jouer un rôle important, dès la fin du 19e siècle la communauté kabyle se confrontait aux français et à leurs idées (le syndicalisme de la CGT etc.) On remarque à cette période la constitution d’une élite ouvrière kabyle en France. Ainsi une partie des troupes de Messali Hadj qui allait proclamer l’indépendance de l’Algérie étaient d’origine kabyle alors que leur chef était de Tlemcen.
Le pouvoir utilise et instrumentalise la revendication kabyle comme étant un risque de séparatisme pour mieux consolider l’unité nationale. Le séparatisme kabyle est présenté comme une menace pour la sécurité nationale. L’unité algérienne est un dogme : tout est vu comme un danger.
Cependant la question kabyle n’est pas soluble dans la question berbère. La référence que fait le pouvoir aux berbères est destinée à diluer la question kabyle. Il ne faut pas oublier que la naissance du printemps berbère (avril 1980) avait donné lieu à des revendication culturelles et politiques qui n’étaient pas fondés sur un désir d’indépendance. Il existe une véritable oppression, infondée, envers les kabyles.
En 2001, des émeutes ont provoqué la mort de près de 121 personnes en Kabylie. Ces émeutes sont dues à la pauvreté, la marginalisation, l’augmentation de la consommation de l’alcool, des réseaux de prostitution, et le développement d’un banditisme (enlèvements contre rançon).
La Kabylie comporte aujourd’hui 2 partis à base militante kabyle. Le gouvernement les a annexés lors des deux élections, ce qui a exacerbé les tensions. De ce fait de nombreux jeunes sont attirés par les groupes militants indépendantistes non pas par volonté indépendantiste mais car c’est un mouvement d’opposition au pouvoir central. Les jeunes ne veulent plus de « grands systèmes ». Le gouvernement Kabyle indépendantiste est actuellement en exil avec un ambassadeur en Israël. Des réunions informelles sont organisées en Israël et au Maroc.