Compte-rendu de la 7ème séance du Cercle Euromaghrébin, tenue le Lundi 18 décembre 2017
14 participants
Thème : permanences et transformations du système algérien
Pour comprendre l’Algérie, il faut observer que c’est un pays qui ne sait pas parler de lui-même, qui se connait mal et qui pense que tout le monde le connait. Il faut savoir que le peuple algérien n’a jamais vécu en harmonie avec ses dirigeants, ottomans, français, postindépendance. C’est un pays sans bourgeoisie, sans classe moyenne mais riche d’hommes.
L’Algérie vit sur une richesse qu’elle n’a pas créé : 90% des financements et 75% du budget de l’Etat proviennent des ressources fossiles du sol algérien. 55 ans après l’indépendance, le principal handicap de l’Algérie est sa culture étatique.
Par ailleurs, cette richesse n’est pas toujours utilisée à bon escient. L’Algérie a eu autrefois un programme économique, mais ce n’est plus le cas. L’économie étatique algérienne repose sur un système de type mafieux. Ainsi, il n’existe pas de véritable Etat de droit ; le budget alloué à l’éducation est toujours faible ; et peu d’emplois durables ont été créés ; l’Algérie est l’un des plus gros importateurs de blé par habitant.
Cette situation a été amorcée dès le règne du Pdt Boumediene. Pour s’installer,
Boumediene a arrêté un chef d’Etat et dissous l’assemblée nationale. Il a signé tous les décrets, toutes les ordonnances, au nom du pouvoir révolutionnaire, et a de fait acquis une certaine légitimité parallèlement à son pouvoir sans partage. Il a créé un corps de sécurité militaire, ce noyau originairement dédié à la sécurité, mais qui était une véritable police politique (à l’instar du KGB en URSS).
A sa mort, environ 15% de militaires de haut rang avaient hérité d’un système qu’ils voulaient perpétuer et diriger, mais cette fois sans chef unique. C’est à ce moment que se développe le régime algérien tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il s’agit d’un système au sommet duquel règne un groupe de hauts gradés qui s’est constitué en véritable parti politique informel et secret, contrôlant à la fois les ressources financières de l’Etat et les moyens de coercition. Ils ont alimenté une nomenklatura d’environ 2 à 3 millions de personnes, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui des civils, notamment des acteurs économiques.
Au sein de ce système, chaque fonctionnaire est nommé avec l’accord de ce groupe dirigeant.
De ce fait, la problématique de l’après-Bouteflika n’est pas une question vraiment pertinente. Le président algérien ne contrôle pas ce groupe, il est, au contraire, à son service. Il n’y a donc pas de chef unique sur le plan hiérarchique. Tous ceux qui ont tenté de s’emparer du pouvoir ont échoué : les parcours de Kasdi Mesbah (exécuté), de Belayat (démission forcée) ou encore de Laamari (démission forcée) l’illustrent bien.
Au plan idéologique, on entend beaucoup souvent de « légitimité révolutionnaire », mais il s’agit d’un vrai leurre. Le système algérien a mis entre parenthèses la question de la responsabilité (accountability), au profit d’une culture politique de l’obéissance aveugle. La société est déboussolée car son système de pensée a été détruit. Le peuple algérien a été privé jusqu’à maintenant d’un bon système éducatif, d’un bon réseau médiatique et de la liberté de presse. Ce que l’Algérie a hérité du camp de l’Est durant la Guerre froide est le modèle étatique soviétique : un système centralisé, militarisé, autoritaire et répressif.
Par ailleurs, le mouvement d’islamisation observé à partir des années 1970-1980 a participé de la radicalisation d’une partie de la société. L’Etat militaire a réussi à contenir le terrorisme mais le problème de l’intégrisme islamique demeure.
Les conséquences au niveau social sont donc désastreuses. La notion de service public a disparu. Les jeunes, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié de la population (sur 41 millions d’habitants, 21 millions sont nés après 1990), sont désabusés : ils critiquent le système mais ne savent pas comment le contester ou qui en sont les responsables.
L’entrepreneuriat privé, lorsqu’il émane des classes moyennes, est entravé par les autorités. Les plus diplômés fuient naturellement le pays, à la recherche de meilleures opportunités de travail et d’un meilleur environnement social.
L’Algérie n’a jamais connu de réelle transition démocratique, ou de « révolution de jasmin », et se dirige actuellement vers une crise sociopolitique, voire une nouvelle décennie noire. Pour faire face aux problèmes rencontrés par l’Algérie, toute tentative de révolution serait vouée à l’échec. Il faut d’abord susciter une prise de conscience au sein d’une société corrompue par l’argent des hydrocarbures, puis privilégier un changement dans l’ordre.
Thème : l’Algérie dans son environnement régional
Tandis que le capitalisme tunisien a percé en Algérie, l’Algérie institutionnelle demeure hostile au Maroc et soutient l’indépendance du Sahara occidental. L’Algérie profonde est plus indifférente. Le Maghreb uni ressemble à rêve lointain, auquel les pays maghrébins eux-mêmes ne croient plus. Le Maroc et l’Algérie recherchaient autrefois le soutien de la France dans l’affaire du Sahara. La France, dont les échanges diplomatiques et économiques sont plus soutenus avec le Maroc, n’a pas officiellement tranché sur la question et n’a pas de projet pour le Maghreb, en partie en raison de la pression exercée par de nombreux pays européens qui perçoivent l’affaire du Sahara occidental comme une question de décolonisation. Aujourd’hui le Maroc s’est constitué des alliances solides en Afrique, et c’est sur ce nouveau terrain que se jouera désormais l’avenir de la région saharienne. La carte des alliances africaines de l’Algérie est d’ores et déjà en cours de bouleversement.
Afin de dépasser l’état d’inimitié maroco-algérien, il faudra dépasser l’incapacité des gouvernements à opérer le changement nécessaire à un rapprochement sociétal, et compter sur la société directement, notamment à travers l’organisation d’échanges universitaires entre le Maroc et l’Algérie. ///